L’Appel du gaullisme, de Robert Grossmann

 

Note de lecture

 

Les Mémoires politiques sont un genre difficile. D’abord, parce qu’il y a de grands maîtres et des chefs d’œuvre. Du Cardinal de Retz au Général de Gaulle, il est délicat de s’abriter sous les chênes qu’on abat. Ensuite parce que l’auteur hésite forcément entre la simple chronique ou le journal, les mémoires pour servir à l’histoire du temps, et l’œuvre littéraire achevée, des Mémoires d’Outre tombe aux Antimémoires, de Las Cases à Churchill.

 

S’il ne se présente pas comme des Mémoires, le « document » que Robert Grossmann nous livre sous le titre L’Appel du Gaullisme aux éditions du Rocher, en a, néanmoins, toutes les tentations. Biographie à la recherche d’un destin, chronique de vingt ans de vie politique française,  ouvrage de science politique sur le mouvement de jeunes que fut l’U.J.P., mais au-delà, réflexion sur la politique elle-même et l’engagement, prosopopée de la France à travers ses grandes voix, scènes amèrement amusées sur les faiblesses de l’arrivisme et la petitesse des ambitions, et construction soignée mélangeant le suspens, le retour sur l’histoire, l’enchevêtrement des points de vue, rien n’y manque. Il y a du littéraire là-dedans, et souvent de l’excellent, qui manie les registres, du comique au grave, de l’émouvant  au sarcastique. Au-delà du Lys dans la vallée que l’auteur aime à citer, il y a du Fabrice à Waterloo, du Chateaubriand présenté à Versailles, du Frédéric sur les barricades de 48, et très peu, et c’est tout à son honneur, de Rastignac devant Paris.

 

 

Mémoires, sans aucun doute, aux yeux du lecteur, et c’est là que le bât blesse. Il y a, en effet, dans les Mémoires, l’idée implicite, comme l’on dit, que cela finit toujours mal. C’est la basse continue du genre, comme l’embrassade l’est chez Molière, la mort chez Corneille ou l’exil  chez Racine. « Pourvu que ça dure », disait la mère de l’Empereur. Mais justement, ce qui fait la grandeur des Mémoires, c’est que pour qu’enfin l’éternité le change tel qu’en lui-même, ce qui fut doit accepter le linceul pourpre où dorment les dieux morts. Dans la crypte des Invalides ou dans un petit cimetière de la Haute-Marne, la mort seule donne aux rêves qui ont fait la France cette fièvre qui anime les cœurs, par delà le fracas de leur chute.

 

 

L’appel du Gaullisme est évidemment un titre magnifique. Il « rappelle » bien sûr, celui de Londres, et tant d’autres où, à travers les brumes de l’histoire, une voix a surgi, de celle qu’entendit Jeanne pour délivrer le gentil dauphin et faire naître la Nation, à celles qu’entendait Jules Michelet dans les grimoires des Archives de France. Mais il pose la délicate question de son écho. Que reste-t-il du gaullisme ? L’auteur n’élude pas cette question classique au point d’être un pont-aux-ânes pour journalistes, étudiants des sciences politiques ou apprenti député ex-R.P.R.., sociologue expert à la télévision ou sénateur écarté pour raison d’âge de la gestion de sa bonne ville de province. Mais on eût aimé qu’il s’y attardât davantage, et l’on reste un peu pantois devant la renaissance du phoenix sous les traits de l’actuel Président de la République, dont la filiation, rien moins qu’évidente, eût mérité un armorial plus précis, sauf à apparaître comme un lapin d’un chapeau de prestidigitateur. Certes, il y a des Mémoires apocryphes, des testaments exhumés post mortem pour authentifier des filiations improbables ou des prétentions nouvelles. Mais il s’agit là d’un genre littéraire propre aux chambres syndicales des notaires ou aux Parlements d’Ancien Régime, pas au Mémorial des Siècles.

 

 

           Un des aspects les plus intéressants du livre est le chevauchement des réflexions du jeune instituteur strasbourgeois, témoin du retour au pouvoir du Général De Gaulle et acteur d’une organisation d’appui à l’action de l’Homme du Dix-huit Juin, et la fondation de l’U.J.P par Robert Grossmann. Ce sont là deux courbes, deux asymptotes, remarquablement entrelacées et qui font de ce « document » un témoignage à la fois original et irremplaçable. D’un côté, on voit naître le désir de l’engagement d’un jeune homme formé sous la « démocratie plutôt grise », conscient des difficultés de la France, ébloui par la figure du Général, désarçonné par ses premiers pas en politique, inquiet de savoir si un espoir né dans la Résistance saura survivre dans le tran-tran des Institutions, surpris par les rivalités entre Paris et la Province, se ressourçant aux idéaux qui l’ont conduit à l’engagement gaulliste, confronté aux difficultés d’être jeune et de « militer pour le pouvoir ». De l’autre côté la lente et difficile « émancipation » d’un mouvement de jeunes, à la fois désiré mais cantonné par les Anciens, dont la légitimité est incontestable, à des tâches de « cyclistes ou de claque », soutenu par certains, mais méprisé par d’autres, gagnant peu à peu à partir des années 1966 –67, son autonomie juridique, puis financière, confronté au départ du Général, à l’élection puis à la mort de Georges Pompidou, au choix délicat, et orageux, de son successeur. Le lecteur remarquera comment se nouent les deux histoires, comment au début, l’anecdote foisonne, piquante et drôle (il faut lire l’ « enrôlement » chez les Républicains-sociaux, véritable scène stendhalienne, ou plan-séquence dans Barry Lindon, ou bien encore l’arrivée de René Tomasini lors des assises nationales de l’U.N.R., qui « va pisser dans le lavabo »), où les portraits abondent entre les vieux grognards et les jeunes « Marie-Louise », et comment à la fin, les enjeux politiques prennent le pas, les discours, le poids des décisions, pour comprendre comment le sérieux de la vie politique, et de l’intendance, s’impose progressivement  au jeune appelé.

 

 

L’amateur du De viris illustribus de l’abbé Lhomond s’enchantera des grandes figures d’un temps où l’on entend la voix de Gabin rappeler au Parlement que « Gouverner, Messieurs, ce n’est pas administrer une mare pour le compte de ses grenouilles », toutes sont évoquées, dans une galerie pour certains d’outre-tombe, avec respect, avec l’émerveillement de ceux qui ont le sentiment d’arriver après la bataille , un peu comme ces Enfants  du Siècle de Musset qui se souviennent d’un père les serrant sur des poitrines chamarrées d’or avant de remonter sur leur cheval vers d’autres victoires. Et d’autres, des moins grands, des tout petits même, les carriéristes pour lesquels l’auteur ne cache pas son profond mépris. L’amateur de gazettes découvrira aussi, les tractations qu’ouvrirait la mort de Georges Pompidou, la fidélité à Jacques Chaban Delmas, le compagnon, l’arrivée des « chevau-légers » et, même si l’expression n’est pas dans le livre, l’arrière-salle du chiraquisme naissant. C’est en 1972, à Royan, eh oui ! à Royan, que Robert Grossmann quitte la présidence de l’U.J.P. Au son de la musique de Guy Béart. C’en est fini de l’eau vive. On commence à sentir la canalisation et la mise en bouteille. Le livre ne s’arrête pas là, mais c’est une sorte de chroniqueur qui prend le relais. Chacun pourra juger. Mais dans les sept premiers chapitres, il y a de quoi nourrir bien des discussions.

 

 

Tout d’abord celle-ci ; qui reste d’actualité : Comment peut-on militer pour le pouvoir ? Comment peut-on soutenir un gouvernement ? De 1958 à 1962, pendant les événements d’Algérie, comment être ni pro F.L.N, ni pro O.A.S. ? En 1968, lorsque, Sartre et la Cause du peuple semblent rencontrer soudain les ambitions des « chevaux de retour » de la IVème République, la C.G.T. dubitative, et les aspirations diverses, comment être pour la réforme et contre la chienlit ? Que de quolibets, que de moqueries n’a-t-il pas fallu affronter ?  Dans combien de regards n’a-t-on vu ce mépris sarcastique disant « A votre âge ? Déjà réactionnaire ? » Ce n’est pas facile, à vingt cinq ans, d’être à rebours de l’opinion. Certes, aujourd’hui, on rencontre beaucoup d’anciens communistes qui voudraient ne pas l’avoir été. Et beaucoup d’antigaullistes qui regrettent de l’avoir été. Danse et contredanse. Mais à vingt cinq ans, dire qu’on vote pour un contemporain de son grand-père nécessite beaucoup d’amour, beaucoup de conviction et une certaine dose de culot. Le « petit-fils du gaullisme », comme l’a surnommé Catherine Nay, n’en manquait pas.

 

Ensuite, cette autre question : Qu’est-ce qui forge une conviction ? L’époque est aux valeurs, aux convictions, dès qu’il s’agit de mentir, ou de se rattraper aux branches d’un discours technocratique, où l’on confond la feuille d’impôt, le devis, les calculs d’amortissements ou d’intérêts et le sens de la vie. Robert Grossmann rappelle que la fidélité au Gaullisme fut simplement l’adhésion au courage d’un homme, le souvenir, encore récent, de la Résistance. Ce n’est qu’ensuite qu’une idée de l’Etat se fit jour, puis une politique étrangère, une vision sociale, des choix économiques, etc. Ce ne fut pas l’accord à une doctrine. Mais ce ne fut pas non plus l’aventure d’un homme. C’est cet étonnant mélange d’une « certaine idée de la France » d’où découlaient un certain nombre de choix, et d’un regard lucide sur le monde, d’où découlaient un certain nombre d’autres choix. Grande leçon pour nous : la politique, c’est la volonté des hommes dans les nécessités du temps.

 

Enfin, cette dernière question : Qu’est-ce qu’un militant ? C’est un homme « propre ». L’adjectif aura de quoi surprendre. Il est emprunté à une rhétorique condamnée qui verrait dans les hommes politiques des copains et des coquins. Robert Grossmann est entré très propre dans un monde qui ne l’était pas tant que cela. Il a regardé passer bien des trains, il a eu le sentiment, ici ou là, d’être joué par des plus rusés, des plus ambitieux que lui. Mais lui a été et demeure « l’appelé ». Lorsque l’appel s’est fait plus lointain, il est retourné à sa charrue, comme il le dit lui-même. Si vous cherchez un manuel  du savoir-faire en politique, des cours de réussite politicienne, ou un guide du « Comment se faire élire en trois trahisons et cinq copinages ? », ne lisez pas ce livre : il vous désespérerait. Le militant s’est bien transformé aujourd’hui. Quand il ne «  clique » pas sur Internet, il s’amourache, il s’enthousiasme. La « militance citoyenne » fait florès. Pour la défense de pandas, la survie de la planète, la défense des sans-papiers, le logement social, les retraites, le pouvoir d’achat, les droits des Tibétains, la libre disposition de son corps, la baisse des charges des entreprises, l’agriculture biologique, le doublement de la RN 20, le rétablissement du casernement d’un régiment, la réfection du toit de l’église ou le maintien du marché le mercredi. Tout cela se justifie, sans doute. Mais ce que ce livre nous rappelle, c’est que militer, c’est d’abord aimer la France et vouloir la servir. 

Gérard Lifeld