Des milliers d'amoureux des lettres et de la littérature ont investi l'Aubette rénovée et ont vécu d'intenses moments de plaisir, de jubilation, de vrais bonheurs à écouter des écrivains. Ils étaient en effet cinq à sept cent dans la grande salle de l'Aubette et trois cent dans les autres salons Arp, cinq jours durant.

Chaque séance, et il y en avait trois par jour, de 17 heures à 20 heures, ils se pressaient dans les différentes salles du premier étage de l'Aubette.

A chaque rencontre une intensité tout à fait rare se dégageait, alchimie entre l'écrivain qui s'exprimait et la salle à l'écoute passionnée.

Christian Bobin a littéralement fasciné son auditoire qu'il envoutait par des phrases réfléchies, ciselées et emplies de sens qu'il ne livrait qu'avec parcimonie et une sorte d'enjouement intellectuel rare. Chacune de ses expressions méritait d'être méditée et j'ai rarement entendu des défintions aussi pertinentes, aussi poétiques, du livre et du lecteur... de l'écrivain aussi. La tension de l'écoute était symbolique de l'intéret des auditeurs. Ils étaient alors près de six cent.

Alberto Manguel a, lui aussi, su créer une sorte de magie en évoquant sa bibliothèque à lui. Ce doit être une sorte de cathédrale privée des lettres, une tour de Montaigne avec sa "librairie" mais, Mangueliste. Cathédrale même s'il nous dit que c'est dans un présbytère...La manière dont il a décrit son emménagement avec ses caisses de livres...trois mois de travail, pour que chaque volume soit à sa place...Ses lectures ensuite, la nuit, si différentes de celles de jour, et, au fond, la pluralité des lectures, utilitaires, ludiques, de pur plaisir, de recherche, tout cela a passionné un auditoire totalement attentif. Quelque cinq cent ont suivi Manguel qui nous a fait cadeau de cette phrase si étonnemment poétique d'Eschyle: "L'amour est comme un glaçon dans la main d'un enfant". Que dire de mieux et de plus?

Pour Amélie Nothong, vive et habile à la répartie, pour Marc Lévy passionnant, c'était de la folie. Au minimum sept cent fans...Et des jeunes, des jeunes, des jeunes...Des queues incroyables de candidats à l'autographe.


Alain Rey l'homme du Robert évoquait l'aventure des dictionnaires et des mots et leur donnait vie de manière saisissante. La salle là encore était comble.

Que dire aussi de la table ronde qui réunissait Solers, Fernandez, Orsena, Matznef et Jean Claude Simoën. Ils racontaient tels des potaches et riaient et la salle riait avec eux. Les lettres joyeuses!

La soirée Rezvani, avec Marie José Nat et la chanteuse Mona Heftre fut pure merveille et aucune intrusion ne réussit à perdre ce climat de poésie qui s'était emparé de la salle.

Pour moi ces journées étaient pur bonheur, la réalisation d'un rêve...La littérature habite chacune de mes journées. Il m'arrive mille fois de penser en écriture. Je me dis alors des phrases que je devrais écrire dans une sorte de journal échevelé, impétueux, capricieux inversement proportionnel à ce que ma vie trop organisée, trop contraignante me fait faire. Et je tente alors de me dompter, et le temps me manque pour aller au  bout de l'exercice intellectuel. Il me faut courir.

Le dilemne est réel. Agir, agir intensément ou écrire, il faut choisir! Concilier les deux est pour moi impossible. Et j'écris, j'écris mes discours obligés que je tente à chaque fois de rendre aussi digestes que possible. Un discours, d'ailleurs, pourrait être considéré comme une petite oeuvre! Il y a des poèmes, des nouvelles, des tribunes libres, des éditos et il y a des discours. C'est un genre après tout. Tout dépend aussi du sens critique et de l'exigence (du niveau allais je écrire) de l'auditoire...

Lorsque j'ai écrit mon livre sur melanie de Pourtalès j'étais entré en religion d'écriture. De jour comme de nuit j'étais dans mon livre, dans mes personnages, dans la recherche, dans le style. Pour mon Malraux ce fut pareil et je ne veux pas ici évoquer ce que peut-être le combat avec un éditeur. Baudelaire a laissé des pages pertinentes sur ses relations avec le sien, Poulet Malassis. Si je ne me prends en aucun cas pour Baudelaire d'autres sont à l'évidence des Pouletmalassis.

De "la bibliothèque idéale", réalisée en un vrai partenariat avec François Wolfermann, de la librairie Kléber, qui a réalisé le concept, il ne me reste que de très beaux souvenirs et l'envie de recommencer.

Ce qui n'a cessé de m'inspirer pendant ces belles soirées de fête intellectuelle, c'était un incroyable et inédit sentiment de confiance retrouvée.

La lecture des journaux, l'écoute quasi quotidienne des infos, radios ou télé, a tissé une toile de fond de pessimisme. Les jeunes, on n'en entend plus parler qu'en permanents termes négatifs : agressions, violences, brutalité, drogue...Au point que l'on pointe en permanence les "djeun's" comme une marchandise à média.

Or voila que pendant une quinzaine de séances autour de la pensée littéraire contemporaine des jeunes se sont agglutinés pour voir et entendre Orsena, Manguel, Bobin, Fernandez, Rezvani, Rey, Lévy, Nothomb, Sollers, Matzneff, Fabienne Kanor, Scholastique Mukosonga, Kangni Alem, Boniface Mongo-Mboussa, bref une bonne trentaine d'écrivains qui les ont emmené dans tous les territoires de la littérature, essais, poésie, romans.

Ils étaient là, attentifs, passionnés, prometteurs.

La presse quelle qu'elle soit pourrait ressentir de l'intéret à parler de ces jeunes ( il existe tout de même des photographes et des journalistes, susceptibles de montrer des salles pleines...) 

Quant à moi je ressens l'envie qu'on me parle de leurs passions pour les lettres et je ressors de ces rencontres autour de la bibliothèque idéale optimiste et plein d'espoir.

Non, tout n'est pas foutu. Faisons confiance à ces jeunes là et à leur capacité d'être contagieux, positivement et armés par les livres.

La vie intellectuelle, la vie tout court, me semble pleine de promesses.