Le siège de Strasbourg comme Capitale Européenne est constamment remis en cause par une partie des eurodéputés. Est-ce que vous-même vous êtes un européen convaincu ? 

Heu… C’est beau de faire des déclarations en faveur de l’Europe. Mais lorsque je une certaine impuissance de cette institution, je suis atterré. Certes il y a les « directives » dans beaucoup de domaines qui touchent notre vie quotidienne.

Je m’interroge sur les effets de la mise en concurrence obligée et donc hyper libérale de tous les marchés de nos entreprises. France télécom nous en donne une bien pénible illustration. L’affaire du plombier polonais était elle aussi très éloquente. Certes cette marche en avant vers l’Europe n’est pas un long fleuve tranquille.

Mais il y a beaucoup d’aspects positifs aussi. Les primes à des régions d’Europe qui en ont besoin sont très bénéfiques et cette péréquation est utile. Ceux qui en ont bénéficié se sont spectaculairement redressés. La situation de l’Espagne ou du Portugal d’il y a 30 ans n’a plus rien à voir avec celles d’aujourd’hui, grâce à l’Europe.

L’Euro est un vrai progrès. Ainsi que la suppression des frontières. L’élargissement est allé trop loin et la crise économique ne contribue pas à renforcer la nécessité de plus d’Europe. Les délocalisations ne rendent pas l’Europe plus sympathique.

 

Mais dans des domaines essentiels, politiques ou stratégiques l’Europe est bien moins présente. Prenons les conflits dans l’ex-Yougoslavie. Cela m’a marqué : les ethnies se sont déchainées les unes contre les autres sans que l’Europe n’ait eu les moyens ni la possibilité d’agir. On a revu des images de camps de concentration, des fosses communes, des charniers, choses que je pensais inimaginables aujourd’hui… et ce sont les américains qui sont intervenus militairement sur le sol européen.

Allons au fond des choses si vous voulez bien :

Je reste attaché à la conception gaulliste de l’Europe. Parmi toutes les phrases d’anthologie du général de Gaulle, il y en a une qui m’a marquée. Elle avait cristallisé les oppositions et je me souviens des centristes déchainés autour de Pierre Pflimlin  quittant le gouvernement à cette occasion. Pourtant j’attends toujours, quarante après, les arguments crédibles qui pourraient mettre à mal son sens : « Je ne crois pas que l'Europe puisse avoir aucune réalité vivante si elle ne comporte pas la France avec ses Français, l'Allemagne avec ses Allemands, l'Italie avec ses Italiens, etc. Dante, Goethe, Chateaubriand, appartiennent à toute l'Europe dans la mesure même où ils étaient respectivement et éminemment Italien, Allemand et Français. Ils n'auraient pas beaucoup servi s'ils avaient été des apatrides et s'ils avaient pensé, écrit en quelque espéranto ou volapük intégrés... »

Alors on peut analyser le mot apatride, assez tranché. Mais aujourd’hui encore je ne discerne pas de patrie européenne, de citoyenneté européenne, alors même que je l’appelle de mes vœux.

Et l’Europe des régions, ce n’est pas ça la solution ?

A mon sens ce n’est pas l’Europe des régions qui réussirait à façonner cette patrie européenne. L’Europe des régions telle que la rêvent certains supposerait, au fond, une dissolution des nations au profit d’autre chose qui serait régenté depuis Bruxelles. Et si cet « autre chose » s’établissait cela me semblerait constituer un pas significatif vers le communautarisme. Les gens se sentiraient Basques avant d’être européens, Bretons, Bavarois, Piémontais, Corses…Et nous, dans cette hypothèse ? A mon grand étonnement j’ai pris connaissance d’un texte d’octobre 2008 « manifeste Changer d’ère », cosigné par tous les principaux responsables Verts Daniel Cohn-Bendit, Eva Joly, José Bové et d’autres. Il y est écrit, entre autres « que l'Union européenne, malgré les aléas de sa construction et des pratiques trop souvent technocratiques, a bâti un espace de paix et de coopération entre les 27 Etats et les 83 peuples qui la composent ». 

Parfait pour l’espace de paix et de coopération. Bien pour les 27 états ! Mais …83 peuples ? Ils sont où ces peuples ? Et nous ? On est quel peuple parmi ces 83 ?

Il me semble que la création de l’Europe consistait justement à rassembler tous ses citoyens et non pas à les éclater en peuples

Une Europe des régions ne serait-elle pas un bénéfice pour l’Alsace ?

Justement, arrêtons nous à notre cas à nous… Les euro régionalistes rêvent d’une Alsace liée de manière transfrontalière à l’Allemagne, donc à une partie de la région Bade Wurtemberg dont la puissance passée les fascine. Curieusement aucun ne songe à constituer une grande région avec la Lorraine ou la Franche Comté…

Que nous ayons des relations fortes avec nos voisins allemands est un souhait que je partage. Un vrai et fort partenariat, certes oui, une sorte de fusion, non ! Culturellement nous nous ressemblons peu. Nos habitudes ne sont pas les mêmes, nos manières de réagir non plus. Nos voisins allemands seront toujours nos bons cousins … Et, par raison autant que par instinct, je n’ai aucune inclination pour la soumission culturelle et linguistique. Une parenthèse : Roland Ries m’inquiète sur ce plan….

Tenez, je n’ai jamais entendu, au cours de nos entretiens de travail privés avec mes homologues allemands un seul d’entre eux nous parler en français. C’était et c’est toujours à nous de parler allemand. Evidemment lors de discours officiels ils lisent avec une très sympathique application des discours en français.

Au fond le problème de la langue est essentiel dans cette utopique région Bade Alsace. Beaucoup de nos amis allemands, comme l’un d’eux haut placé l’a exprimé dans un discours, pensent, sans nul doute très sincèrement que nous les alsaciens, nous « sommes tous des alamans » et que eux ne sont en aucun cas des gaulois. Moi je me sens assez gaulois et lorsque les « régionalistes » et hier les autonomistes me sortaient des cartes du Saint Empire pour démontrer que l’Alsace a toujours été allemande, je peux sortir Jules César qui, dans « La guerre des Gaules », évoque bien le Rhin comme frontière avec la Germania.

Bref dans le cas d’une Euroregio, elle s’appellerait comment ? Elle parlerait quelle langue ? Nous sentirions nous dès lors plus européens parce que mariés avec le pays de Bade. Que représenterait alors la France pour nous ?

L’Europe fondée sur ses nations me semble un principe réaliste qui permettra toujours plus d’intégration..

Mais alors vous n’êtes pas l’européen convaincu que l’on croyait ?

En voilà une déduction hâtive et superficielle. Je ne serais pas dans la bienpensance ? C’est ça que vous voulez dire ?

Je le répète je crois en l’Europe, j’appelle de mes vœux une Europe forte, mais pas n’importe laquelle.

Dans ce domaine et pour cette question, pas de pensée unique non plus, s’il vous plait. Pas de bienpensance officielle avec ses censeurs et ses redresseurs de conscience...