Les portes du Musée historique s’ouvrent à nouveau aujourd’hui. Deux décennies de fermeture, de travaux et d’hésitations s’achèvent.

Et dans la ville des princes-évêques de Rohan, où Alexandre DUMAS nous montrait un Joseph Balsamo jouer son rôle dans l’Affaire du Collier, dans notre ville où les petites histoires croisent toujours la grande, la page qui s’ouvre aujourd’hui pourrait être titrée d’une manière romanesque : « Vingt ans après… ».

Sauf que le musée qui ouvre aujourd’hui n’est plus tout à fait le même que celui qui a été fermé à la fin des années 1980…

D’abord, le lieu qui l’abrite, les anciennes Grandes Boucheries, superbe témoin de l’architecture strasbourgeoise du XVIe siècle, est préservé, réhabilité et rendu aux Strasbourgeois après d’immenses travaux difficiles.

Et aujourd’hui, ce que nous célébrons aussi, c’est la fin d’un chantier qui a permis de sauvegarder des ravages du temps l’un des fleurons du patrimoine strasbourgeois.

Ensuite, ce sont des souvenirs qui viennent à l’esprit de toutes celles et ceux qui ont eu la chance de connaître le musée il y a vingt ans. Le souvenir de collections et d’objets, qui trop longtemps ont été soustraits à nos regards : le plan relief de 1727, la maquette de la Pfalz d’Adolphe Seyboth, des dessins, des chefs d’œuvres corporatifs ou encore des objets personnels de Jean-Baptiste Kléber.            Unsere Jambediss, unsere Klewer !

Ces collections nous sont restituées aujourd’hui. Plus encore : elles sont magnifiées et, pour ainsi dire, sublimées par une muséographie renouvelée de fond en comble et par des technologies, dont le déploiement redonne vraiment du sens à des objets autrefois disparates. Je tiens à rendre hommage à Laurent Marquart qui est l’auteur-artiste de cette réalisation et qui est aussi l’ami québécois…

C’est d’ailleurs la tâche de l’historien et c’est certainement la vocation fondamentale d’un musée Historique : donner du sens aux choses et aux événements du passé.

Notre musée historique est le conservatoire de notre « mémoire collective », pour reprendre le mot forgé ici à Strasbourg par le sociologue Maurice Halbwachs.

Notre musée historique est chargé des émotions et des passions collectives.

Il est aussi, et surtout, un endroit d’intelligibilité, le lieu où le passé devient récit et où Strasbourg se raconte dans l’épaisseur du temps et de la durée…

 

Et que Strasbourg raconte-t-elle d’elle-même dans ce musée ?

Que dit-elle de ces siècles qui l’ont forgée et construite, notre belle et grande ville ?

Elle nous apprend, d’abord, qu’elle a tiré sa force et son génie de sa position géographique, qui a fait longtemps d’elle la plus française des villes allemandes et aussi la plus allemande des villes françaises.

Elle nous apprend que sa prospérité comme les renaissances culturelles et intellectuelles qui ont eu lieu ici ne sont pas le fruit du hasard.

Ils sont avant tout le fruit de la volonté et du travail de ces hommes qui partageaient une confiance si solidement ancrée en leur âme qu’ils donnèrent à l’Europe toute entière son point culminant.

Oui, l’histoire de Strasbourg nous montre que tout est affaire de volonté et de ténacité.

Que l’on regarde par exemple le « premier âge d’or strasbourgeois », celui de la Ville Libre.

Si notre ville alors rayonne, c’est par le savoir-faire de ses artisans qui sont tournés vers le royaume de France aussi bien que vers le Saint Empire.

Si notre ville alors se taille un nom dans l’Europe médiévale, c’est par les intellectuels qu’elle attire à elle, les innovations qu’elle accomplit dans tous les domaines : les sciences, la médecine, la pharmacie.

Sans oublier l’imprimerie qui se développa après Gutenberg d’une façon considérable.

Sans oublier non plus la religion, qui trouva ici, dans la ville de Sébastien Brant et de Geiler de Kaysersberg, un terreau propice à la Réforme.

Si notre ville traverse alors un âge d’or, c’est aussi par les droits régaliens qu’elle s’octroie : celui de former Conseil, de lever une armée, de battre monnaie, mais celui aussi de mener une diplomatie volontariste, à la suite d’hommes tels que Jacques Sturm, qui fut l’un de nos Ammeister…

C’est, enfin, par le système politique qu’elle adopte et dont Erasme de Rotterdam fera l’éloge, que Strasbourg se distingue comme une cité extraordinaire au Moyen Age : et ce système porte le nom de République…

 

Que l’on regarde également le deuxième âge d’or strasbourgeois : le XVIIIe siècle.

Des Palais se construisent, des artistes et des intellectuels convergent vers la ville : Voltaire a son libraire à Strasbourg, on voit Rousseau donner le Devin du Village au théâtre, on accueille Mozart et Casanova, on voit Metternich, Koutouzov ou Bonaparte suivre leurs études à l’université.

Le regretté doyen Livet rappelait qu’au XVIIIe siècle un tiers des étudiants strasbourgeois étaient russes !

Et puis, pendant cet âge d’or français, cette époque de la ville royale puis révolutionnaire, aucune cour d’Europe ne se serait imaginer vivre correctement un seul instant sans avoir en sa possession des objets de luxe que Strasbourg fabriquait, comme les faïences des Hannong ou des pièces d’orfèvrerie.

Si notre ville compte alors dans toute l’Europe au XVIIIe siècle, c’est également grâce à la Révolution française : c’est ici, au pont de Kehl, que commence le pays de la liberté et c’est d’ici que les idées des Lumières partent pour l’Allemagne et toute l’Europe centrale et orientale. L’espoir républicain, qui est l’espoir de la République de Strasbourg, est incarné alors par des figures aussi impressionnantes que celles de Kellermann ou de Kléber.

 

C’est Victor Hugo, lui qui voyait dans la statue de Gutenberg l’allégorie de la culture, dans celle de Kléber l’allégorie de la civilisation, et dans Strasbourg la promesse européenne de voir s’unir Allemagne et France, culture et civilisation, c’est Victor Hugo donc qui, peut-être, a le mieux saisi le sens de l’histoire de Strasbourg, lorsqu’il écrivait dans les Châtiments :

Le fer heurtant le fer

La Marseillaise ailée et volant dans les balles

Les tambours, les obus, les bombes, les cymbales

Et ton rire, ô Kléber…

 

Oui, l’histoire de Strasbourg n’est pas une historiette.

C’est une histoire militaire, une histoire de guerres et de batailles, un condensé de l’histoire de France et de l’Europe…

L’histoire de notre ville, c’est une belle et longue histoire. Elle ne nous apprend que deux mots, mais quels mots : Europe et République !

 

Alors, Mesdames, Messieurs, je voudrais remercier aujourd’hui toutes celles et ceux qui ont conduit à nos côtés, avec Fabienne Keller, le grand chantier de la réouverture de notre Musée historique : nos partenaires institutionnels (la Direction des musées de France, la Région et le Département) et l’ensemble des collaborateurs de la direction des Musées de Strasbourg, tout particulièrement nos conservateurs en chef – je veux surtout pas oublier Fabrice Hergott- et aujourd’hui Joëlle Pijaudier Cabot,

Monique FUCHS, et ses équipes. Et une nouvelle fois Laurent Marquart

Ensemble, nous avons relevé le défi d’ouvrir à nouveau les portes du Musée historique. Nous avons fait davantage encore : faire de ce Musée un lieu de la mémoire et, surtout, un lieu du sens.

 

Voila un grand jour certes, mais il reste beaucoup de travail devant nous. ? D’abord, je n’imagine pas chère Joëlle Pijaudier, Chère Monique Fuchs, que rien ne bougera ici et que tout est immuable. Des modifications, des ajouts, des présentations d’objets actuellement dans nos réserves, peuvent être envisagés. Et puis, surtout, nous allons, dans les prochaines semaines et dans les prochains mois, nous mobiliser pour poursuivre le travail muséographique qu’il reste à accomplir…

Dans les salles qui ouvrent aujourd’hui l’histoire de Strasbourg est présentée du Moyen Age aux années 1800… Plus de cinq siècles s’offrent ici à notre regard et une entreprise passionnante est devant nous : mettre en place la muséographie des XIXe et XXe siècles…

Je veux remercier, par avance, toutes celles et ceux qui travailleront avec nous à le faire, de manière à ce qu’à l’horizon 2009 nous nous retrouvions ensemble, ici, pour inaugurer ces nouvelles salles.

Mesdames, Messieurs,

Jean-Baptiste Kléber a certainement entendu Bonaparte s’exclamer un jour, en Egypte, devant l’Armée d’Orient : « Soldats, du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent. »

Aujourd’hui, vous permettrez à ma joie de me faire céder à un accès soudain de bonapartisme pour vous dire : « Strasbourgeois, du haut de notre Musée historique, ce sont cinq siècles, cinq siècles d’histoire de notre ville, cinq siècles d’histoire de Strasbourg, cinq siècles d’Europe, cinq siècles de République, que nous pouvons désormais contempler ! »