Le 23 novembre 1976 à six heures du matin disparaissait l’auteur des Chênes qu’on abat .(1)

Depuis Lazare (2) il sentait avec douleur s’approcher l’inexorable faucheuse qui allait l’abattre à son tour.

Son ami Albert Beuret l’assistait en son dernier adieu et Jean Mauriac (3) nous rapporte ses impressions : « Malraux avait le masque qu’on lui connaît bien, plein d’inquiétude et d’angoisse, un visage supplicié par l’approche de la mort. Malraux l’a dit dans Lazare : L’univers de l’inconscient et du conscient échappe à toute donnée médicale »

La veille il échangeait quelques mots avec le professeur Rapin « Les choses comme les hommes ne valent que les unes par rapport aux autres »

Le professeur Bertagna le rassura à propos de meilleurs examens du laboratoire « C’était déjà dans Courteline », lui répondit-il douloureusement ironique.

Sophie de Villmorin lui demanda juste avant qu’il ne sombre dans le coma :

« Souffrez vous ? » Il répondit: « C’est une interminable corvée… »

Ce furent ses dernières paroles. Terrible leçon de mort de celui qui tenta sa vie durant de juguler et de défier le destin.

Malraux restera sans nul doute une géniale énigme qui, sa vie durant, ne cessa d’interroger les invisibles sphinx qui fixent de leurs regards muets La condition humaine .(4)

Il nous offrit dans ses romans et ses essais ses quêtes et les réponses qu’il semblait discerner. L’Espoir (5) aussi bien que Les voix du silence (6) ou le Musée imaginaire (7) constituent autant de dons livrés à notre méditation.

« Le génial ami » dont de Gaulle tenait à s’entourer affirmait que « l’art était un anti destin » Mais la démarche qu’il proposait à l’homme pour esquiver son désespoir ontologique consistait à s’engloutir dans l’action. Toute sa vie Malraux célébra l’engagement dans l’action, toute sa vie il questionna les œuvres d’art en estimant que « l’artiste n’était pas le transcripteur du monde mais qu’il en était le rival. »

Cet agnostique qui demeura fidèle jusqu’au bout au père Bockel s’intéressa donc avec passion au rival de l’artiste, Dieu lui même.

Bockel n’était pas le seul lien de Malraux avec Strasbourg et l’Alsace.

On connaît l’histoire de la brigade Alsace Lorraine. Rappelons que le nom de guerre qu’il se choisit : colonel Berger était un hommage à l’Alsace. Il expliquera que ce nom le séduisit parce qu’il pouvait se prononcer en français et en allemand.

C’est dans les « Noyer de l’Altenburg » (8) que Malraux mit en scène l’Alsace et le couvent où se déroule une part importante de l’action n’est autre que celui du mont Sainte Odile.

Innombrables sont les épisodes de sa vie qui sont liés à l’Alsace et notre ville ne peut être insensible à tout ce que cet intellectuel génial (qui n’avait pas son bac !) a apporté à l’histoire de la pensée et à la culture dont il fut, par la volonté de de Gaulle, le premier ministre français.

Sa proclamation de foi inscrite dans le décret du 24 juillet 1959 est plus que jamais d’actualité : « Rendre accessible les œuvres capitales de l’humanité et d’abord de la France au plus grand nombre possible, assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent. »

Dans « Malraux par lui même » (9) une singularité s’offre à nous. Ecrit par Gaëtan Picon ce petit manuel avait été entièrement relu par Malraux qui l’a annoté. Voici ce qu’il y écrivit lui même : « Vous savez qu’ensuite tous les événements décisifs de ma vie ont été liés à l’Alsace, jusque par les noms des rues où ils se sont passés »

Il était bien normal que Strasbourg se souvienne et donne le nom de Malraux à un de ses sites les plus significatifs. C’est ainsi que le môle du bassin Austerlitz d’où rayonnera demain la grande bibliothèque s’appellera désormais :  "Presqu’île André Malraux ".

1) Les chênes qu'on abat 1971, A.M. nrf

2) Lazare, Le miroir des limbes 1974, A.M. nrf,

3) L’après de Gaulle Jean Mauriac 2006 Fayard

4) La condition humaine prix Goncourt 1933 AM

5) L’espoir 1937 AM nrf

6) Le voix du silence 1951 AM nrf

7) Le musée imaginaire 1952 AM nrf

8) Les noyers de l’Altenburg AM 1943 nrf

9) Malraux par lui même Seuil 1961

La presse, avril 1969 Malraux pendant son discours aux jeunes gaullistes de l'UJP

la tribune : Pompidou, Couve de Murville, RG, Malraux, Michel Debré

tête à tête

entrée dans un indescriptible enthousiasme d'André Malraux avant de prononcer son discours à la jeunesse