Robert Grossmann, « l’indien rebelle » de la Robertsau

 

Robert Grossmann, Ma Robertsau, séquences d'histoire d'un quartier strasbourgeois, La Nuée Bleue, 175 pages, 17 €

Robert Grossmann, Ma Robertsau, séquences d'histoire d'un quartier strasbourgeois, La Nuée Bleue, 175 pages, 17 €

La Robertsau, le Läuch, immense quartier maraîcher aux confins de Strasbourg il y a un siècle encore, n'existe plus. La spéculation immobilière et les arguments sonnants et trébuchants des promoteurs auxquels les derniers maraîchers n'ont pas su, ou pas voulu, résister, ont eu raison de ces milliers de hectares, vierges d'immeubles collectifs, opportunément rendus constructibles par des municipalités peu sensibilisées, à l'époque, à la protection du patrimoine et à la préservation de l'environnement. Robert Grossmann raconte ce combat perdu dans son dernier livre, « Ma Robertsau ».

Dans ses souvenirs d'enfants, la Roberstau n'est que ce quartier de petites ruelles et de forêts traversées à vélo en compagnie de son père pour aller pêcher au bord du Rhin où, hasard des rencontres, il croisa un jour le grand Churchill en train de peindre... Mais c'est là, dans ces terres presque vierges que le jeune Robert forgea son caractère de rebelle, d'indien proche de la nature toujours prêt à bander son arc en direction de l'homme blanc massacreur et à lui décocher des flèches empoisonnées qui souvent, par la suite, dans les enceintes politiques, atteignaient leur but. Enfant de Bischheim, Robert Grossmann ne s'est installé définitivement à la Robertsau qu'en 1978, quatre ans avant son élection comme conseiller général du canton, après une première tentative maladroite et avortée face au socialiste Marc Brunschweiler.

150 maraîchers au début du XXe siècle, un seul aujourd'hui

Comme tous les Hergelofene, ces immigrés de l'intérieur ou de l'extérieur qui deviennent plus indigènes que les indigènes, Robert Grossmann se prit de passion pour un quartier qui restera toujours pour lui un village. Il eut la chance, comme élu, président d'association ou simple arpenteur de rue, de croiser des figures haut en couleurs, gens du peuple, forts en gueule, bénévoles corvéables à merci, la plupart disparus, qu'il croque avec gourmandise, grand respect et immense affection. Sous ses dehors parfois bourrus, Grossmann est un sentimental, on le savait déjà, ce livre le confirme.

Et il n'est nul besoin d'être un Roberstauvien authentique et militant, comme mon amie Yolande Baldeweck, pour apprécier ces portraits de personnages qui constituent le cœur de l'ouvrage. Au détour des pages, on en rencontre quelques-uns, plus connus, comme le Dr Henri Ulrich, naturaliste et écrivain, Christian Albecker, président de l'Union des Églises protestantes d'Alsace, Pierre Karli, neurophysiologiste, l'actrice Véronique Genest et bien d'autres, dont on ne savait pas, ou dont on avait oublié, qu'ils sont originaires de la Robertsau.

Mélanie est de retour

L'indien rebelle, Winnetou Grossmann, raconte aussi les combats menés et gagnés parfois, contre des projets de démolition qui, s'ils avaient abouti, auraient défiguré la Robertsau encore bien davantage qu'elle ne l'est déjà : les restaurants Le Coq Blanc, La Vignette, le château de Pourtalès lui-même et son magnifique parc ont failli disparaître sous les morsures des pelleteuses. Robert Grossmann revient aussi sur son histoire d'amour avec Mélanie. Il n'avait pas épuisé dans son premier ouvrage, publié en 1995, les anecdotes sur la délicieuse comtesse qu'il imagine à sa table de travail, écrivant avec cet « érotisme de la plume caressant le papier, qu'aujourd'hui les doigts glissants sur un clavier ne peuvent remplacer ». Il y ajoute deux autres pages d'histoire sur les Bock-Boecklin et leur château du XIIe siècle et sur le général Ducrot et ses intuitions gaulliennes sur la guerre de mouvement... à la veille du conflit de 1870.

« Ma Robertsau » est un livre rempli de nostalgie mais qui ne saurait être assimilé à un repli sur un passé fantasmé. C'était - peut-être – mieux avant, mais l'ancien président de la CUS sait mieux que quiconque qu'il faut évoluer avec son temps. En essayant de parer ses effets trop destructeurs et en se délectant, de temps en temps, de la petite musique des souvenirs.

C.K.