A Franz Bartelt la bourse Goncourt de la nouvelle. Proclamation à Strasbourg!
Par Robert Grossmann le dimanche, 25 juin 2006, 13:18 - culture et forum - Lien permanent
Voilà quatre ans que de prestigieux écrivains se rendent à Strasbourg, considérée par eux comme une vraie capitale du livre, pour y proclamer le choix de leur lauréat de la bourse de la nouvelle. Les lauréats récents étaient des choix heureux et prémonitoires, je pense à Philippe Claudel, reconnu à Strasbourg avant Olivier Adam qui eux aussi font maintenant une très belle carrière décrivain. Cest à Strasbourg quils ont été révélés.
Hier, 24 juin, ce fut au tour de Franz Bartelt dêtre révélé avec son livre « Le bar des habitudes » On dira, avec ceux qui ont déjà eu le bonheur de lire ces nouvelles, que le tenancier du « bar des habitudes » nous sert de prodigieux rafraîchissements, des cocktails de cruauté et de tendresse, des digestifs singuliers qui vous feraient passer les plus infects nourritures terrestres, un apéritif aussi au reste de votre uvre
La jubilation que la lecture de ce livre nous procure est réelle et intense.
Nous avons eu du plaisir hier à accueillir ce très bon écrivain, nouvelliste, romancier, dramaturge, poète. Les auditeurs de France Culture ont été heureux eux aussi de rencontrer lauteur de pièces radiophoniques quest Franz Bartelt Un événement littéraire par conséquent, à Strasbourg que seuls les quelques heureux qui ont accepté de se déplacer à lhôtel de ville auront pu suivre et connaître. Or rencontrer Bernard Pivot nest pas une occurrence quotidienne, ni Didier Decoin qui vient de publier un merveilleux Henry et Henri, ni Françoise Mallet Joris qui nous avait donné à lire son merveilleux Rempart des béguines !
Et puis, comment ne pas souligner la joie de recevoir à Strasbourg ce que lon appelait encore à la fin du XIXe siècle, lorsque lOrient semblait sarrêter au Rhin : un homme de lEst Franz Bartelt est originaire de Charleville Mézière Ce quon disait au temps de Verlaine (le messin), de Barrès (le carpinien) et de Rimbaud (le carolomacérien), vaut plus que jamais aujourdhui : la littérature se lève à lEst Et si Bernard Pivot avait raison décrire, il y a quelques années, que le « TGV, trop rapide, est un mauvais coup porté au livre », le TGV-Est, lui, est certainement une grande chance pour le livre, pour la nouvelle et la littérature.
Il me vient à lesprit ce quécrivait lun des plus grands nouvellistes américains, John STEINBECK : « Une ville ressemble à un animal. Elle possède un système nerveux, une tête, des épaules et des pieds. Chaque ville diffère de toutes les autres : il ny en a pas deux semblables. Et une ville a des émotions densemble. » Une ville, en effet a des « émotions densemble » et à Strasbourg cette émotion partagée sappelle la culture. Elle sappelle art, danse, musique, littérature. Elle porte le nom de chacune des muses. Elle sappelle création. Ses noms, tout comme les formes quelle revêt, sont multiples, mais cest une seule et même émotion, une seule et même passion qui est partagée par une ville où la culture compte plus que tout. Si dailleurs lon se hasardait à la généalogie littéraire, dont Etiemble nous a pourtant prévenu de nous méfier, ne faudrait-il pas trouver dans le Decameron de Boccace, que lon peut tenir comme le tout premier exemple de ce genre singulier quest la nouvelle, ne faudrait-il pas y trouver cette « émotion densemble » qui permet tout à la fois de lier ce quest une ville à ce quest une nouvelle Dans les dix journées et les cent récits du Decameron, cest Florence qui toujours apparaît en contrepoint, non pas comme un sujet décriture ni même comme un décor ou un paysage. La ville est présente dans le Decameron, parce quelle nexiste plus alors nulle part ailleurs. La peste et la mort ont décimé le Florence de 1348. Et la ville subsiste seulement dans les histoires racontées par les dix Florentins que le génie de Boccace a réunis.
Nous savions, Jorge Semprun nous la répété combien de fois depuis LEcriture ou la Vie ?, que la littérature pouvait sauver des existences singulières Avec Boccace, nous apprenons quune nouvelle peut sauver des villes entières Il en va de Boccace et du Decameron. Il en va également du Bar des habitudes, de Franz Bartelt, qui sauvera certainement les lecteurs, que je lui souhaite très nombreux, de lennui et des habitudes, à défaut de sauver Charleville-Mézières, sa ville, des griefs que lui faisait Rimbaud
En ce 24 juin un invité surprise s'est joint à léquipe des Goncourt, Guy Carlier. Le mélange fut admirablement réussi et une étonnante alchimie se dégagea de ces conversations croisées. On parla littérature bien sûr mais Edmonde Charles Roux la veuve de Gaston Deferre a un regard tellement pertinent sur la res publica que ce fut une délectation de lentendre évoquer Chirac, Villepin, Ségolène Nicolas Sarkozy fut préservé La France dégringole. Point nest besoin dailleurs être de lAcadémie Goncourt pour suivre au quotidien cette déchéance.
Le maire, Fabienne Keller ne cessait, pendant le repas de dialoguer avec Guy Carlier et Françoise Mallet Joris et Didier Decoin. Une sorte de réelle complicité sengagea entre eux.
Pivot brillait avec le représentant de la librairie Gallimard. Il nous livrera dans quelque temps un dictionnaire amoureux des vins de France.
Un grand moment, coupe du monde oblige, sengagea lorsque Carlier me demanda. « Que devient Raymond Kaelbel ? » Jétais stupéfait dadmiration ! « Javais sa photo dans ma chambre reproduit sur une double page dun magazine, cétait un de mes footballeurs préférés » ajouta-t-il. Et voilà que Carlier se met à nous citer par cur la composition presque intégrale de toutes les équipes de foot des cinquante dernières années. A Strasbourg nous eûmes droit à Molitor, Jean Noël Huck, François Remetter, Jacki Novi. Bien sûr Gilbert Gress. Et Albert Gemmerich, notre Albert, eu droit à une mention spéciale « un des meilleurs ailiers de tous les temps ! »
Je questionnais Guy Carlier : « Comment percevez vous Strasbourg ? Ville de province où lon mange de la bonne choucroute où fleurit le gewürtztraminer?»
« Pas du tout, jaime cette ville et je suis littéralement fasciné par sa cathédrale. Je suis dans un hôtel en face delle et lorsque le matin résonnent ses cloches je la contemple et elle me fait penser à un immense navire magique et rose qui menvahit et minspire. Jai ressenti cela une première fois et cétait tellement fort que javais besoin de le partager alors je suis revenu avec un ami. Mais il me fallait plus encore cest pourquoi je suis venu cette fois ci avec lamour de ma vie » A ses côtés Joséphine Dard, belle et radieuse confirmait.
« Au fond vous êtes tous les deux comme André Malraux et Clara lorsque dans les année 1930. Ils séjournaient dans un hôtel en face de la cathédrale qui les inspira tant avec ses uvres sculptées ». Puis ils ont décidé de faire une croisière sur Le Rhin. « Il me faut faire mon plein dimages. Je vais nourrir mon imaginaire », avait dit André à Clara. Et ils voguèrent vers la Lorelei
La littérature est décidément un formidable élément fédérateur de culture. La pensée circule entre lauteur et le lecteur, entre les écrivains eux même, entre tous ceux qui sinterrogent sur la condition humaine.
Je vais compléter dès lundi ma lecture du « bar des habitudes » trop discrètement célébré à Strasbourg !
Mais cette occultation par les médias, malgré les efforts des organisateurs de la bourse Goncourt, nest-elle pas préjudiciable à la diffusion et au rayonnement de la culture elle même et naturellement aussi de Strasbourg ?
Maigre consolation si je peux imaginer que ce blog répare quelque peu les choses mais, bien sûr, de manière trop étroite, quelque centaines de lecteurs par jour Je pense néanmoins quils vont aussi parler entre eux.
Commentaires
Dorigine polonaise, Franz Bartelt brasse au travers du quotidien 16 nouvelles décalées et amusantes dans son « Bar des Habitudes ». Le bar, bel endroit où la goutte deau peut faire déborder la vie nest pas sans évoqué ici le charme des winstubs où le monde se refait et refait encore depuis la nuit des temps et jusquà parfois que le merle chante le retour du jour.
Un détail peut donc y devenir un tout et le quotidien léternité. Raison de plus pour (re)découvrir cet auteur, qui vient de se voir remettre, à Strasbourg, et effectivement dans le plus grand silence médiatique, la Bourse Goncourt de la Nouvelle.
Etonnant silence en effet pour un bel auteur en devenir qui na pas perdu le Nord de son enfance ( lisez dans un autre genre, Les Bottes Rouges). Javoue ne pas comprendre « lomerta culturelle » qui frappe relativement les évènements culturels strasbourgeois.
Même linstallation du salon de musique de Kandinsky aurait sans doute mérité une plus grande médiatisation. Certe Kandinsky et Bartelt ne sortent pas de la « star académy » et ne participent pas au mondial de football. O tempora, o mores !
C'est donc sur des blogs qu'il faut aller pour apprendre que des événements majeurs se déroulent à Strasbourg ou ailleurs. J'apprends ici qu'un livre a été primé et reconnu par les Goncourt. Je n'ai rien vu, rien lu dans mes journaux nationaux ou locaux. Qu'on ne s'étonne pas d'une réelle désaffection à l'égard des médias. Sur internet il y a des informations inédites et passionnantes. Je citerai tout particulièrement ce blog où il est question aussi de mon ami Guy Carlier. Je suis heureux de savoir qu'il a fait un séjour à Strasbourg.
Juste un mot de remerciement pour cette très belle note...
Ce que vous écrivez me fait également penser au livre de Julien Gracq "La forme d'une ville", quoique je sois parfaitement incapable de me rappeler d'un passage à vous citer, malheureusement...