Mon plaisir à vous accueillir ce soir au Palais Rohan redouble assurément, puisque, cette année, le Conseil de l’Europe a décidé d’attribuer le Prix 2006 du Musée au Musée Winston Churchill, de Londres.

Et j’aimerais ce soir ne pas être l’un de ces orateurs que dépeignaient CHURCHILL : « Quand ils se lèvent, ils ne savent pas ce qu'ils vont dire, quand ils parlent, ils ne savent pas de quoi ils parlent et, quand ils se sont rassis, ils ne savent pas ce qu'ils ont dit. »

J’aimerais d’abord vous dire que, sans CHURCHILL, nous ne serions pas rassemblés ici ce soir…

D’abord, parce qu’il n’y aurait pas le Conseil de l’Europe, cette Institution à laquelle il était si attaché et dont il a jeté les fondements, dans son discours visionnaire de Zurich en 1946.

Sans Churchill, il n’y aurait pas non plus aujourd’hui, je le crains, Strasbourg…

C’est grâce au « Commodore » que notre ville a été défendue de la contre-offensive allemande en janvier 1945, grâce à la force de conviction qu’il a déployée, avec le général de Gaulle, face au général Eisenhower, qui voulait replier la ligne de front sur les Vosges.

L’écrivain, le grand écrivain qu’il était (il suffit de lire ses Mémoires pour en être convaincu) croyait aux mots. Il croyait à la parole. Et ce qu’il fit pour Strasbourg au début de l’année 1945, c’est respecter avant tout ce qu’il disait devant l’école de Harrow quatre années auparavant : « Never give in. Never give in. Never, never, never, never (in nothing, great or small, large or petty) never give in, except to convictions of honour and good sense. »

Si Strasbourg n’a pas été détruite et anéantie, si notre ville n’a pas été soumise à la destruction systématique que d’autres villes ont connue à l’époque, si notre Cathédrale est toujours debout et qu’elle est aujourd’hui l’un des symboles de l’unité européenne, c’est à Churchill que nous le devons. Notre dette à son égard est infinie.

Les Strasbourgeois le savent. Et ils lui sont reconnaissants.

Comment ne pas évoquer d’ailleurs le discours que Winston Churchill prononça, au balcon de l’Aubette, devant une véritable marée humaine s’étendant place Kléber et alentours, en 1949, alors qu’il était venu en vue de créer le Conseil de l’Europe.

C’était une liesse sans pareille. La ville était là, toute entière, et chacun était venu exprimé sa gratitude à l’homme qui l’avait sauvée.

Face à cette foule enthousiaste, cette foule dont le cœur vibrait à l’unisson, cette foule qui communiait dans une liberté retrouvée, Churchill s’est avancé vers le micro et a commencé son discours en disant :

« Préparez-vous, je vais parler en français : une entreprise terrifiante, et qui sera une dure épreuve pour votre amitié envers la Grande-Bretagne. »

En venant à Strasbourg, Churchill avait déjà, pour lui, l’adhésion des âmes. Il repartait avec l’adhésion des cœurs.

C’est certainement cela que l’on appelle un « grand homme ». Churchill était un grand chef de guerre, un grand homme d’Etat. Il cultivait aussi un sentiment d’humanité sans pareil…

Je veux enfin évoquer un souvenir très personnel.

Enfant j’allais souvent avec mon père pêcher le brochet dans les eaux du Rhin. Un jour nous avons vu sur les rives strasbourgeoises au bord de la forêt un homme assis devant un chevalet en train de peindre le Rhin et la rive allemande. Des gardes du corps s’affairaient autour de lui et l’un d’eux s’en alla chercher un grand chapeau de paille pour préserver le peintre du soleil qui s’exprimait puissamment. C’était Winston Churchill, quelques courtes années après la fin de la guerre, et les blockhaus étaient encore debout le long du Rhin. Churchill aimait cette ville et ses symboles.

Qu’aujourd’hui le Conseil de l’Europe distingue, ici à Strasbourg, le Musée Winston Churchill de Londres est, à mes yeux, un grand symbole et une manière de boucler la boucle, qui lie si intensément l’histoire de notre ville, l’histoire du Conseil de l’Europe, l’histoire de l’Europe tout court, à un homme dont le génie est hors du commun.

Je voudrais adresser toutes mes félicitations, en mon nom propre, au nom du maire de Strasbourg, Fabienne KELLER, au nom de notre ville toute entière, aux responsables du Musée Churchill de Londres et souligner combien leur tâche d’historiens n’a pas été aisée de consacrer un musée à l’homme qui précisément disait : « L'Histoire me sera indulgente, car j'ai l'intention de l'écrire. »