Aucun passionné de culture ne peut être indifférent à l’analyse de la politique de la Ville de Strasbourg que Poly nous a proposé dans son numéro de mars 2013.

Elle me conduit à livrer quelques observations inspirées par le souci de la vérité des faits d’une part, mon souhait de voir la culture mieux partagée d’autre part.

 Comment pourrais je ne pas relever que les éléments de réussite évoqués dans votre introduction : Espace Django Reinhardt, Taps, réseaux des Médiathèques, ont tous été créés et mis en place sous mon impulsion entre 2001 et 2008. Je me réjouis de savoir qu’ils continuent à prospérer.

Tel ne semble pas être le cas d’autres initiatives qui avaient alors été engagées.

 *Le beau projet « Art et aventure » réalisé pour le concours Capitale Culturelle de l’Europe, hélas refusé par le jury, constituait une riche base de travail pour créer une manifestation « off » que beaucoup s’étaient promis d’accomplir. Depuis plus de cinq ans une association et un budget ad hoc existent encore fallait-il une volonté politique. Voilà donc une occasion ratée même si, discrètement et de manière éloignée du projet initial, la municipalité songe à créer une Fondation dont le sens mériterait d’être précisé.

 *Le Village culturel, bien en vue place Broglie, regroupait tous les partenaires et marquait le lancement de la saison culturelle à destination de tous les publics. En 2012 la Ville a relégué les partenaires culturels dans la salle de l’Aubette sans grande visibilité par les publics. Dans le même temps ce que l’on a appelé les Europhonies devait être le grand événement d’ouverture de la saison. Ce n’était qu’une petite cavalcade de type carnavalesque. Les groupes défilant se perdaient dans les rues en une belle confusion et cette manifestation couteuse s’apparentait plus à une opération d’animation urbaine qu’à un stimulateur de la saison culturelle.

 *L’excellence culturelle devait irriguer les quartiers, c’est ainsi que nous avions installé l’Orchestre Philharmonique à la Canardière, des artistes de renom en résidence au Neuhof, nous avions invités les jeunes et les parents de la Montagne Verte à l’Opéra.

De cela plus de trace.

 *Nous avions reconstruit le théâtre de Hautepierre incendié par vandalisme.

Selon des travaux participatifs approfondis réalisés en 2006/2007, le Maillon historique devait accueillir les arts circassiens en synergie avec des prestations des Percussions de Strasbourg, deux expressions artistiques majeures qui pouvaient aussi développer un coté ludique attractif. C’est à ce propos que, dans votre article, l’adjoint à la culture parle aujourd’hui « d’échec grandiose ».

 *La Laiterie avait vocation à exprimer les cultures émergentes et innovantes, à être le laboratoire des friches et des lisières. C’est dans ce but que j’y ai installé la Fabrique de Théâtre aux cotés des Taps, d’Artefact, de Molodoï et d’ateliers d’artistes. J’y ai favorisé la création de la Friche Laiterie. La synergie était prometteuse et, loin d’être « dépecées » (comme le dit l’un de vos interviewé), les activités artistiques que j’ai regroupées à la Laiterie devaient préfigurer ce lieu unique qui signifierait innovation et expérimentation culturelles. En ce sens j’avais recommandé aux partenaires de la Laiterie de créer un collectif informel qui leur permettrait d’échanger, de s’informer réciproquement et de valoriser leurs diversités. Je voyais la Ville non seulement comme un financeur mais aussi comme un catalyseur. Cette impulsion a fait défaut même s’il est juste de saluer les succès et la vitalité de chacun de ces acteurs isolément.

 *Dans le prolongement de la Médiathèque la presqu’ile Malraux aurait pu être complétée dès 2007. Cela a été différé et je le regrette. Ma vision des choses était bel et bien d’y mixer investisseur privé et initiatives publiques. Mais, je veux l’affirmer, quelles qu’aient été mes « débats » avec le directeur d’Apolonia, ses démarches culturelles ne m’avaient pas laissé indifférent. Sa mise à l’écart au bénéfice d’un projet assez vague de pôle des arts numériques procèderait selon mes informations d’innombrables et interminables réunions contradictoires. N’y voyant pas très clair, j’attends avec attention la révélation de ce projet ainsi que son intérêt culturel pour le plus grand nombre.

 Votre excellente enquête pointe bien des éléments qui mériteraient d’autres commentaires. Permettez moi de livrer quelques réflexions plus générales.

 Les Assises de la Culture initiées par Roland Ries devaient ouvrir une ère nouvelle pleine de promesses. Ce fut une ère de déceptions. Tous les partenaires ont été écoutés, peu ont été entendus. L’annonce finale par le maire d’un nouvel Opéra, que personne n’avait d’ailleurs évoqué, a fait long feu. La fausse bonne idée de regrouper les festivals aussi.

Mais il y a plus grave, quelques éléments symboliques sont tristement éloquents: évacuer l’art et la culture de l’Ancienne Douane au bénéfice des fruits et légumes signe un état d’esprit et un programme. Tout a été dit sur cette forfaiture et on ne peut que se sentir accablé par la démission de fait de l’adjoint à la culture vaincu dans les arbitrages internes par une autre adjointe.

Enfin l’aveu est terrible lorsque Daniel Payot dit au détour d’une phrase : « Certains, dans l’entourage du Maire pensaient que… ».

Certains, ce sont au moins trois membres de cabinet chargés de la culture, deux ou trois élus affublés de compétences culturelles, une direction de la culture problématique, des agents expérimentés mais désemparés. En clair une bonne demi douzaine de pilotes pour la culture...

Ajoutons à ce « bilan » le peu d’empressement que met la ville à se battre en faveur de l’exceptionnel legs Denise René. Cette occasion unique d’enrichir la ville de collections rares semble embarrasser plutôt qu’enthousiasmer.

Et tout devient clair lorsque Roland Ries a présenté récemment son fait d’arme culturel: proposer le « cabaret alsacien» au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Heureux le maire a lancé : « et on dit que je ne fais rien pour la culture… » * Hopla !

 

* conférence de presse du 20/02/2013, reprise notamment par France 3 Alsace

PS. Depuis le maire a réuni à nouveau les acteurs du spectacle vivant, il propose une "coproduction" mais, demain, après les élections municipales où tout ira mieux s'il est réélu