Mon cher Monsieur Grossmann,

C’était par une belle journée de mai 1914.

Ma famille, mes enfants et mes proches étaient tous présents pour m’accompagner sur le chemin qui menait de Paris à Strasbourg. Tous savaient combien je me réjouissais à chaque fois de retrouver ma chère plaine d’Alsace.
Mais cette fois, c’était le dernier voyage.

J’allais reposer auprès des miens au cimetière de la Robertsau, non loin de cette demeure que je chérissais tant, le château de Pourtalès, et la forêt où j’aimais tant chasser.

J’espérais  secrètement qu’il resterait une trace de mon passage dans ces lieux, peut-être le portrait peint par Winterhalter ou bien quelques photographies  qui perpétueraient le souvenir des jours heureux passés avec nos amis musiciens, écrivains, barons et duchesses de la cour.

Je songeais à cette description qu’avait faite de moi le comte Boni de Castellane, ce charmeur plus dandy qu’homme politique : « La comtesse Edmond de Pourtalès, d'une durable beauté, une des femmes les plus brillantes de son temps, régnait véritablement sur Paris. Elle avait été très en vue sous l'Empire. Son intimité avec la princesse de Metternich reste légendaire. Personne n'était plus bienveillant. Le nom de Mélanie évoquait pour tous la poudre de riz, l'élégance et le parfum de la violette. Les fantaisies de sa vie dégageaient une atmosphère d'affection qui s'ajoutait à l'admiration qu'elle inspirait. Les rois et les empereurs, les milliardaires et les hommes d'État, les artistes et les savants, formaient autour d'elle un cénacle où l'on se taisait pour l'entendre raconter avec esprit d'aimables histoires. »

Et je dois avouer qu’en dépit du compliment, je ressentais une certaine tristesse.

Se trouverait-il quelqu’un pour dire un jour toute la vérité ?

Les femmes de goût étaient-elles condamnées à ne plaire que pour leur mise et non pour leur esprit ?

A l’heure de quitter ce monde, seule la sérénité vous habite, elle vous enveloppe de sa tendre confiance et vous dévoile les mystères du temps. Rien ne presse plus.

Je savais qu’un jour viendrait… La patience des disparus est infinie.

Le temps est passé ; prés d’un siècle ; et j’apprends aujourd’hui qu’un amoureux de la Robertsau, familier de ma chère demeure,  a sauvé non seulement cette bâtisse dans laquelle j’ai laissé tant de souvenirs, mais a revisité toute mon histoire. J’ai donc décidé de prendre la plume une ultime fois.

 

Cher Robert Grossmann, que l’on connaît historien, écrivain, amoureux des arts et accessoirement, homme politique : comment vous remercier ?

Vous avez acquis cet ensemble de lettres que tant de chers parents et amis m’ont fait le bonheur de m’écrire, vous les avez faites revivre et vous avez même réussi à susciter l’intérêt de la municipalité et de son jeune premier adjoint en charge de la Culture et du patrimoine, qui les verse ce jour aux Archives de la Ville.  Et surtout, vous avez dévoilé les vérités que j’espérais voir un jour  rétablies.

Vous le dites enfin : ma vie n’a pas été que fêtes futiles, toilettes élégantes, bijoux et promenades dans les parcs, elle a été aussi un vrai combat politique visionnaire pour l’Europe et pour la cause européenne.

Je ne vous pourrai jamais vous remercier assez de rappeler combien j’ai  été attachée à cette mission essentielle, tout comme j’ai tenté de prévenir certains désastres.

Merci infiniment à vous.

Ma reconnaissance vous est désormais éternelle.

Adieu donc,

Votre bien affectionnée

Mélanie de Pourtalès.