Jean Mauriac : Un grand livre politique
Par Robert Grossmann le vendredi, 27 octobre 2006, 14:15 - lire...littérature - Lien permanent
Jai été comme fasciné à chaque page de « Laprès de Gaulle », notes confidentielles, de Jean Mauriac, qui retracent vingt années de pouvoir, de coulisses, vingt ans de confidences, de 1969 à 1989.
Jai vécu cette période et je ne me doutais pas que tant dacteurs de premier plan de la scène politique nationale, que je vénérais jeune homme, aient été aussi faibles, légers, inconscients et ressemblent autant à certains de ceux qui évoluent aujourdhui. Les poisons et les délices, les trahisons et les condamnations à mort politique, les sentences meurtrières, les retournement de vestes, les volte face sont évoquées au fil de ces confidences, lair de pas y toucher.
Il est clair que Jean Mauriac, le superbe auteur de « Mort du général de Gaulle », ne destinait pas ces "notes confidentielles" à la publication.
Elles nous saisissent d'autant plus directement que le ton est dune absolue sincérité. Mauriac au fond se parle à lui même et se rend compte, sans nul doute, quil décrit une triste comédie humaine qui dévale imperceptiblement vers un abîme de déceptions.
Pourtant on part de haut et de loin : les derniers jours de de Gaulle. La fin dun Prince, le dernier à avoir une conception éthique du pouvoir. Le glissement vers les dérives, puis la progression vers la décadence senchaînent ensuite, rythmés par des noms symboliques, Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac, Chirac, Chirac.
Qui donc nous raconte, sans savoir que ces confidences là seront consignées puis restituées, cette triste épopée? Olivier Guichard, Raymond Barre, Jean de Lipkowski, Michel Jobert, Yves Guéna, Roger Frey, Jacques Chaban Delmas, mais aussi Pierre Juillet, Marie France Garaud, Philippe Seguin et tant dautres.
(Parenthèse pour tous ceux qui, ici en Alsace, ont eu droit de manière incessante à des leçons de morale chiraquienne, à une permanente culpabilisation, je recommande la lecture attentive de la page 519 ils boiront du petit lait )
Il y a dans ces "confidences" des pages admirables, quil faut avoir lues, quil faut conserver précieusement, jallais écrire pieusement, sur madame de Gaulle, tante Yvonne des pages danthologie sur la mort de Malraux!
Mais de manière globale on voit en permanence, dans ce livre, la bassesse, la mesquinerie, la haine, la soif inextinguible de pouvoir.
Pauvre Chaban qui, après son douloureux échec aux présidentielles, sattend à être à nouveau premier ministre de Giscard... de Mitterrand. Il ne fut pas le seul à rêver son destin Barre lui aussi et Guichard...
Et dire que tous ceux qui se sont exprimés, de 1975 à 1989 ont prédit presque tous la fin irrémédiable et définitive de Chirac, tricheur, traître, girouette, menteur, qui ne serait jamais président de la République ! (je les cite )
Le temps a passé. Il a rendu ses verdicts et cest là quon aperçoit la pauvreté des jugements humains, les caprices du destin, la futilité de toutes les choses du pouvoir.
Une lecture passionnante, un grand moment de philosophie politique vécue.
Comme disaient les anciens: primo vivere, deinde philosphare. Au travers de ces confidences cest la vie qui sexprime et invite à la méditation.
Je recommande ce livre à tous ceux qui sont passionnés dhistoire, de politique, de psychologie et en priorité à ceux qui exercent des responsabilités et à leurs environnements. Mais aussi à tous ceux qui s'intéressent à leurs élus et les observent.
PS. Vous verrez que les histoires entre Fabius et Royal, Villepin, MAM et Sarko ne sont que des remakes actualisés de la grande histoire des passions humaines autour du pouvoir !
Commentaires
Lauteur de ce livre Jean Mauriac nest pas nimporte qui, en effet. Fils de François Mauriac, il suivra les traces du Général de Gaulle jusquen 1969 Bien des bloggeurs nétaient pas nés à cette époque. Son livre nous dévoile, au cas où limagination ne le ferait pas le « côté obscur » et « humain, trop humain » dirait Nietzsche, de la vie politique.
Il ne faut donc pas revenir jusquà Machiavel pour découvrir autant les actes, que la révélation de personnalités devant leffort, lobstacle, la difficulté ou simplement lexercice du pouvoir. Certains sont ainsi Janus et leurs visages varient. On dit que cela naurait pas changé, jusquaujourdhui, média training ou pas.
Vous oubliez de citer, le co-auteur Jean-Luc Barré dont les Mémoires du général de Gaulle dans la Pléiade doivent aussi être dans votre bibliothèque. Je vous signale sa belle biographie de Dominique de Roux.
La page 519 mérite en effet que lon sy arrête ! Quon la diffuse ( urbi et orbi) autant que le livre. Quant au reste, effectivement, par delà la succulence de lhistoire vue par un autre bout de la lorgnette, elle est de gauche, comme de droite, révélatrice de livresse du pouvoir.
Il en est donc du pouvoir comme du bon vin, certains supportent, certains non, certains lont gai, dautres assassin et finalement cest aussi simplement une question de carrure ! Aujourdhui, comme hier
Je vous savez cultivé et lecteur, Alsator, mais pas au point de suivre ( ou précéder), notre webmestre dans ses lectures.
Jean Mauriac dont je ne connais pas encore ce dernier livre n'en est pas à son coup d'essai. Concernant ce livre, on dit qu'il dépeint le le chemin de croix des héritiers jusqu'à François Mitterrand.
S'agit-il d'un crépuscule conté ?
Pour ceux qui souhaite découvrir le contenu de la fameuse page 519 je vous invite à vous rendre à l'adresse suivante
johnnyhalite.hautetfort.c...
ce livre nous glisse dans la confidence et les coulisses dune fin dépoque étonnante tant la réalité désacralise la geste des « barons » gaullistes.
Car, même si on le savait, il est éloquent de mesurer combien les rivalités entre héritiers sont violentes, comment sont recuites les haines entre ceux qui furent grognards ou courtisans et qui, le grand homme disparu, se déchirent à belles dents.
Au fil de plus de 500 pages qui tiennent en haleine, le lecteur voit se réveiller les morts et les fantômes dun autre temps : Michel Debré, Olivier Guichard, Jean de Lipkowski, Yves Guéna, Roger Frey, Maurice Couve de Murville, Pierre Messmer, Michel Jobert,
Aux avants-postes, figurent bien sûr Georges Pompidou et Jacques Chirac.
Les notes prises par Jean Mauriac témoignent à quel point le premier fut considéré jusquà sa mort comme un usurpateur et en quelle piètre estime est tenu le second.
Quant aux deux victimes de Chirac, Jacques Chaban-Delmas et Valéry Giscard dEstaing, ils sont dépeints sous des couleurs peu flatteuses.
Il en est un qui trouve grâce aux yeux du chroniqueur, mais aussi auteur, de ce jeu de massacre : Raymond Barre, qui confie à Jean Mauriac, après sa défaite aux présidentielles de 1988, « Je savais, en me présentant à lélection, par où je devrais passer Eh bien, je me suis trompé ! Tout est encore plus abject que je laurais imaginé ! »
Pour autant, et même si des convictions divergeant de celles de Jean Mauriac peuvent trouver agaçants ses jugements sans concession, « Laprès de Gaulle » reste un document exceptionnel et un témoignage irremplaçable sur cette époque révolue.