Germain le thaumaturge
Ronald Hirlé nous propose un nouvel éclairage sur l’homme
qui aura le mieux incarné l’Alsace de son temps, avec ses contradictions, ses
malaises, ses espoirs, son art de vivre, son humour.
Comédien, dramaturge, écrivain, grand élu de la Ville et de
la Région, Germain Muller était l’enfant d’une époque blessée.
Par son immense talent, par son charisme, par son humour il
en a accompagné la convalescence, il en est devenu le guérisseur et le
thaumaturge.
Son Barabli était une extraordinaire aventure de cabaret
unique en France, plébiscitée pour sa capacité à faire rire. Mais au delà de la
distraction il était aussi un immense et populaire cabinet de psychiatre où
l’on venait décharger ses complexes.
Alsacien jusqu’à la dernière de ses fibres Germain Muller
avait porté en lui les grands et les petits drames de sa région déchirée. Il en
a exorcisé les démons en tentant de réconcilier les alsaciens avec eux même aux
lendemains de l’occupation allemande.
Dans la foulée, jusque dans les années 1980, il a brocardé la scène politique avec
un humour décapant pour le plus grand plaisir de ses nombreux publics.
On a beaucoup écrit sur ce personnage hors normes, on croit
tout savoir de lui mais le connaissait-on vraiment?
Chacun de ses contemporains a, bien sûr, saisi une facette
de sa personnalité, les comédiens et les artistes qu’il dirigeait et qui
jouaient à ses cotés, les élus qui l’ont fréquenté dans les allées du pouvoir
régional, les amis du soir. Aucun pourtant n’a appréhendé le personnage dans sa
complexité et pour chacun il conservait une part insaisissable.
Il n’était pas que l’homme du Barabli, il était plus que le
dramaturge de « Enfin redde m’r nemi devon », il était aussi le grand
élu en charge de la culture à Strasbourg et en Alsace, le fin négociateur qui a
réussi l’exploit de mettre d’accord le Haut Rhin et le Bas Rhin (!) pour créer
l’Opéra du Rhin. Il était le chef d’entreprise qui animait ses sociétés de
spectacle, son restaurant, le Champi et celui de l’historique SNS. Il était le
compagnon facétieux et inventif des soirées entre amis. Il était devenu l’ami
intime de Pierre Pflimlin, ce maire emblématique de Strasbourg, ancien
président du Parlement Européen, plusieurs fois ministre.
Mais qui était réellement Germain Muller ?
C’est à cette question que souhaite répondre Ronald Hirlé en
nous livrant les documents de son incomparable fonds d’archives privées.
À l’appui de citations, de lettres et de photos souvent
inédites la stature de Germain reprend vie et s’enrichit.
Nous redécouvrons aussi l’indispensable complice de cette
aventure, Mario Hirlé qui maniait les notes avec la même virtuosité que Germain
ciselait ses phrases. Ces deux là étaient artistiquement indispensables l’un à
l’autre, ils étaient indissociables.
L’un de leurs chefs d’œuvre - il y en a tellement – est
l’inoubliable chanson « D’Letschde ». Ils sont peu nombreux ceux qui
ont écouté cet hymne à notre langue sans surprendre des larmes leur monter aux
yeux.
Les paroles sont d’une irrésistible nostalgie, d’une infinie
tristesse mais elles sont aussi le chant du sursaut. Pourtant que seraient ces
paroles sans cet envoutant rythme de ballade triste ? Ronald Hirlé nous
raconte l’histoire de cette chanson emblématique, elle est instructive à ce
sujet.
Germain survivra-t-il à Germain
Aux cotés de son père, le talentueux musicien Mario Hirlé,
Ronald a vécu bien des épisodes de l’exceptionnelle saga. Il nous les restitue
dans cet ouvrage vivant qui nous donne l’envie de revoir Germain.
En nous relatant son parcours riche d’anecdotes, Ronald
Hirlé pose une question essentielle : Vingt ans après sa mort alors que
les officiels de la Ville cherchent à faire vivre une année Germain Muller à
Strasbourg, Germain survivra-t-il à Germain ?
L’oubli est un compagnon de route trop efficace et les
années qui s’amoncèlent jettent le voile de leur fatalité sur les hommes et les
événements. Les jeunes générations ne connaissent sans doute pas grand chose de
ce monstre sacré et de son aventure artistique.
Germain est de ceux qui ne doivent pas être effacés des
mémoires parce que son œuvre riche de pédagogie dépasse son temps.
« Igor Raskorowitz » est intemporel tout autant
que « la Chambre Civique » ou d’autres morceaux d’anthologie, au même
titre et, toutes proportions gardées, que des scènes du Misanthrope ou de
l’Avare.
Certes ils ont été écrits et interprétés dans un contexte
historique précis et pourraient sembler datés mais ils touchent à des traits permanents de la
personnalité et du destin de l’Alsace.
Le livre de Ronald Hirlé était nécessaire et vient à un
moment où l’oubli pourrait gagner la partie.
En ce sens il est un appel à faire revivre Germain…sur scène
et, pourquoi pas, en un lieu qui serait dédié à son aventure culturelle. Tomi
Ungerer a son musée, Germain pourrait avoir sa maison mémorielle.
Tous ceux, nombreux, qui plaident pour la vitalité de notre
langue, l’alsacien, pour « l’alsacianité » tout court, auraient alors
une source régénérante que Ronald Hirlé suggère dans cette vivante biographie.
Je forme le vœu qu’il soit entendu.
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