Mort d'un commis voyageur. Magique Maillon
Par Robert Grossmann le dimanche, 7 mai 2006, 19:38 - j'aime... - Lien permanent
Je quitte une soirée privilégiée, je sors du Maillon, notre théâtre...
Le président Michel Reinhadt et son directeur Bernard my ont amicalement contraint. Jai été sommé de venir voir Mort dun commis voyageur daprès Arthur Miller avec une pertinente mise en scène de Luk Perceval. La pièce donnée par le Théâtre de Belgique était en flamand surtitré.
De quoi vous inquiéter avant dy participer. Jai donc été saisi par quelques premières minutes d'appréhension qui se sont dissipées, envolées, muées en fascination pour une uvre qui, sans que vous ne vous en aperceviez, se grave dans votre mémoire et sy installe.
Quelques pièces de théâtre mont fait cet effet décisif, Mister Mockinpot, il y a longtemps, Le Laboureur de Bohême il y a longtemps aussi. Bien dautres encore, mais jen ai tellement ratée par les contraintes de mon mandat que je nose en poursuivre la courte liste.
Mort dun commis voyageur
a provoqué cette magie que seul le théâtre peu offrir. La méditation vous saisit et une certaine transmutation des pensées se déclenche, en un mot, une alchimie sopère en vous.A lissue de la pièce, la nuit chaleureuse prolongeait lenvie de culture. La nuit était invitation au dialogue et aux débats. - Pensée triviale !- je me sentais justifié de limportant effort que la ville consent à légard du Maillon. La scène elle même est maintenant incontournable, la plus vaste de la ville. Le lieu, cette cour de lhistorique parc des exposition, semblait destinée à la culture, à la méditation et aux débats. On sy installait comme sur la place dun village ancien, nimbée de soleil intérieur, où lon redécouvrait le plaisir de ne plus signorer, de parler, de libérer la convivialité, de se sentir à labri des artifices et des pressions de tous les audimats qui nous cernent aujourdhui.
Mort d'un commis voyageur, une uvre, une pièce, toutes en nuances, en rythme, en mouvements. La violence les silences, le désarroi, la mythomanie, le rêve brisé, sy entremêlent et tiennent en éveil la conscience de chaque spectateur. La richesse et la complexité des sentiments interdisent de ny voir que la déchéance du commis voyageur et lévocation dune société cruelle, arrogante et paradoxalement décadente aux temps des Etats Unis capitalistiquement triomphants.
Les comédiens sont prodigieux par la qualité de leur interprétaion juste, par leur puissance physique et ces termes sont euphémiques. Il faut les voir en caleçons, débordants de leurs chairs opulentes, suggérant le pire qui nadvient jamais tant il est fortement suggéré. Il faut voir les scènes érotiques et la copulation, engagées pour effrayer les âmes innocentes, poussées jusqu'au point limite jamais atteint. On attend lirrémédiable, il ne surgit pas totalement mais on a tout saisi.
Un acteur immatériel mais essentiel se promène, puissamment discret, tout au long de cette pièce, dominateur et magistral, effrayant et fatal : le Temps. Celui de chronos, celui des mélancolies, celui des illusions, celui qui conduit à la mort. Il est là, tyrannique, par plaques de périodes superposées, entrelacées. Il est linéluctable, il est le destin.
Au premier degré voici donc une simple histoire de famille. Elle réussit à incarner lhumaine destinée et ne cesse de nous hanter une fois la lumière revenue.
Le décor est sobre et saisissant : des arbres, une forêt qui est aussi la jungle des villes, la jungle des hommes qui s'entrecroisent sans se voir, qui sentredéchirent la forêt, élément naturel transfiguré en scène imaginaire dune inquiétante société où se répondent les silences de la mort constamment à laffût, et du fils insultant le cadavre de son père.
Devant la forêt, le huis clos du salon de cette famille écrasée, écartelée.
On ne sort pas indemne, on médite en effet.
Et le bar du Maillon et la cour, comme un agora convivial, simposent, nécessaire lieu de pose et de discussion, thérapie de lesprit bouleversé.
Oui le théâtre conduit à lessentiel chaque fois quil sempare de la qualité et quil est exigeant avec lui même.
Commentaires
Pendant que tu étais au Maillon, j'étais au TJP où l'on présentait "Avant la retraite" de Thomas Bernhart.
Magnifique également.
Dans l'Allemagne des années 70, un notable, connu de tous, fête en secret chez lui l'anniversaire de Heinrich Himmler dont il est l'un des fidèles. Il explique pendant toute la soirée toute la "grandeur" du système nazi, et nous frémissons en pensant que tout cela a pu exister, que la pensée humaine a pu s'égarer ainsi, déformer le sens du discernement de millions d'hommes.
Mais la soirée se passe mal et notre héros s'asphyxie dans son dîner orgiaque. Il en crève, et nous respirons à nouveau. Provocateur, édifiant, somptueux.
Bien cordialement
Patrick
Cher Patrick,
Tu me fais regretter de n'avoir pas été au TJP mon temps est malheureusement compté! Et l'offre est tellement prolixe et en même temps intéressante à Strasbourg...
Ton récit est édifiant et je suis heureux de savoir que tu respires à nouveau. C'est tellement important le souffle surtout pour le vélo.
Comment avance votre spectacle sur le Tour de France. Seras-tu Bobet ou Gaul, ou Coppi?
Bernard Hinault sera à Strasbourg pour la journée du vélo. Engages le!
bonne continuation.
RG