En décembre 2005 Paul Aurelli a rassemblé une petite centaine d’ « anciens » de l’UJP. Est-il opportun de revisiter nos années de jeunesse et d’engagement ? S’agirait-il de pure nostalgie ? Evidemment non, pour nous…Il est vrai que quelques amis ont créé l’UDP, Union des Démocrates pour le Progrès. Là, sans doute trop discrètement, sans doute trop éloignés les uns des autres, mais avec nos convictions, nous « maintenons »…François Audigier, brillant universitaire, a soutenu une thèse consacrée à l’UJP. Il en a fait un livre publié aux Presses Universitaires de Nancy sous le beau titre de « Génération Gaulliste ».

Ce soir de décembre 2005 j’ai dit quelques phrases à mes amis réunis. Voici ce texte.

" Depuis que Paul a réussi à organiser cette soirée si souvent rêvée, si souvent promise, si souvent remise, j’ai vécu personnellement dans l’attente de ce moment avec une certaine fièvre. L’idée de nous retrouver m’a à la fois séduit, bouleversé et angoissé…

Oserais-je le dire ? C’est un peu comme si je retrouvais mon vrai premier grand amour après tant d’années de séparation.

L’UJP c’était ma vie, c’était notre vie aux plus belles années de l’existence.

Oui, c’est une méditation sur le temps à laquelle me conduirait tout d’abord cette rencontre.

L’Union des Jeunes pour le Progrès c’était le mouvement de notre jeunesse, c’était notre jeunesse … Quinze ans pour les plus jeunes, dix huit ans, vingt cinq ans, pour d'autres. C'était notre jeunesse vécue intensément au rythme de l’Histoire. L’Histoire où le destin se confrontait à des héros, de vrais héros comme dans l’Iliade ou la Table Ronde. Comme Charlemagne, Jeanne d’arc, Napoléon…

Nos héros autour de la figure tutélaire du général de Gaulle c’était Malraux, Chaban, Debré, Couve de Murville, Maurice Druon, Pompidou.

Il y en avait beaucoup…de vrais héros qui sortaient de la résistance ou qui entouraient plus tard le général comme Alain Peyrefitte, Maurice Herzog, des célèbres et des plus obscurs, mais pour nous ils étaient nimbés de légende vécue.

Mais si nous nous sommes engagés c’était pour De Gaulle.

Je veux le dire, car ici on peut parler avec le cœur sans que quiconque ne vienne déformer les propos. A titre personnel je ne me suis jamais engagé pour faire de la politique, je me suis engagé contre les politiciens qui avaient abusés de la quatrième République pour en faire une caricature de République.

Je me suis engagé derrière l'homme qui voulait une nouvelle République et ma première carte dont je suis secrètement fier date de 1959 elle était celle de l'Union pour la Nouvelle République

En 1965 nous avons ensemble fondé l’Union des jeunes pour le progrès essentiellement parce que les « aînés » politiquaient presque aussi bien que ceux de la quatrième et en tous les cas ne semblaient guère comprendre les problèmes de notre génération d’après guerre.

Les assises de l’UD Vième à Lille en 1967, mai 68, le 4 juin 68, nos assises de Strasbourg en avril 1969, celles de Royan en 1970, la mort du général en novembre 1970, bref l’épopée de l’UJP qui s’est déployée de 1965 à 1975, puis qui s’est poursuivie différemment, a constitué l'impulsion historique la plus forte et la plus singulière qu’un mouvement de jeunes ait jamais imprimé à la vie politique française.

Aucun autre mouvement de jeune, ni, à l’époque, les puissants jeunes communistes, ni les jeunes d’extrême droite, n’a autant marqué la vie de la France. L’histoire de l’UJP est unique et exceptionnelle. Elle le restera.

Le temps s’est écoulé nous ne sommes plus les jeunes.  Sommes nous des vieux ? Je voudrais citer mon ami Alain Villefayaud qui répandait à volonté sa belle phrase si symbolique : « quand on est gaulliste on a toujours vingt ans ».  On peut toujours se consoler, avec de belles assertions, sur la jeunesse du cœur, la jeunesse des artères, la jeunesse de la volonté, toujours est-il que nous n’avons plus nos vingt ans.

Mais si je dis que l’UJP est singulière et, permettez moi ce néologisme, : « irremplacée » c’est que, par exemple, je n’ai jamais pu chanter avec Villon et Léo ferré « Que sont mes amis devenus.. » ! Jamais au cours de ces quarante années « le vent ne les a emportés » . Je veux parler des amis de l’UJP.

Il m’est arrivé mille fois ce qui vous est arrivé à vous aussi au cours de ces décennies et qui est générateur d’une incroyable émotion : Dans chaque ville de France, (…) j’ai été interpellé un jour par des amis qui m’abordaient en me disant « j’étais à l’UJP ».

Je veux citer avec Paul Aurelli mes amis proches, ceux qui ont travaillé avec moi corps et âme et qui ont brillamment réussi :Yves Deniaud, Patrick Ollier, Bruno Bourg Broc, Michel Barnier, dont la fidélité et l’amitié ne jamais manqué… tous les parlementaires issus de l’UJP, ils étaient près d’une cinquantaine…

Je veux me souvenir d’Alain Carignon qui est venu me rendre visite un jour à Strasbourg, pour me dire cette phrase si belle sur notre aventure : « Tu sais Robert, on s’est tous frotté à toi et on a appris. Moi je n’ai pas été à l’université mais j’étais à l’UJP qui était une grande école de formation »  Je n’ai pas non plus oublié Alain quelles que fussent les circonstances.

Méditation sur le temps…Il faut bien reconnaître qu'il s'est écoulé, le temps, qu’il est linéaire et qu’il nous reste moins à accomplir aujourd’hui qu’hier.  (…)  Mais il y a quelque chose d’étrange dans notre aventure qu’illustre brillamment Gaston Bachelard, dans un de ses essais. Il existe un temps vertical, il existe une momentanéité éternelle. Des moments, des périodes qui restent invariablement présentes, qui ne s’envolent jamais, fidèles en nos mémoires au point qu’elles nous accompagnent, qu’elles nous modèlent, qu’elles sont, finalement, nous même.

L’UJP ne m’a jamais quitté. Elle était une quête d’absolu, incarnée et vécue. Elle ne s’est pas limitée au domaine du rêve et de la seule méditation. Elle était et demeure une action qui a tracé et trace son sillon dans l’histoire.

Le gaullisme, pour nous, ce fut et cela demeure l’acte historique du 18 juin qui signifie le refus d’abdiquer et l’affirmation de la dignité humaine. Les idéaux de la République, la liberté, l’égalité, la fraternité qui sont tant disputés et malmenés aujourd’hui.

L’UJP répond, au fond, à ce mot d’ordre de Malraux : « Je maintiendrai ! »  C’est, comme il l’a évoqué, le « NON » d’Antigone. C’est le défi au destin et, souvenons nous de ce moment extraordinaire, Strasbourg dimanche 12 avril 1969…un hall comble, surchauffé, une incroyable atmosphère de joie et la communion autour de notre spectaculaire révélation publique , André Malraux la mèche toujours rebelle, la voix syncopée et envoûtante, plus jeune que jamais avec ses 69 ans :

« Compagnons de l’Union des jeunes….Il n’ y a pas destin par procuration. Votre destin sera ce que vous en ferez ! »

Oui c’était historique et je me souviens d’une de ses phrases en 1967 qui signifiait à peu près ceci : les partis ont derrière eux leur passé de parti politique, nous avons derrière nous l’histoire de France, ce qui signifiait en clair que les gaullistes n’étaient pas des politiciens mais des artisans de l’histoire !

C’est ce que De Gaulle a fait et j’ai l’immodestie de penser que dans les années 1960, seule l’UJP l’a voulu - pleinement - avec lui.

Comme dans les tragédies antiques nous avons vécu des bonheurs ineffables et des douleurs d’une grande cruauté.

En ce qui me concerne  je me souviens de cette phrase que, je ne sais pourquoi, mon ami Villefayaud m’a dite rue du faubourg Saint Honoré quelque jours après mon départ volontaire de la présidence, à quelques pas du N° 43 « Robert tu connaîtras l’ingratitude »

Alain,  j’ai connu l’ingratitude ! Mais qu’est ce que je leur avais mis aux vieux de l’époque et, livré à eux, isolé et seul avec mes convictions : qu’est ce qu’ils m’ont mis !

Alors qu’est ce que c’était que notre UJP ? J’ai envie de dire que certes nous étions dans la politique mais nous étions largement au delà de la politique, l’UJP c’était une fraternité mais c’était quelque chose de plus que la fraternité, c’était le gaullisme mais c’était plus encore, parce que pour nous, c'était intemporel.