trop tôt, évidemment, à l'âge de soixante ans.

Il écrivait "avoir eu la tétée au jus d'octobre", c’était un 22 octobre 1921.

C’est étrange, le mois d’octobre…Brel est mort le 9 octobre 1978…

Brassens constitua le grand choc de mes quinze ans. Lorsque j'entendis pour la première fois "chanson pour l'Auvergnat" je compris qu'il se passait quelque chose d’énorme dans le monde de la poésie. La langue ressuscitait, la classique aussi bien que l’argot.

La manière dont Brassens forgeait ses mots en ciselant ses phrases et leurs mélodies l'a immédiatement inscrit dans la lignée des plus grands artisans de la littérature française. Je me souviens qu'à l'époque des universités suédoises ou canadiennes le proposaient comme "l'écrivain français dont il fallait étudier la langue."

Mais, au delà de cette singularité totalement déroutante à une époque où l'on n'était censé s'intéresser qu’à ceux recensés dans les manuels patentés, c’est aux âmes qu’il s’adressait.

Les chansons de Brassens allaient droit à l’âme et y produisaient leurs petits ou grands bouleversements.

C’est aujourd’hui tout Brassens qu’il faudrait relire, et ses textes, qui existent en livre de poche, donnent cette envie rare de se les réciter, de se les fredonner.

Je connais aujourd'hui des jeunes férus de chansons qui évitent Brassens.. Trop simple… pas assez musical, peut-être selon eux, pas mode.

Quelle monstrueuse erreur. Le nombre d'orchestres qui interprètent du Brassens, mettent en lumière la manière très élaborée et très travaillée, très subtile de ses mélodies, est impressionnant. Brassens est superbe en Jazz…pourquoi pas en rap ?

Brassens à chanté de beaux poètes : Victor Hugo et son exceptionnel Castibelza, Verlaine, Aragon, Paul Fort d’autres encore.

Ce qui est admirable chez Brassens et si rare dans la chanson, c’est qu’il forge des miracles de petits joyaux où la mélodie, les paroles, son timbre de voix même, sont tellement joints et indissociables qu’on ne peut que les cueillir tout entiers comme les fruits d’une opération magique. Elaborés dans l’antre de l’alchimiste élevée à la dimension de forge céleste. On en est mué, on en est transmué.

A ceux à qui je pardonne un premier réflexe superficiel qui les inciteraient à ne pas s’y intéresser, je demande de lire et d’écouter et aussi de comprendre la permanence de Brassens.

Sa poésie traverse les temps.

La camarde, qui ne m’a jamais pardonné

D’avoir semé des fleurs dans le trou de son nez,

Me poursuit d’un zèle imbécile.

Alors, cerné de près par les enterrements,

J’ai cru bon de remettre à jour mon testament,

De me payer un codicille………

………………………………….

Et quand, prenant ma butte en guise d’oreiller,

Une ondine viendra gentiment sommeiller

Avec moins que rien de costume,

J’en demande pardon par avance à Jésus,

Si l’ombre de ma croix s’y couche un peu dessus

Pour un petit bonheur posthume

Pauvres rois, pauvres pharaons ! Pauvre Napoléon !

Pauvres grands disparus gisant au Panthéon !

Vous envierez un peu l’éternel estivant,

Qui fait du pédalo sur la plage en rêvant,

Qui passe sa mort en vacances…

 

L’admirable poème d’Antoine Pol : Les passantes

Je veux dédier ce poème

A toutes les femmes qu’on aime

Pendant quelques instants secrets,

A celles qu’on connaît à peine

Qu’un destin différent entraîne

ET qu’on ne retrouve jamais.....….

 

La prière, de Francis Jammes

......................................

Par les gosses battus par l’ivrogne qui rentre,

Par l’âne qui reçoit des coups de pieds au ventre

Par l’humiliation de l’innocent châtié,

Par la vierge qu’on a déshabillée,

Par le fils dont la mère a été insultée

Je vous salue Marie....

La marine, de Paul Fort

On les r’trouve en raccourci, dans nos p’tits amours d’un jour, toutes les joies tous les soucis des amours qui durent toujours......................

Mais ce sont évidemment tous ses textes qu’il faudrait citer .

Alors j’ai envie de dire aux jeunes qui ne l’estimeraient pas assez musical ou pas assez poète, ou peut-être dépassé : Elle ne serait pas actuelle « la vierge qu’on a dehabillée » .....dans une cave pour commettre des viols collectifs appelés poétiquement « tournantes » ?

Pas actuel ? "Ci gît au fond de mon âme un histoire ancienne, un fantôme un souvenir d’une que j’aimais… »

Et, pour être plus « sociétal » :

………

Il y a peu de chances qu'on

Détrône le roi des cons

.............

Je, tu, il, elle, nous, vous, ils,

Tout le monde le suit docil’........

 

Que, ça s’est vu dans le passé,

Marianne soit renversée,

Il y a peu de chances qu’on

Détrône le roi des cons (à lire en entier évidemment)

Mais si quelqu’un d’aventure estimait que Brassens n’est pas mode, ça me conviendrait plutôt bien. C’est effrayant la mode, c’est fallacieux, artificiel, évanescent, c’est du sable, la mode. Préfèrons la solidité du bronze et, parfois chez Brassens, la pépite toute pure.