Bibliothèque idéale
Par Robert Grossmann le dimanche, 1 octobre 2006, 22:26 - culture et forum - Lien permanent
Des milliers d'amoureux des lettres et de la littérature ont investi l'Aubette rénovée et ont vécu d'intenses moments de plaisir, de jubilation, de vrais bonheurs à écouter des écrivains. Ils étaient en effet cinq à sept cent dans la grande salle de l'Aubette et trois cent dans les autres salons Arp, cinq jours durant.
Chaque séance, et il y en avait trois par jour, de 17 heures à 20 heures, ils se pressaient dans les différentes salles du premier étage de l'Aubette.
A chaque rencontre une intensité tout à fait rare se dégageait, alchimie entre l'écrivain qui s'exprimait et la salle à l'écoute passionnée.
Christian Bobin a littéralement fasciné son auditoire qu'il envoutait par des phrases réfléchies, ciselées et emplies de sens qu'il ne livrait qu'avec parcimonie et une sorte d'enjouement intellectuel rare. Chacune de ses expressions méritait d'être méditée et j'ai rarement entendu des défintions aussi pertinentes, aussi poétiques, du livre et du lecteur... de l'écrivain aussi. La tension de l'écoute était symbolique de l'intéret des auditeurs. Ils étaient alors près de six cent.
Alberto Manguel a, lui aussi, su créer une sorte de magie en évoquant sa bibliothèque à lui. Ce doit être une sorte de cathédrale privée des lettres, une tour de Montaigne avec sa "librairie" mais, Mangueliste. Cathédrale même s'il nous dit que c'est dans un présbytère...La manière dont il a décrit son emménagement avec ses caisses de livres...trois mois de travail, pour que chaque volume soit à sa place...Ses lectures ensuite, la nuit, si différentes de celles de jour, et, au fond, la pluralité des lectures, utilitaires, ludiques, de pur plaisir, de recherche, tout cela a passionné un auditoire totalement attentif. Quelque cinq cent ont suivi Manguel qui nous a fait cadeau de cette phrase si étonnemment poétique d'Eschyle: "L'amour est comme un glaçon dans la main d'un enfant". Que dire de mieux et de plus?
Pour Amélie Nothong, vive et habile à la répartie, pour Marc Lévy passionnant, c'était de la folie. Au minimum sept cent fans...Et des jeunes, des jeunes, des jeunes...Des queues incroyables de candidats à l'autographe.
Alain Rey l'homme du Robert évoquait l'aventure des dictionnaires et des mots et leur donnait vie de manière saisissante. La salle là encore était comble.
Que dire aussi de la table ronde qui réunissait Solers, Fernandez, Orsena, Matznef et Jean Claude Simoën. Ils racontaient tels des potaches et riaient et la salle riait avec eux. Les lettres joyeuses!
La soirée Rezvani, avec Marie José Nat et la chanteuse Mona Heftre fut pure merveille et aucune intrusion ne réussit à perdre ce climat de poésie qui s'était emparé de la salle.
Pour moi ces journées étaient pur bonheur, la réalisation d'un rêve...La littérature habite chacune de mes journées. Il m'arrive mille fois de penser en écriture. Je me dis alors des phrases que je devrais écrire dans une sorte de journal échevelé, impétueux, capricieux inversement proportionnel à ce que ma vie trop organisée, trop contraignante me fait faire. Et je tente alors de me dompter, et le temps me manque pour aller au bout de l'exercice intellectuel. Il me faut courir.
Le dilemne est réel. Agir, agir intensément ou écrire, il faut choisir! Concilier les deux est pour moi impossible. Et j'écris, j'écris mes discours obligés que je tente à chaque fois de rendre aussi digestes que possible. Un discours, d'ailleurs, pourrait être considéré comme une petite oeuvre! Il y a des poèmes, des nouvelles, des tribunes libres, des éditos et il y a des discours. C'est un genre après tout. Tout dépend aussi du sens critique et de l'exigence (du niveau allais je écrire) de l'auditoire...
Lorsque j'ai écrit mon livre sur melanie de Pourtalès j'étais entré en religion d'écriture. De jour comme de nuit j'étais dans mon livre, dans mes personnages, dans la recherche, dans le style. Pour mon Malraux ce fut pareil et je ne veux pas ici évoquer ce que peut-être le combat avec un éditeur. Baudelaire a laissé des pages pertinentes sur ses relations avec le sien, Poulet Malassis. Si je ne me prends en aucun cas pour Baudelaire d'autres sont à l'évidence des Pouletmalassis.
De "la bibliothèque idéale", réalisée en un vrai partenariat avec François Wolfermann, de la librairie Kléber, qui a réalisé le concept, il ne me reste que de très beaux souvenirs et l'envie de recommencer.
Ce qui n'a cessé de m'inspirer pendant ces belles soirées de fête intellectuelle, c'était un incroyable et inédit sentiment de confiance retrouvée.
La lecture des journaux, l'écoute quasi quotidienne des infos, radios ou télé, a tissé une toile de fond de pessimisme. Les jeunes, on n'en entend plus parler qu'en permanents termes négatifs : agressions, violences, brutalité, drogue...Au point que l'on pointe en permanence les "djeun's" comme une marchandise à média.
Or voila que pendant une quinzaine de séances autour de la pensée littéraire contemporaine des jeunes se sont agglutinés pour voir et entendre Orsena, Manguel, Bobin, Fernandez, Rezvani, Rey, Lévy, Nothomb, Sollers, Matzneff, Fabienne Kanor, Scholastique Mukosonga, Kangni Alem, Boniface Mongo-Mboussa, bref une bonne trentaine d'écrivains qui les ont emmené dans tous les territoires de la littérature, essais, poésie, romans.
Ils étaient là, attentifs, passionnés, prometteurs.
La presse quelle qu'elle soit pourrait ressentir de l'intéret à parler de ces jeunes ( il existe tout de même des photographes et des journalistes, susceptibles de montrer des salles pleines...)
Quant à moi je ressens l'envie qu'on me parle de leurs passions pour les lettres et je ressors de ces rencontres autour de la bibliothèque idéale optimiste et plein d'espoir.
Non, tout n'est pas foutu. Faisons confiance à ces jeunes là et à leur capacité d'être contagieux, positivement et armés par les livres.
La vie intellectuelle, la vie tout court, me semble pleine de promesses.
Commentaires
Bravo pour ce beau billet dont beaucoup partageront les termes et surtout cette phrase "Ce qui n'a cessé de m'inspirer pendant ces belles soirées de fête intellectuelle, c'était un incroyable et inédit sentiment de confiance retrouvé." Vous touchez juste et pourriez l'élargir à beaucoup d'autres évènements strasbourgeois de ces dernières années: concerts, spectacles, débats, sports, etc.... le "sentiment de confiance retrouvé" ou tout simplement le bonheur retrouvé de partager des émotions avec d'autres humains est créé, non seulement par le professionnalisme des organisateurs, mais surtout par le respect de la sensibilité des différents amateurs.
Vous avez su donner les impulsions nécessaires et hormis la prétendue fête de la musique qui demeure une plaie auditive, n'en déplaise aux esprits étriqués, vous apportez du bonheur aux Strasbourgeois, quelque soient leurs goûts.
Notre monde n'est pas celui que la presse voudrait nous vendre.
Continuez, Mister Blog.
".. servir la ville ou se servir de la ville... that are the questions! ... "
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Vous avez raison, et bon courage pour votre energie a developper Strasbourg :
Il merite d'avoir des bibliotheques plus celebres-meme que celle de Napoleon au chateau de Compiegne..
Mais gare a quelques uns qui, tout en etant payes par notre ville pour servir ses elus et ses citoyens, en profitent pour commettre des abus gravement domageables, en abusant de votre confiance, meme contre des gens qui essayent d'y developper des activites ajoutant a son rayonnement le plus large et qui ont soutenu votre action des le debut de la bataille electorale.
Parfois, de tels "sousmarins" font plus de mal que mille enemis declares, sauf si l'on repare le mal fait avant que ca ne provoque des domages irreversibles.
Raison de plus pour que vous perseverez, en redoublant d'energie, a creer des projets positifs.
Charles de Gaulle a dit « Tout Homme qui écrit - et qui écrit bien - sert la France ». Pour vous, il aurait pu rajouter « et lorsquil nécrit pas, cest quil sert Strasbourg »
Cette opération « bibliothèque idéale » a été une grande réussite. Je relève, comme Alsator, que la presse régionale narrive toujours pas à transcender ses opinions pour relater objectivement un événement culturel initié par un Homme dit de droite. Heureusement, le public ne fait pas preuve de la même "objectivité" ...
J'étais à la "bibliothèque idéale" pour Lévy et Nothomb... Magique... vos photos sont en dessous de la réalité. Merci pour ces grands moments. Comme je le disais dans mon commentaire sur l'innauguration de la "MSud" : au moins votre action en faveur de la lecture publique, ce n'est pas du flan ! Bravo
Ces soirées étaient merveilleuses et je vous en sais gré. Quel bonheur toute cette poésie. Je n'ai pas bien compris toutefois l'intrusion de cet individu auprès de M.Rezvani, Lenni je crois, et on m'a dit qu'un braillard se manifestait alors devant les portes de la salle de l'Aubette. Y a-t-il eu des incidents? J'étais assise tout devant et n'ai rien vu mais on m'a raconté. Ce serait un écrivain régional jaloux et dépité? Vous savez les jalousies de petits écrivains existent partout ne vous ne faites donc pas. Et surtout recommencez, de grâce!
J'ai eu un professeur de français du nom de Monsieur Pérusa, qui un jour alors que nous étudions un passage de Manon Lescault s'est mis dans une rage qui sur le moment nous a paru disproportionnée. Nous proposions à ces questions des réponses molles et entendues, il nous apostropha en nous disant à peu près ceci : « À quoi sert donc dapprendre à lire, à écrire ? » Nous lui répondîmes toujours aussi « bovinement », « À se faire comprendre ! », « Afin de pouvoir travailler demain ! », Ni tenant plus, il nous dit sur un ton tonitruant « Et les émotions, le rêve, la douleur, comment voulez-vous les traduire autrement que par des mots et sans émotion, il ny a rien ! ». À cela il ajouta : « Que pensez-vous quéprouve ce jeune abbé, quand il dit : « Ah ! Perfide Manon ! », quand cette salope, cette putain le trompe, lui qui laime dun amour passionné ? Quand son cur est meurtri par cette femme ? Eh bien, ces émotions vous ont été rapporté toujours fraîches après trois cent années grâce à quelques mots ! »
« Je n'ai jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé. » rappeliez-vous il y a peu, de Montesquieu cet autre citation « Ce n'est pas l'esprit qui fait les opinions, c'est le coeur. »
Merci pour toutes ces émotions !
Je suis venu à l'Aubette pour entendre M. Rezvani qui est un écrivain qui me touche à la fois par ses romans, par ses si belles chansons mais aussi par sa façon d'être. Quand je l'ai croisé dans le grand escalier de l'Aubette, alors qu'il arrivait, ce fut l'un des plus grands moments de ma vie. Pour une fois ce n'était pas l'esprit d'escalier, mais un grand esprit dans l'escalier ! Vous trouverez peut-être cela bête, mais cet escalier et ce moment resteront gravés dans ma mémoire longtemps.
Merci pour tout cela ! Et donnez-nous encore d'aussi beaux moments.
Je rebondis sur le commentaire de "Lecteur d'un jour ..." car moi aussi, je suis allé acheter les DN le lendemain de cet évènement pour y retrouver, espérais-je, l'émotion vécue ce soir-là.
Je n'ai d'abord pas compris et cru à une mauvaise blague de collégien en tombant sur la page 11 des pages Strasbourg.
Un article d'une demi page sur N.Engel sous le titre "bibliothèque idéale" accompagné d'une photo montrant le personnage pris en contre-plongée apparaissant écrasé par un méchant rayonnage de notable provincial. J'ai littéralement éclaté de rire devant l'imposture, me rappelant le bonhomme avant 89 promettant la liberté et la culture pour tous sur les marchés de Strasbourg et une fois détenteur de l'autorité culturelle s'en allant morigéner systématiquement tous les bibliothécaires en place et leur enjoignant de faire lire lire tel ou tel ouvrage de son goût. Parmi les gens travaillant dans le domaine de la lecture publique, les plus réservés eurent ces mots : "mais, il veut nous apprendre notre métier!".
Je me remémore les concerts à la laiterie et ailleurs où notre iznogoud arrivait en grosse limousine de fonction avec chauffeur et passait devant tout le monde cherchant un regard supposé amical parmi ceux qui patientaient pour aller serrer une main afin d'exposer sa popularité aux yeux de tous.
Si j'en crois le compte rendu du Conseil Municipal du 25/9, le triste sire est devenu visiblement ce qu'il est essentiellement.
Plus sérieusement, cet article des DN pose quand même un certain nombre de questions sur la déontologie des journalistes. Sans entrer dans un débat juridique, je constate qu'il y a volonté délibérée de tromper le lecteur en associant ce monsieur à un évènement dont le nom, même s'il n'a pas été déposé, bénéficie d'une protection légale et qui, dans l'esprit du public est organisé par la Librairie Kleber,la Ville et la CUS aidés de partenaires.
En second lieu, une demi-page de publicité pour un ex-adjoint tombé dans l'anonymat et un tiers de page pour le véritable héros du jour, et encore, sous forme d'interview concise pose la question des capacités du rédacteur, car où est l'information ? Où est le compte-rendu de la soirée ? Certes, je ne m'attendais pas à quelques mots sur l'émouvante introduction de Robert Grossmann à laquelle ont rendu hommage tant la salle par des applaudissements nourris que Christian Bobin par " au-delà des nécéssités du discours du représentant public, on sentait la vérité d'un homme dans les mots prononcés" (de mémoire)
À quand la prochaine bibliothèque idéale ? j'ai lu dans le journal de ce matin que cette première édition avait rassemblé plus de 6000 personnes... j'aurais peine à croire qu'une manifestation littéraire ai pu attirer autant de monde si je n'avais moi-même assisté à la plupart des rencontres. BRAVO pour cette réussite sans précédent.
Magnifiques moments partagés dans une Aubette flamboyante des gammes Arpiennes et Doesbourgiennes. Lyrisme et couleur. Poésie et géométrie. Inspiration et admiration. Bis repetitat !