Remise de la Médaille d’Or du Mérite Européen à la Ville de Strasbourg

le mardi 24 avril 2007

 Discours de M. Jacques SANTER

Ancien Premier Ministre du Luxembourg

Ancien Président de la Commission Européenne

 

 La Fondation du Mérite Européen entend rendre hommage à la Ville de Strasbourg comme symbole de la réconciliation  franco-allemande et de l’Europe unifiée.

 

Située sur l’axe rhénan au point de contact entre le monde latin et le monde germanique, quelle autre Ville aurait été mieux prédestinée pour symboliser cette réconciliation entre ennemis héréditaires laquelle est le fondement même de la construction européenne. Sans réconciliation il n’y aurait jamais pu s’établir une paix durable en Europe. Si nous venons de célébrer il y a tout juste un mois la commémoration du cinquantenaire du Traité de Rome dans une autre ville symbole de cette Europe unifiée ou plutôt réunifiée, à Berlin, nous avons pu célébrer la plus longue période de paix dans l’histoire moderne des 27 Etats membres de l’Union Européenne.

 

Meurtrie par l’Histoire, ballottée depuis 1870 entre la France et l’Allemagne, déchirée par les deux conflits mondiaux, Strasbourg n’aura jamais cessé d’être la ville de la rencontre entre les cultures, voire entre les religions. C’est à Strasbourg que Gutenberg s’est réfugié pour entreprendre les travaux qui aboutiront aux XVième siècle à l’invention de l’imprimerie. C’est à Strasbourg que Calvin fut accueilli après avoir été banni de bien d’autres lieux. C’est à l’université de Strasbourg qu’étudieront Goethe et Metternich. C’est à Strasbourg qu’enseigneront, parmi bien d’autres noms illustres Louis Pasteur, Marc Bloch et les Prix Nobel Albert Schweitzer, Alfred Kastler et Jean Marie Lehn (Je suis également heureux de pouvoir saluer aujourd’hui parmi l’assistance le prof. Jean-Marie Mantz, doyen honoraire de la faculté de médecine de Strasbourg et Membre de l’Académie française de médecine qui a reçu la médaille d’or du Mérite Européen pour ses travaux sur l’éthique médicale européenne).

 

Siège du Conseil de l’Europe dès 1949, siège du Parlement Européen fixe dès le début de l’Union Européenne en 1958 et ensuite au traité d’Amsterdam en 1999, abritant de nombreuses autres institutions et organismes européens tels que la Cour Européenne des Droits de l’Homme, l’Assemblée des Régions d’Europe, la Fondation Européenne de la Science et j’en passe, -toutes ces institutions européennes et internationales prolongent la tradition séculaire de dialogue, d’ouverture internationale, de curiosité pour les autres cultures, de respect des différences de la tolérance qui constitue le substrat de l’humanisme européen. Elles sont bien entendu des instruments de gouvernance, mais bien au-delà elles ont vocation à être des instances d’échange, d’écoute et de dialogue.

 

Si Strasbourg a pu s’affirmer au fil des années comme un pôle d’attractivité au cœur de l’Europe, c’est grâce à l’action volontariste de ses autorités et grâce à la prévenance et la générosité de ses citoyens. Grâce à cette stratégie de développement volontariste l’accueil des organisations internationales a pu être facilité en termes d’accès, d’offre culturelle et de logement, la ville s’est ouverte pour constituer un cadre de vie agréable pour tous ceux qui venant de l’extérieur et d’horizons géographiques divers, sont appelés à y loger et surtout à y travailler.

 

Ville cosmopolite Strasbourg, symbole de l’unification du continent européen, est devenue une agglomération dynamique, un lieu de travail privilégié des institutions européennes, bref elle est élevée à la stature d’une capitale européenne.

 

Dans cet esprit la Fondation du Mérite Européen voudrait rendre un hommage vibrant à la Ville de Strasbourg et remettre à ses distingués représentants la sénateur-maire Madame Fabienne Keller et à M. le Président de la Communauté Urbaine les insignes de la Médaille d’Or.

 

discours de Fabienne Keller

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

L’honneur que j’ai à vous accueillir aujourd’hui à l’Hôtel de Ville de Strasbourg se double de l’immense plaisir que j’éprouve à vous y souhaiter la plus cordiale bienvenue…

Je voudrais saluer l’ensemble des administrateurs de la Fondation du Mérite européen, tout particulièrement Bruno Turbang, président du directoire, et Jacques Santer, président du Conseil d’administration.

Je veux également saluer toutes celles et ceux qui s’engagent pour faire vivre l’Europe dans notre ville et qui nous font ce soir l’amitié de leur présence.

A Strasbourg, l’Europe est l’affaire de tous… Elle est chevillée à l’âme de notre ville, puisant ses ressources dans les influences multiples que Strasbourg a reçues au long de son histoire. Elle vit aujourd’hui dans les institutions internationales que nous avons le privilège d’accueillir, dans nos universités et nos centres de recherches, dans le monde culturel et économique. Elle grandit dans chacun de nos projets et chacun de nos rêves.

Nous aimons l’Europe. Nous l’aimons parce que notre ville a éprouvé, jusque dans sa chair, la guerre et la barbarie, tragiques conséquences des déchirements entre les peuples de notre continent. Oui, à Strasbourg, nous savons qu’avant toutes choses l’Europe c’est la paix…

Nous l’aimons parce que nous avons, en nous, une conscience aigue de ce qu’elle est : l’une des plus belles aventures collectives de l’histoire humaine.

Nous l’aimons, enfin, parce que nous avons le privilège, depuis près de soixante ans, de la voir se construire ici à Strasbourg, pour ainsi dire sous nos yeux, de la voir grandir, avancer et accomplir des pas de géant…

Dans notre ville, nous conservons la mémoire de l’Europe à ses commencements, qui n’auraient été que d’utopiques balbutiements si les voix claires et fortes de Churchill, Spaak, de Gasperi, Schuman, Monnet ne s’étaient élevées ici, à l’ombre de notre cathédrale, lui traçant un sillon pour l’avenir…

Depuis la première réunion du comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui s’est tenue en 1949 dans les salons où nous nous trouvons, il aura fallu moins d’une vie d’homme pour que l’unité européenne se réalise, pour que les valeurs de notre civilisation s’affermissent et pour que les Européens s’entendent à décider eux-mêmes de leur destin.

Ancien président de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe puis du parlement européen, Pierre Pflimlin, Européen de raison et de cœur, auquel je pense avec beaucoup d’émotion en cette année où nous célébrons le centième anniversaire de sa naissance, Pierre Pflimlin s’émerveillait de ce double miracle qu’il avait vu se réaliser à Strasbourg : celui de la réconciliation franco-allemande et celui de la réconciliation de tous les Européens…

Et depuis Pierre Pflimlin, mes prédécesseurs et moi-même, Marcel Rudloff, Catherine Trautmann, Roland Ries, avons reçu, dans notre mandat de maire, une mission sans pareille : aider à la continuation de cette belle aventure et contribuer, à notre mesure, à accueillir à Strasbourg celles et ceux qui construisent l’Europe…

Je ne vous le cacherai pas : la tâche n’est pas tous les jours facile. Mais elle est passionnante. Elle est exaltante. Elle confère surtout à l’action publique un inestimable surcroît de sens…

Alors, aujourd’hui, je voudrais exprimer toute ma gratitude à la Fondation du mérite Européen d’avoir choisi de décerner à notre Ville sa médaille d’or.

Je la reçois, avec beaucoup de fierté et de bonheur, au nom de mes concitoyens et de notre ville toute entière.

Elle n’est pas, à nos yeux, une distinction comme les autres. Elle est, venant de vous et de la Fondation du mérite européen, un formidable encouragement, une incitation à continuer notre action, à poursuivre nos efforts pour encore mieux accueillir les institutions européennes dans notre ville et mieux faire vivre l’Europe à Strasbourg…

 

A Strasbourg, l’Europe présente un visage particulier. C’est là d’ailleurs où réside peut-être le principal intérêt du polycentrisme institutionnel auquel nous sommes si attachés à Luxembourg et à Strasbourg. L’Europe est, à nos yeux, comme l’amour d’une mère chez Victor Hugo :  « Chacun en a sa part et tous l’ont en entier ». En retour, chacune de nos villes essaie de lui apporter ce qu’elle croit receler de meilleur en elle : un style, une manière d’être, une voix singulière…

A Strasbourg, nous avons la chance d’accueillir tout à la fois des institutions émanant de l’Union européenne et des institutions relevant du Conseil de l’Europe. D’un côté, le Parlement et le médiateur. De l’autre, le Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’Homme, la Pharmacopée européenne, etc…

Cela crée assurément un climat et une couleur toute particulière : l’Europe présente d’abord à Strasbourg le visage d’une démocratie en mouvement, une démocratie qui vit au sein des deux assemblées parlementaires que notre ville accueille.

C’est ensuite une Europe du sens qui se fait jour à Strasbourg. Elle protège les libertés fondamentales de 800 millions d’Européens au sein de la Cour européenne des droits de l’Homme.

C’est enfin une Europe de la rencontre et de l’ouverture. La présence conjointe, dans la même ville, du Parlement européen et de l’organisation paneuropéenne qu’est le Conseil de l’Europe a favorisé très largement les élargissements successifs que nous avons connus au cours des dernières années, comme elle prépare aujourd’hui un avenir fait de coopérations plus étroites et plus poussées entre tous les pays européens, qu’ils appartiennent ou non à l’Union…

Cette Europe, ouverte et rayonnante, nous avons voulu la prolonger en créant « le Club de Strasbourg » : c’est l’union d’une quarantaine de métropoles issues des pays ayant rejoint l’Union au cours des deux derniers élargissements… Nous partageons, avec les maires de ces villes, une même foi et un même espoir en l’Europe. Nous construisons, entre toutes les villes du Club de Strasbourg, des liens durables, faits d’échanges, de réflexions et de projets communs. C’est une Europe des villes, une Europe des citoyennes et des citoyens, à laquelle nous essayons ensemble de donner une réalité concrète et tangible.

Aujourd’hui, je voudrais partager l’honneur que la Fondation du mérite européen avec l’ensemble des villes du Club de Strasbourg. Car s’il est un seul mot par excellence européen, c’est le mot « partage »…

 

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Vous accordez une insigne marque d’honneur à notre ville en lui remettant aujourd’hui la médaille d’or de la Fondation du Mérite européen.

Je voudrais à nouveau vous en remercier, en mon nom, en celui de la Ville de Strasbourg et de tous mes concitoyens.

Cette distinction nous oblige et nous engage à faire de Strasbourg une ville toujours plus européenne. Nous y mettrons collectivement tout notre engagement, tout notre cœur, toute notre passion

 

discours de Robert Grossmann

Extraits

 

Maintenant laissez moi vous parler d’Europe.

Nietzsche écrivait que dans l’antique Athènes un dieu veillait derrière chaque bosquet. A Strasbourg, sitôt que l’on ouvre une page d’histoire, c’est l’Europe qu’on rencontre…

Elle était là, avant même d’exister. Elle était là, dans le travail des bâtisseurs de cette cathédrale qui resta pendant des siècles le point culminant de toute la chrétienté…

Elle se tenait dans la main de Nicolas de Leyde, qui le premier conféra une réelle humanité à la statuaire, inscrivant l’idée même de la personne humaine dans leur visage et leur attitude…

Elle était dans l’atelier de Jean Mentelin, qui, préfigurant la Renaissance et la redécouverte des œuvres des Grecs et des Latins, imprima les éditions princeps de Virgile, de Valère-Maxime, de Terence ou encore d’Aristote.

Elle marchait, d’une université l’autre, d’une ville l’autre, dans le sillage de Maître Eckhart, d’Albert le Grand, de Sturm, de Goethe ou de Victor Hugo… Elle se faisait fantasque et chimérique sous le pinceau de Dürer et de Baldung Grien…

Et c’est elle encore qui était là, dans les mots d’Erasme de Rotterdam, décrivant notre Ville Libre comme une république idéale…

Cette histoire-là, cette singulière histoire de Strasbourg, c’est, comme en un condensé, l’histoire de l’Europe toute entière. Il y a entre les anciennes villes frontières de notre continent (Wroclaw, Trieste, Budapest, Strasbourg…) la familiarité de ceux qui savent la valeur de l’Europe parce qu’ils ont éprouvé le prix de son absence.

Notre histoire, strasbourgeoise et européenne, est faite de guerres et d’exodes. Elle a été longuement malmenée par l’antagonisme des empires et des nations, mais, éclipsant tout cela, l’esprit humain y fit don de ses plus hautes productions et de ses plus prodigieuses œuvres au monde.

 

L’Europe à Strasbourg est non seulement l’horizon de tous nos projets et de tous nos espoirs. Elle est bien davantage encore : elle est notre culture, ce qui vient du plus profond de nous même, qui nous façonne et que nous voulons transmettre et propager…

Nous sommes fiers d’accueillir, depuis 1949, des institutions aussi considérables que le Conseil de l’Europe, le Parlement européen ou la Cour européenne des droits de l’Homme.

C’est une mission qu’avec Fabienne Keller nous considérons comme l’une des plus exigeantes et l’une des plus importantes.

Nous ne nous ménageons pas nous-mêmes comme nous ne ménageons pas nos partenaires, tout particulièrement l’Etat français, auquel il est parfois assez difficile, depuis que Philippe Le Bel a inscrit au dictionnaire des idées reçues qu’hors le centralisme il n’était point de salut, un Etat donc qu’il est parfois assez difficile de ranger à l’idée que la France a désormais une autre capitale, une capitale européenne…

Inlassable combat donc, inlassables efforts, invitant cent fois à remettre sur le métier l’ouvrage pour Strasbourg et pour l’Europe.

Mais aussi exigeante et stimulante soit cette tâche d’accueillir les institutions européennes, de faciliter la vie à celles et ceux qui viennent siéger et travailler à Strasbourg, elle n’est pas tout.

Voyez : à nos yeux, l’idée de Paul Valéry demeure selon laquelle l’esprit européen est un « principe du maximum ». Et l’Europe à Strasbourg, le caractère éminemment européen de notre ville comme la présence d’institutions internationales, nous invite à nous engager toujours plus loin, à être les Européens du maximum…

Sous l’impulsion de Fabienne Keller, le club de Strasbourg a été créé, rassemblant les villes de la nouvelle Europe unie. Nous avons mis en œuvre l’Eurodistrict, le projet commun à tous les citoyens qui vivent ici sur l’une ou l’autre rive du Rhin et qui est appelé à devenir le laboratoire de ce que sera demain l’Europe.

Nous avons également posé la candidature de notre ville au titre de capitale européenne de la Culture en 2013… Non pas pour décrocher un titre supplémentaire, mais pour inscrire durablement la création, la formation artistique, toute la vitalité culturelle de notre ville dans une dimension plus européenne encore…

On prête à Jean Monnet une formule qu’il n’a à l’évidence jamais prononcée - l’aurait-il prononcé qu’il ne l’aurait assurément pas pensée - : « Si l’Europe était à refaire, c’est par la culture qu’il faudrait la commencer. »

Nous le savons à Strasbourg : l’Europe a commencé, loin dans notre histoire, par la culture et par l’art. Et c’est le destin de l’Europe d’être appelée vers la culture, vers l’invention de nouvelles formes et de nouvelles idées, vers l’invention d’un nouvel humanisme commun à tous les Européens. C’est cet espoir-là, cette promesse et ce destin, dont Strasbourg veut témoigner aujourd’hui plus que jamais.