Hopla Robert, dis-leur !

Robert Grossmann publie sa "Lettre ouverte aux alsacianophobes" dont nous avions annoncé la parution imminente dans les Chuchotements (DNA du 23 janvier). Les "crétins de l'intérieur" qui  se moquent d'une miss France originaire  du Sundgau, assez plouc (selon eux) pour baraguiner quelques mots d'alsacien à la télé ou sur les ondes, les crétines et crétins plus anciens qui se sentent "chez les boches" en Alsace (Anémone, piètre comédienne) ou qui râlaient du départ hors du pays de la coupe de France lorsque le  Racing la gagna (Thierry Roland, l'intelligence et la culture au raz du gazon), tous ces crétins méritaient-ils que notre meilleur pamphlétaire politique régional leur consacre un opuscule d'une centaine de pages ?

Le mépris et l'indifférence n'auraient-ils pas été plus indiqués comme réponses à ces imbécillités ? Robert Grossmann ose espérer en conclusion que sa lettre "modifiera les gènes" des crétins auxquels il adresse sa lettre. Un voeu pieu sans doute. Les alsacianophobes, assumés ou accidentels, sont indécrottables. Même un Sarkozy, dont on se dit, au nombre de visites qu'il lui a rendu durant son quinquennat, qu'il doit aimer l'Alsace, situe la région en Allemagne (lors de son discours à Truchtersheim en janvier 2010).

Bayrou: convenons que l'Alsace est française

Et hier soir, sur TF1, François Bayrou a voulu rendre un hommage sincère à notre régime local de sécurité sociale, qu'il était venu spécialement étudier à Strasbourg il y a quelques semaines. Manque de chance, il a lui aussi dérapé en disant : "Convenons que l'Alsace et la Moselle sont des départements français". Convenons, entre nous ce soir, parce que cela ne va pas de soi pour tout le monde ? Bayrou a aussitôt été ajouté par Robert Grossmann sur son mur facebook dans la liste des "crétins de l'intérieur".

Convenons que la langue de Sarkozy a fourché (ses adversaires disent même ces temps-ci qu'elle est fourchue). Convenons que Bayrou en a trop fait en voulant complaire aux Alsaciens (à un téléspectateur qui lui disait qu'en Alsace on est plus "riches", il a répondu: "Peut-être aussi les Alsaciens travaillent-ils (plus)"). Mais encore une fois, tout cela vaut-il une lettre ouverte ?

La psychanalyse de soi-même

Sûrement pas si on en restait à la dénonciation de ces inepties. L'intérêt du livre de Robert Grossmann n'est pas là, mais dans la "psychanalyse de moi-même" qu'il a entreprise sous prétexte d'un pamphlet. On n'ignorait presque rien de la vie et de l'oeuvre de l'ancien président de la CUS, sauf quelques éléments essentiels, constitutifs du personnage. Tel ce voyage en train à La Rochelle (il avait 18 ans) où il se fait traiter d'Allemand par un Français et de traître à l'Allemagne par un Allemand. "J'avais mal à mon Alsace, j'avais mal à ma France", écrit-il. Le verbe avoir est à l'imparfait, mais le mal est toujours présent. Robert Grossmann est un écorché vif de l'alscianitude. Il ne pourra jamais se satisfaire de la prétention des uns (les Besserwisser alsaciens) ni de la médiocrité des autres (par exemple tous les hommes politiques français... postérieurs à De Gaulle), et vice-versa d'ailleurs (les prétentieux français et les médiocres alsaciens).

Car la lettre ouverte aux crétins supporte aussi une lecture politique. Le Wackes strasbourgeois, que sa maman désespérait de voir atteindre un jour le niveau et le grade d'attaché de préfecture, est triste de la disparition de la France qu'il aimait. "La scène nationale est désolante. Elle est à nouveau livrée aux petits jeux et aux grands délices des partis. On y règle des comptes, on y maquignonne" (A croire qu'il avait pressenti l'affaire Borloo/Véolia). La scène politique alsacienne n'est guère plus ragoutante à ses yeux, avec ses "élites qui succombent à cette prédisposition si tentante de se mettre au garde à vous, oubliant les causes qu'elles ont à défendre. On a le sentiment que c'est la docilité qui guide nos élus à Paris".

Indécrottable gaulliste

Robert Grossmann est un indécrottable gaulliste qui "cultive au fond de son coeur une certaine idée de la France".  Autant dire que cette idée-là n'a rien à voir, mais alors rien du tout, avec les idées neuves que le candidat Sarkozy a décidé de balancer, à raison d'une par jour, jusqu'au 1er tour de la présidentielle. D'ici à ce que Robert Grossmann nous explique dans une tribune, comme un ancien conseiller du président de la République dans le Monde du 21 février, pourquoi, après avoir soutenu Sarkozy, il votera Hollande...

♥ Robert Grossmann, Lettre ouverte aux alsacianophobes et aux quelques crétins de l'intérieur qui pensent que les Alsaciens sont à l'extérieur, éd. Jérôme Do Bentzinger, 7€

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