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Je voudrais avant tout vous souhaiter très chaleureusement la bienvenue dans notre maison commune. Vous êtes ici chez vous,  à l’Hôtel de Ville de Strasbourg, cet ancien hôtel de la famille Hanau-Lichtenberg, magnifique édifice du début du xviiie siècle, une époque qui voit fleurir dans notre ville, de très nombreux hôtels particuliers témoignant du goût français pour les bâtiments à facture classique et qui voit également s’ériger le chef-d’œuvre qu’est le Palais Rohan. C’est d’ailleurs de cette même période (1750), que date le Château de Pourtalès lové dans son magnifique parc, château que vous avez (on peut le dire) sauvé des griffes des promoteurs et qui compte encore aujourd’hui, grâce à vous, au nombre de nos trésors patrimoniaux.

A lire l’ouvrage que nous avons tous à l’esprit en ce moment, La comtesse de Pourtalès, cher Robert Grossmann, l’on se surprend à se demander si vous n’auriez pas été le plus heureux des hommes dans les turbulences de ce xixe siècle si mouvementé (deux empires, trois monarchies, deux républiques, trois révolutions !) car vous en faites une restitution historique si fidèle, que nombre d’experts pourraient en pâlir de jalousie.

De plus, vous ajoutez à la précision historique de ces petites séquences d’histoire (comme vous les qualifiez vous-même), les repères de la Grande Histoire, le piment des aventures romanesques, ainsi que la maîtrise de l’écriture et du récit. Et ainsi, avec cette vraie disposition littéraire, vous emportez le lecteur dans les tumultes d’un siècle de transformations politiques et sociales profondes

On ne le sait sans doute pas assez, mais derrière l’homme politique, le tribun, le bretteur, le gouailleur parfois, avec lequel j’ai eu tant de plaisir à manier l’art de la disputatio, dans l’enceinte du conseil municipal, il y a un homme de culture, un homme de lettres, sensible à l’art et au mouvement des idées, un homme sensible tout court, et donc poète à ses heures.

Ainsi, vous avez non seulement succombé aux charmes de la belle Mélanie, sur « le berceau  (de laquelle) les fées et les muses se penchèrent, dispensant bonheur et grâces à ce nouvel astre de la famille Renouard de Bussières » (je vous cite), mais vous avez d’abord commencé par tomber amoureux d’un lieu.

Ce château qui émerge au cœur d’un magnifique parc à l’anglaise vous a littéralement fasciné dès votre plus jeune âge,  au point que vous lui accordez une qualité rare, celle de  « Génie du lieu », du nom de l’une des sculptures que nous avez contribué à y faire installer, ces sculptures qui se fondent de façon si insolite à la nature, parfois aux racines et aux arbres mêmes de ce parc, que vous percevez comme de « véritables œuvres d’art ».Cette véritable passion vous a guidé sur les traces des occupants du château et sur celles de Mélanie de Pourtalès, et chemin faisant, vous avez été amené à acquérir (sur vos deniers privés) un ensemble de lettres adressées à la Comtesse de Pourtalès, alors que vous faisiez des recherches pour l’ouvrage éponyme que vous avez fait paraître en 1995.

Ces lettres particulièrement précieuses, signées des noms les plus célèbres, parmi lesquels ceux du Prince Napoléon, de la Reine Eléonore de Bulgarie ou encore du Comte de Paris, sont les témoignages vivants d’une époque où l’aristocratie européenne ne connaît pas de frontières, est à son aise tant en Autriche, en Allemagne, en Italie ou en France, préfigurant une sorte de culture européenne avant l’heure. La comtesse Mélanie appartient à ce gotha. Elle possède à la fois un hôtel particulier, rue Tronchet à Paris, fréquente les bals que l’Impératrice Eugénie donne aux Tuileries, et illumine la Cour de sa beauté : « Un tableau de Greuze », s’écriera l’impératrice au premier regard qu’elle pose sur elle. Elle est plaisante, aimable, se pique de littérature et de musique, fait connaître le grand Wagner. Mais elle est aussi une extraordinaire ambassadrice de notre région, car elle fait venir dans son château de la Robertsau les grands de ce monde : les Metternich, le prince de Reuss, la duchesse de Bade, le prince Napoléon, le Duc d’Edimbourg…  Cependant, vous nous en prévenez d’emblée, il ne s’agissait pas seulement d’une jolie personne, car elle a certainement été l’une des rares à pressentir le drame de 1870 et en alerter l’Empereur en personne… qui n’en fit rien hélas !

Aussi, les mots de remerciements que je souhaite vous adresser aujourd’hui au nom des Archives de la Ville de Strasbourg, au nom des Strasbourgeois, et en mon nom personnel, pour le don que vous nous faites ; ces mots, cher Robert Grossmann, s’adressent avant tout à l’historien, à la plume et au poète.

Car en sauvant ces témoignages et en les confiant aux bons soins des Archives,  vous permettez à notre ville de conserver aussi les traces d’un temps disparu où les plaisirs épistolaires (ou ceux de la correspondance), se nourrissaient encore, je vous cite, de « l’érotisme de la plume, caressant son papier ».

Et pour vous dire toute notre reconnaissance, à vous, comme d’ailleurs à Mélanie de Pourtalès, j’ai le grand plaisir de vous annoncer que nous avons décidé de proposer à notre conseil municipal de baptiser la bibliothèque de la Robertsau, du nom de « Médiathèque Mélanie de Pourtalès ».

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