Jean dOrmesson, les bons mots et la création du monde
Par Robert Grossmann le dimanche, 19 novembre 2006, 17:06 - lire...littérature - Lien permanent
Lorsquil nous raconte avec le sourire que, parti de Paris aux aurores pour être à lheure au journal télévisé de France 3, et quil arrive pour se voir opposé une grève, je songe à la tête que jaurais fait à sa place Quant au téléspectateur alsacien pas de Jean dOrmesson !
Je lui parle de son papier du Figaro, du 6 novembre, si pertinent où il évoque le duel Sarko-Ségolène : « Il est permis de soutenir quà gauche, ce sera lunion après les débats. A droite, pas de débats. Mais pas dunion non plus. On peut le regretter. » Nous pensons tous quil nest pas impossible den arriver à cette absurdité. Les quelques petits événements de ces derniers jours autorisent à craindre le pire. Et Jean dOrmesson nous parle dun nouveau papier, à paraître dans les jours qui viennent et quil écrit sous forme de contes, pour enfoncer le clou. Puisse-t-il être entendu.
Je lui suggère de rassembler ses tribunes, critiques, éditos pour nous les livrer en un volume de type « bloc notes » Il enregistre.
A propos de textes il nous raconte celui quil écrivit en 1974 pour saluer laccession à la présidence de la République de son ami Giscard .Le giscardien dOrmesson fut reçu une fois, et une seule, par le président de la République Giscard en son Elysée.
Aux lendemains de lélection de Mitterrand il commit un texte assassin dans lequel il annonce que le tribunal de lhistoire lui demandera des comptes. Un texte dont jai honte tellement il était comminatoire ajoute Jean. Mitterrand le reçut une douzaine de fois et, très particulièrement, au moment même de quitter lElysée. Cest dOrmesson qui fut son tout dernier visiteur.
Cette rencontre et les détails quil nous en livre sont totalement passionnants. Jean dOrmesson resta alors discret sur la teneur de lentretien sauf sur un de ses éléments quill livra à un journaliste : Mitterrand eut des mots durs sur la puissance du lobby juif. Rapporté dans la presse cela déclencha des tempêtes médiatiques. Dormesson en fut (officiellement ?) très étonné) et en parla avec plusieurs proches de Mitterrand dont Roger Hanin qui lui dit avec la simplicité de lévidence. « Mais, naturellement ! il nous la souvent dit à nous aussi »
Mais quittant le domaine, aujourdhui trouble et déprimant de la politique, nous parlons de son dernier livre quil présente à la Librairie Kléber dans laprès midi, La création du monde.
Un souvenir dabord, alors que nous parlons évidemment de Jonathan Littel et des ses bienveillantes, ce grand livre qui donne envie de vomir à chaque page
Lorsque jétais tout petit, dans les années trente, en Bavière où mon père se trouvait en poste javais assisté à un défilé populaire et de rutilants uniformes avec fanfares défilaient. Je me suis mis à applaudir tant le spectacle était entraînant. Mon père me décocha une gifle, la seule de ma vie. Je navais pas compris, cétait des nazis qui paradaient
!Il en parla souvent de cette gifle et notamment avec Jankélévitch pour qui il eut une grande et réelle admiration. Jankélévitch lui dit à propos de cette gifle: la seule limite à la tolérance cest lintolérable
La question tourne autour des Bienveillantes : grand livre. Je lui demande sil estime que cela peut ressembler à du Tolstoï ou du Vassili Grossmann (sourires de Daniel Riot et de François Wolfermann ) Non, un grand livre On attend de voir lévolution de lécrivain et reste posée la question du style et du souffle quil faut à un grand roman.
Puis fuse lesprit, fusent les mots, les bons mots qui illuminent la rencontre.
DOrmesson raconte ses poètes, ses écrivains, ses admirations.
Il se souvient de Simone de Beauvoir à Marcel Gallimard :
« Je méditerai, tu méditeras.
Je tenlacerai tu ten lasseras »
Une réplique de Lhabit vert où un flatteur dit à un écrivain :
« Jai tant dadmiration pour votre génie
La réplique pourrait être dormessonienne : -Pourquoi ces restrictions ? »
Cioran
au cours dune de leurs conversations: « Si Jésus avait été noyé au lieu dêtre crucifié nous aurions tous un aquarium au dessus de nos têtes.Nous éclatons de rire à chaque phrase que nous raconte Jean avec une vélocité et une fraîcheur extraordinaire
De Tristan Bernard : Quelquun admiratif devant une de ses assertions :
« Il est de vous ce mot ?
-Oui mais pas pour longtemps »
Nous parlons de notre succès strasbourgeois avec la rencontre décrivains de septembre autour de la Bibliothèque Idéale. Je la lui décrit sans trop de précautions : « nous avons eu beaucoup décrivains ce fut une belle réussite ... » Nous lui demandons d'y venir en 2007 pour la seconde édition. « Oui, mais ce qui mennuie, nous dit-il avec un des ses sourires illuminés dironie, cest « le beaucoup décrivains »
Magnifique illustration de lorgueil de lartiste. Lhumour et lautodérision de la formulation donnent presque envie dacquiescer, mais nous estimons tous quil faut une soirée spéciale dOrmesson lannée prochaine. Et François Wolfermann le premier lui en fait la proposition
Nous insistons tous pour quil revienne à Strasbourg. Jean dOrmesson ne dit pas non. Il ne dit rien et nous fixe avec son beau regard bleu, un peu plus profondément quavant. Un moment de silence et nous devinons que parler de lavenir à quatre vingt et un an constitue une audace quil sinterdit.
Commentaires
Bonjour Robert. Non seulement tu es bon rapporteur (ou reporter) mais tu es fidèle dans tes compte-rendus. C'est vrai qu'une rencontre avec Jean d'O, c'est une fête de l'esprit! Avec toi aussi, d'ailleurs, quand on parle litterature. Cordialement (et respectueusement, bien sûr)
Bravo, bravo et encore bravo. Ce mini récit sur Jean D'Ormesson est un régal pour les yeux et l'esprit. Qu'il naisse tous les ans et pendant 100 ans un Jean d'Ormesson et le monde sera meilleur pour l'éternité. Un vrai délice...
Bonjour Robert,
Bonheur partagé à la lecture de ton récit d'une soirée avec Jean D'Ormesson. Certes il hésite à s'engager pour l'année prochaine , mais, ayons confiance , n'est-il- pas "immortel"?
Je ne partage pas du tout vos point de vues sur Jean d'Ormesson, et les derniers livres qu'il vient de sortir sont une reconnaissance de ce que je disais à propos du "Rapport Gabriel"
Voir le lien suivant :
www.liremoi.com/Le-genie-...
Il est très fort d'être aussi présent dans les médias avec autant de vide à apporter !