André Malraux, le grand écrivain dont le Général De Gaulle avait fait son Ministre de la Culture, a un jour déclaré que « la Fondation de l’Oeuvre Notre Dame est un Monument Historique vivant ».

Je pense que cette phrase exprime particulièrement bien le caractère exceptionnel de l’Oeuvre Notre Dame.

L’Oeuvre est exceptionnelle parce qu’elle existe sans interruption depuis le début du 13ème siècle. C’est la seule « Münsterbauhütte » qui soit dans ce cas en Europe. De plus, une très grande partie de ses archives a été conservée. Je vous laisse imaginer combien cela représente une source irremplaçable pour celui qui souhaite étudier le passé

Elle est aussi exceptionnelle parce que depuis son origine, elle a été organisée non seulement pour réaliser des travaux mais également, ce qui est le plus important, pour assurer par ses propres revenus le financement de ces travaux.

Aujourd’hui, l’Oeuvre à des propriétés agricoles dans plus de 125 communes en Alsace, mais il y a eu une époque particulièrement faste où l’Oeuvre possédait plus de 100 maisons dans la ville de Strasbourg.

Mais le vrai, l’irremplaçable trésor de la Fondation ce sont les savoir-faire de ses artisans.

Avant de vous raconter l’histoire de l’Oeuvre Notre-Dame, je pense qu’il convient de vous dire quelques mots de Strasbourg.

Pour Ermold le Noir (Ermoldus Nigellus) moine Aquitain exilé dans notre région à partir de 824, Strasbourg est « La ville des routes » en référence à son étymologie qui trouve son origine dans le terme germanique « Strateburgo », mentionné pour la première fois au début du 5e siècle.De par sa situation géographique et son nom prédestiné, Strasbourg devient très tôt un carrefour européen incontournable. Au milieu du siècle dernier, Robert Schuman qualifie « Strasbourg Tribune de l’Europe » lorsque la ville accueille en 1949 les institutions européennes. La promotion de Strasbourg au rang de capitale de l’Europe, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, est l’aboutissement d’une longue histoire intensément vécue par ses habitants.

Le charme de Strasbourg réside dans le côté pittoresque de la vieille ville, mais aussi dans la très grande qualité de ses différents quartiers. Ils sont le témoignage des courants artistiques, mais surtout de la volonté des élus de Strasbourg d’embellir leur ville et de privilégier un urbanisme de grande qualité.

Il est impossible de parler de Strasbourg sans évoquer sa célèbre Cathédrale située au milieu des vieux quartiers de la ville. Ce monument est une magnifique œuvre d’art chargée d’histoire, dont le destin a souvent été lié à celui de Strasbourg et de l’Alsace.

Fierté depuis toujours des Strasbourgeois, mais aussi de l’ensemble des Alsaciens, la Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg représente l’emblème de la ville par excellence. Elle est aussi un haut lieu de l’Europe et l’un des symboles de la réconciliation franco-allemande après 1945. Le cœur de la ville et la Cathédrale ont été classés, en 1988, au titre du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Souvent célébrée par les écrivains au cours des siècles, la Cathédrale de Strasbourg a fait notamment l’objet d’hommages remarquables, formulés par deux grands hommes de lettres européens. L’un est allemand, l’autre est français.

Johann Wolfgang Goethe a été l’un des premiers à redécouvrir les qualités de l’architecture gothique, qui dans le passé avait été longtemps décriée et présentée comme un art barbare. Dans son livre « Dichtung und Wahrheit » publié en 1772 il écrit :

« Plus je contemple la façade de la cathédrale, plus je suis conforté dans ma première impression qu’ici l’élévation est alliée à la beauté. »

« Je mehr ich die Facade desselben betrachtete, desto mehr bestärkte und entwickelte sich jener erste Eindruck, dass hier dass Erhabene mit dem Gefälligen in Bund getreteten sey ».

Lors de son séjour à Strasbourg, en août et septembre 1839, Victor Hugo visite la Cathédrale. Celle-ci l’impressionne dès son arrivée à Strasbourg, comme en témoigne une lettre publiée dans son livre « Le Rhin ».

« Tout à coup, à un tournant de la route, j’ai aperçu le Münster. L’énorme cathédrale, le sommet le plus haut qu’ait bâti la main de l’homme après la grande pyramide. Je n’ai jamais rien vu de plus imposant. »

Dans une autre lettre, il relate sa visite de la cathédrale de Strasbourg.

« Le Münster est véritablement une merveille. Les portails de l’église sont beaux, particulièrement le portail roman, il y a sur la façade de très superbes figures à cheval. La rosace est noble et bien coupée, toute la face de l’église est un poème savamment composé. Mais le véritable triomphe de cette Cathédrale, c’est la flèche. C’est une vraie tiare de pierre avec sa couronne et sa croix. C’est le prodige du gigantesque et du délicat. J’ai vu Chartres, j’ai vu Anvers, il me fallait Strasbourg ».

L’histoire de la Fondation de l’Oeuvre Notre-Dame est étroitement liée à celle de la Cathédrale de Strasbourg. Son rôle fut fondamental dans la construction de la Cathédrale, mais aussi dans l’entretien, la conservation et la restauration de l’édifice, depuis l’achèvement de la flèche en 1439.

Trop longue serait la liste des dégâts qu’il a fallu réparer, depuis les multiples incendies provoqués par la foudre, en passant par les ravages des guerres, jusqu’au sauvetage du massif occidental par la reprise des fondations d’un des piliers en sous œuvre.

La Fondation anime la vie du chantier de la Cathédrale depuis presque 800 ans

L’absence de documents du début du 13ème siècle ne permet pas de dater avec exactitude la création de l’Oeuvre Notre-Dame. Sa première mention apparaît cependant vers 1224-1228.

Le nom lui-mêmed’Oeuvre Notre-Dame » date du 19 ème siècle et traduit « Das Werk Unserer Lieben Frau ».

L’Oeuvre a été crééepar l’évêque et le chapitre de la Cathédraleafin de mieux gérer les nombreux dons et legs destinés uniquement à la reconstruction de la Cathédraleromane. Reconstruction qui a commencé à la fin du 12e siècle. Depuis l’origine, la Fondation assure aussi la gestion et l’organisation du chantier de la Cathédrale.

La rivalité pour le pouvoir entre l’Eglise et les bourgeois de la ville va trouver son point culminant à la bataille de Hausbergen, en mars 1262. Cette bataille fut gagnée par les Strasbourgeois sur les troupes de l’évêque. Ce dernier perdit la domination de la ville et le contrôle de la gestion de l’Oeuvre Notre-Dame. Vers 1282-86, les chanoines de la cathédrale décident de confier l’administration de la Fondation au Magistrat de la Ville de Strasbourg. Le Maire de Strasbourg est encore aujourd’hui l’administrateur de la Fondation de l’Oeuvre Notre-Dame. Le Chapitre conserve un droit de regard sur la gestion jusqu’en 1648.

Depuis le Moyen Age, le siège de la Fondation de l’Oeuvre Notre-Dame est situé au Sud de la Cathédrale. La première mention d’une maison appartenant à la Fondation apparaît en 1295. Ce bien était un don de son administrateur Ellenhard à la Fondation. Elle fut détruite en 1298, lors de l’incendie de la ville. L’actuelle Maison de l’Oeuvre Notre-Dame comprend deux bâtiments :

  • La maison gothique construite en 1347, dont une grande partie fut gravement endommagée par le bombardement aérien du 11 août 1944.
  • L’aile Renaissance avec son escalier en vis a été érigée de 1579 à 1582 par le maître d’œuvre de la cathédrale Hans Thoman Uhlberger. Maître d’œuvre qui est aussi très connu parce qu’il a dessiné la structure qui abrite l’horloge astronomique.

La Fondation siège toujours dans les locaux de la Maison de l’Oeuvre Notre-Dame, dont elle est propriétaire. La plus grande partie des bâtiments est louée depuis 1931 à la Ville de Strasbourg qui y a aménagé le Musée de l’Oeuvre Notre-Dame, où sont réunies de magnifiques collections du Moyen Age et de la Renaissance, parmi lesquelles des sculptures originales de la Cathédrale de Strasbourg.

Au Moyen Age, les régisseurs étaient à la tête de l’Oeuvre Notre-Dame. Depuis le début du 14e siècle et jusqu’à la fin du 18e siècle, ils travaillaient sous la tutelle du Magistrat de la Ville. La même organisation perdure aujourd’hui dans une forme presque identique.

L’achèvement de la Cathédrale par la flèche en 1439, comme je l’ai déjà indiqué, contribue à la renommée de l’Oeuvre Notre-Dame, et en 1459, au cours du rassemblement à Ratisbonne des maîtres des loges germaniques (Bauhütten), la loge des tailleurs de pierre de la Cathédrale de Strasbourg (l’Oeuvre Notre-Dame) obtient le titre de Loge suprême du Saint Empire romain germanique.

Vous aurez l’occasion de visiter vendredi prochain la salle dans laquelle les maîtres d’œuvre se réunissaient.

Au sein de cet empire existaient quatre loges principales (Strasbourg, Cologne, Vienne et Berne), desquelles dépendaient les autres loges.

Le maître d’œuvre (l’architecte) de Strasbourg était le juge suprême de toutes les loges. Il présidait le tribunal des loges et jugeait les litiges. Lors du rassemblement des maîtres d’œuvre été rédigés les statuts et règlements des loges qui seront confirmés par l’empereur germanique. Ces règlements fixaient l’organisation du travail, la formation, les salaires, les frais, les interdictions et les punitions. Le règlement des tailleurs de pierre strasbourgeois de 1459, « Ordnung der Steinmetzen zu Strassburg », stipulait en 53 articles les devoirs et les droits des ouvriers et artisans. Les statuts furent réactualisés en 1563, lors des rassemblements de loges à Bâle et à Strasbourg.

L’autorité des Bauhütten (loges) décline après la guerre de trente ans. La Loge de la Cathédrale de Strasbourg perd progressivement son statut de Loge suprême du Saint Empire romain germanique et sa compétence est définitivement supprimée en 1727 par un arrêté impérial.

La paix de Westphalie, signée en octobre 1648 met un terme à la guerre de trente ans et prévoie le rattachement de l’Alsace à la France. Par la capitulation du 30 septembre 1681, Strasbourg devient ville française et la Cathédrale qui avait été affectée au culte protestant pendant près de 150 ans depuis le début de la Réforme, est rendue aux catholiques.

La chute de la Monarchie en France va conduire à la nationalisation des biens ecclésiastiques et dès 1789, la cathédrale de Strasbourg devient propriété de l’Etat par un décret de l’Assemblée nationale constituante.

Dans le cadre de cette politique, le décret du 4 thermidor an III (22 juillet 1795) nationalise les biens et les revenus de la Fondation de l’Oeuvre Notre-Dame. Son administration est confiée jusqu’en 1802 à la Régie des Domaines (Etat). L’arrêté du 3 frimaire an XII (25 novembre 1803), signé par Napoléon Bonaparte, restitue à la Ville de Strasbourg l’administration de la Fondation de l’Oeuvre Notre-Dame. Cet arrêté constitue encore aujourd’hui la base légale de la reconnaissance de l’Oeuvre Notre-Dame en tant que Fondation. C’est également ce texte qui en fixe les statuts, précisant que les biens et revenus de la Fondation restent affectés à l’entretien et à la conservation de la cathédrale de Strasbourg. Ces statuts ne seront pas remis en cause lors de l’annexion de l’Alsace à l’Empire allemand entre 1871 et 1918.

La convention signée le 26 juin 1999 clarifie les relations entre l’Etat et la Fondation de l’Oeuvre Notre-Dame. Elle précise leur collaboration pour l’entretien et la restauration de la cathédrale. Elle donne à la Fondation un statut de maître d’ouvrage délégué pour certaines opérations sur la cathédrale de Strasbourg et instaure, pour les chantiers de conservation et de restauration, un maître d’œuvre unique pour la cathédrale. Celui-ci réunit les titres d’architecte en chef des Monuments Historiques et d’architecte de la Fondation de l’Oeuvre Notre-Dame. Depuis 1999, cette double fonction est assurée par Madame Christiane Schmucklé-Mollard.

Les missions de la Fondation consistent dans les études et la mise en œuvre des opérations d’entretien, de conservation et de restauration de la cathédrale. La Fondation est garante d’une présence permanente sur l’édifice. Son rôle de veille permet d’assurer un entretien préventif de l’ouvrage, conformément à la charte de Venise et de limiter ainsi l’impact des grands chantiers de restauration.

Ces missions sont assurées sous la conduite de l’architecte de la Fondation, en étroite collaboration avec nos partenaires qui sont le Conseil de Fabrique et la Conservation Régionale des Monuments représentant l’Etat, propriétaire de l’édifice.

De 2000 à 2004, la Fondation a restauré, dans les délais imposés, la flèche de la Cathédrale, permettant de hisser le 23 novembre 2004 les couleurs françaises et célébrer dignement le soixantième anniversaire dela libération de Strasbourg par les troupes du Général Leclerc.

Le coût de l’investissement s’est élevé à 4,4 M€, financé à hauteur de 1,2 M€ par l’Etat et de 3,2 M€ par l’Oeuvre Notre-Dame et la Ville de Strasbourg. Le bon déroulement de ce chantier, au cours duquel les personnels de l’Oeuvre Notre-Dame ont montré une fois de plus leur compétence et la parfaite maîtrise de leurs métiers, a permis à la Fondation de se voir confier la restauration de la haute tour octogonale. Ce chantier sera achevé dans les semaines qui viennent.

Le Budget de la Fondation avoisine annuellement 2 millions €. Il est composé des revenus générés par le patrimoine immobilier et foncier, par la vente de billets pour l’accès à la plate-forme de la Cathédrale. Mais sans une importante subvention d’équilibre de la Ville de Strasbourg, la Fondation ne pourrait pas réaliser des travaux aussi importants.

La Fondation de l’Oeuvre Notre-Dame est dotée d’un patrimoine immobilier, citons notamment la Maison Kammerzell acquise en 1879, la Maison de l’Oeuvre Notre-Dame. Elle est aussi dotée d’un patrimoine foncier important constitué, dès le Moyen Age, par des dons et des legs. Le domaine forestier de l’Elmersforst est le plus beau fleuron de ce patrimoine foncier avec ses 360 hectares de bois.

La bibliothèque, la photothèque incluant une collection de 6000 plaques de verre, la gypsothèque comprenant une collection de plus de 5000 plâtres, ainsi que des archives exceptionnelles forment un patrimoine culturel important.

Mais le vrai cœur du patrimoine de la Fondation ce sont les savoir-faire de ses artisans. Je pense que c’est là le fondement même, la vraie justification de l’Oeuvre Notre-Dame.

Nous veillons générations après générations à transmettre ces savoir-faire pour que toutes les interventions sur le bâtiment se fassent dans le respect le plus strict des méthodes d’origine.

J’ai commencé ce bref exposé en citant André Malraux. En guise de conclusion, je pense que nous pouvons tous être d’accord avec lui : la Fondation de l’Oeuvre Notre-Dame est un beau et grand monument historique, mais un monument historique vivant.