Elie Wiesel, une conscience entre deux siècles.
Par Robert Grossmann le jeudi, 11 mai 2006, 14:25 - mon journal, mes humeurs - Lien permanent
Je ne réussis pas suffisamment à m'arracher à mes contraintes pour trouver ces moments de luxueuse immatérialité que je pistais avec soin avant dêtre en charge la CUS et d'une partie importante de la Ville. Mon plaisir était d'aller voir une exposition, visiter des ateliers d'artistes, de pénétrer l'oeuvre accrochée ou posée à même le sol, de flâner dans une librairie, de rencontrer des écrivains. Plaisir contrarié et disputé aujourdhui. Frustration
Je me suis évadé de mon agenda ce mercredi pour aller au déjeuner avec Elie Wiesel qui venait aussi à l'invitation de la ville dans le cadre de son partenariat avec la Librairie Kléber.
En avance, je me suis trouvé à bavarder avec des fidèles de ces rendez vous littéraires strasbourgeois, Daniel Riot, incontournable et l'homme qui allait présenter Elie Wiesel le soir, psychanalyste. Et, "chez Yvonne" est une bonne table...
Wiesel vint avec quelques amis, accompagné aussi par Jérôme Clément et un journaliste d'ARTE.
Nous étions une petite douzaine au total. Difficile d'aller au fond des conversations et Jérôme sait se faire entendre. Il a un charme qui opère dans ces situations. Il se fit donc entendre une grande partie du déjeuner en intime proximité, mezzo voce.
J'entendais ce qui voulait bien me tomber dans l'oreille et j'observais.
Je faisais « décor », assez convenablement, et me demandais si - et quand - j'allais me mettre, moi aussi, à dialoguer avec le grand homme.
Jérôme Clément évoqua un livre, un des quarante sept livres d'Elie Wiesel, quil trouvait particulièrement remarquable. « Quel beau livre" dit-il, « que ce dialogue avec Mitterrand est grand, ah qu'il est beau ce livre! » dut-il répéter, tentant de convaincre son auteur qui resta sceptique.
Et la discussion tint alors son sujet une bonne partie du déjeuner... Mitterrand ! Je ne crois pas qu'à cet instant l'un dentre nous ait songé à l'anniversaire du 10 mai 1981, à moins que ma naïveté soit encore plus prodigieuse que ce que je sais d'elle
Elie Wiesel s'est pratiquement défendu de préférer ce livre là. D'abord il datait de 1984 et, si j'ai bien compris, à cette époque là Wiesel ne le connaissait pas complètement, Mitterrand.
Celui ci cherchait à fréquenter souvent celui là, ou vice versa ? et une anecdote assez significative nous fut racontée.
Pour le dernier voyage officiel à Berlin Mitterrand insista vivement pour que Wiesel l'accompagne. Son siège dans l'avion était réservé à coté de celui de Mitterrand.
Wiesel refusa malgré les affectueuses pressions de celui qu'on appelait « dieu », ne l'oublions pas. Et Wiesel dit avoir bien fait car « dieu » voulait l'instrumentalismer, selon lui, en prononçant un discours à la gloire de l'armée allemande. La phrase serait -et fut - quelque chose du genre « l'armée allemande vaut l'armée française » Wiesel naurait pas pu le supporter et nous dit clairement que Mitterrand spéculait sur le fait que, s'il sétait trouvé assis là, pas loin de l'orateur divin, dans la tribune officielle, au moment où ces phrase là étaient prononcées, la décence et les règles protocolaires nauraient pas permis quil protesta. Garantie et caution morale pour Mitterrand donc, prise dotage pour Wiesel.
Et il nous affirma que si cette situation sétait produite, il se serait levé et serait parti.
Le sens de l'honneur existe et fréquenter un homme d'honneur, ne serait-ce que quelques instants, est roboratif.
Il y a eu débat et François Wolfermann quant à lui intervint avec passion. Il dit avoir lu et écouté tous les discours de Mitterrand (!) dieu « voulait simplement dire qu'un soldat allemand vaut un soldat français » J'ai écouté le texte récemment affirma-t-il. (sic)
Il n y eut pas accord sur cette partie de la conversation.
En un mot Wiesel nous dit que le jour où Péan révéla les relations Mitterrand Bousquet, leur amitié fut terminée pour lui. Plus tard, Mazarine lui demanda de lui parler de son père. Wiesel commença par rappeler que ses convictions lui interdisaient de dire du mal dun mort. Ils parlèrent donc du passé et Wiesel dit « puis Bousquet vint ». Terminé !
« Mais au fond, chez Mitterrand, tout ne commença-t-il pas par Bousquet ? » lançais-je sous forme de question métaphorique. Brouhaha !
Mitterrand ne voulut pas, selon Wiesel, renier cette amitié avec Bousquet « Excusez vous ! lui suggérait Wiesel, tout le monde peut faire des erreurs, surtout de jeunesse »
« Je ne fais pas d'erreur » lui a dit en substance Mitterrand
Wiesel : « Même Dieu (le vrai) a fait des erreurs, la Bible en atteste »
« Mais pas moi » lui répondit dieu.
Il y eut autour de la table un bref moment surréaliste d'excitation Mitterrandôlatre, mutuelle et réciproque. Je nétais évidemment ni dans la mutualité ni dans la réciprocité. Jétais simplement interloqué et rien que cet épisode me fit me réjouir d'avoir été là!
Seul Wiesel gardait la tête sur les épaules. Wolfermann, il est vrai, constata : « Dire que cest Mitterrand notre sujet de conversation » Nous le quittâmes pour retomber pas trop loin . On se mit à reconnaître à Chirac davoir été le premier à affirmer la culpabilité de la France dans les persécutions anti juives, à avoir demandé pardon au nom de la France.
« Comment ? demandais-je faussement naïf, Mitterrand ne l'avait pas fait, lui ? » La réponse dépassa mes espérances, ce fut un choeur unanime « non ! il ne la pas fait, lui »
Wiesel, qui vit aux Etats Unis, évoqua des slogans outranciers utilisés en France, et dit avoir été choqué par « Villier = Hitler ». Je ne connaissais pas. « Traiter Villiers de Hitler c'est, à contrario, traiter Hilter de Villiers, donc de le minimiser complètement. » Imparable. J'espère toutefois que la démonstration , arithmétiquement pure, n'avait pas pour objectif de saluer les positions assez superficielles et un peu hystériques de Villiers qui voit des complots islamistes partout. Il a maintenant l'outrance des idées Le Pen, sans les outrances du personnage. !
J'essayais dévoquer les dangers du communautarisme par rapport aux idéaux de la République, de la place de lhomme, par conséquent, face aux replis communautaristes, sans grand succès.
Je demandais à Wiesel s'il apercevait à travers le monde des Hitler potentiels ? Vive protestation de sa part pas de Hitler à l'horizon. Jai compris que Hitler était le monstre absolu, la référence du Mal éternel à ne pas utiliser pour nimporte quoi. Les mots y compris les noms propres ont un sens ! « Mais il y a des fascistes et des dictateurs à travers le monde ». Ce qui inquiète Wiesel cest l'Iran.
Daniel Riot, à juste titre, évoqua les cris d'orfraies de toute lEurope face à Jorg Hayder, en son temps, en Autriche . Mais pas un mot à propos des « Hayders polonais actuels » Selon Riot, personne nest suffisamment pur pour donner des leçons aux Hayders aujourdhui. Je ne partage pas cette analyse, ni cette explication mais je nen ai pas d'autres pour linstant. Les Polonais fascistes ? Il faut que je me documente mieux.
La Biélo Russie, si elle était plus importante, constituerait un danger. Et Wiesel nous dit son inquiétude face à Poutine. Dangereux Poutine !
J'ai retenu aussi cette inquiétante et cruelle affirmation de sa part. Professeur de philosophie aux Etats Unis, il a vu passer chez lui des milliers d'étudiants, avec lesquels il avait toujours établi un contact personnel. « Aucun deux, martela Wiesel, n'a jamais embrassé de carrière politique. Il y a pour ces jeunes là une sorte de répulsion face à la politique » Jérôme Clément, évoquant ses fils, le rejoignit. « Il font de l'humanitaire ou du social mais refusent de s'engager politiquement ».
Il y eut alors un beau moment de chorale des âmes pures pour tonner et tomber à bras raccourcis sur les politiques. C'est dailleurs à ce moment là que j'avais prononcé mes premières paroles au cours de ce déjeuner de têtes « Ne salissez pas tous les hommes politiques, ne les mettez pas tous dans un même panier dinfamie ! Il y a tant de dévouement et d'abnégation de la part de tous ces maires et élus locaux qui ne songent quà une chose, faire avancer leur collectivité, faire progresser l'intérêt général. Il y a une vraie noblesse de la politique » J'eus droit à un timide et court instant de succès d'estime. Et jajoutais, « vous connaissez ce vieux mot de la sagesse populaire : si tu ne toccupes pas de la politique, la politique elle , soccupe de toi » Peut-être nétait-ce pas suffisamment intellectuel pour l'auditoire qui m'accorda, une nouvelle fois néanmoins, une approbation silencieuse.
Je reviendrais !
Ce que je retiens avant tout de ce grand moment, cest la personnalité dElie Wiesel, une exceptionnelle figure de sagesse agissante. Une conscience !
La vraie grandeur se mesure à la simplicité, loin de la recherche d'artifices. Wiesel est un très grand !
Commentaires
Comme je vous envie Robert d'avoir pu partager un moment avec ce grand homme...
C'est un privilège rare dont vous avez su retranscrire l'émotion dans ce billet. Ce qui m'étonne le plus au travers de votre récit, c'est de voir que face à Elie WIESEL, on ne parle que de Miterrand. C'est même pour moi quelque chose d'incompréhensible. Cet homme a marqué son époque certes, mais pas dans le bon sens. Je suis la génération des enfants "MITERRAND" et je n'en suis vraiment pas fier. Le pays a été ruiné, le culte de la personnalité exacerbé, et que dire des scandales politico politiciens ( le coup du parapluie Bulgare à son meilleur ami ça ne vous rappelle rien?) qui ne sont pas sans rappeler le gouvernement Ceaucescu. Comment peut-on, quand on se prétend un intellectuel, deviser de Miterrand devant un rescapé de l'holocauste? J'aurais aimé imaginer que le Général de Gaulle ait pu assister à ce dîner à vos côtés. Il aurait, par une de ses phrases courtes et assassines, remis le débat dans les rails!
Quel gâchis quand il y aurait eu tant de choses à dire à cet homme. J'avoue que je n'aurais pas su garder mon calme autant que vous le racontez....bravo.
Mais finalement la meilleure des choses, plutôt que de supporter la pédanterie intellectuelle de certains, c'est finalement de lire les livres et pas forcément d'en parler avec les mauvaises personnes.
Enfin juste sur le début de votre billet, je comprends votre tristesse de ne plus pouvoir écumer les librairies et autres lieux agréables de culture. Mais toutefois, cela m'est arrivé de vous croiser dans les rues de strasbourg (rarement), j'espère que c'était pour ces petits moments bien à vous? Encore que lorsqu'on décide de faire de la politique, hélas, on ne s'appartient plus beaucoup. Mais moi je trouve que ce qui fait fait un bon homme politique c'est justement son contact avec la réalité et personne ne vous en voudra de vous préserver de temps à autre des moments de détente impromptus. Ces derniers peuvent d'ailleurs donner lieu à des échanges inoubliables et enrichir votre vision. N'hésitez pas, faites-le, c'est aussi pour ça que je suis devenu un de vos secrets admirateurs.
Bien à vous
Un anniversaire loupé d'un jour. Je me souviens, les pixels "minitel" qui apparaissent sur l'écran ... Mitterrand, Président, ... Je me souviens de la fête, du champagne autour de moi, ... Pourtant de droite, la famille avait décidé de sanctionner un camp qui n'avait pas la moindre pensée pour la "droite d'en bas". J'étais à l'ecoute ... et il est vrai que l'image de la droite n'était pas la meilleure.
Je vis après les cohortes mitterrandiennes entrer dans toutes les structures, les apareils de l'état. Mitterrand, lui, en Machiavel démagoghe, s'en moquait ...
Un homme de droite élu par la gauche ùe dit un jour un homme qui l'avait bien connu ? De droite, je ne sais pas, aristrocrate sans doute ....
Particulier, il n'a eu nul besoin de particules achetées pour percer, il s'en est allé ensuite. D'aucun l'ont soutenu, lui le socialiste décoré par Pétain ....
Et en fin stratège, il a su créer l'ambiance pour qu'aucun héritier ne le remplace. Je me demande parfois, en ces temps troublés par les tempêtes médiatico-financières, si certains à droite n'ont pas decidé de faire place à la gauche.
Cela y ressemble bcp !
Cher Blogmaster,
Comme je vous comprends. Jâ??ai eu le privilège de partager un moment de mon samedi après-midi avec un très grand monsieur. Il mâ??est arrivé de rencontrer des gens « célèbres » ou de pouvoir sans me retrouver paralysé par lâ??émotion. Pourtant hier, comme les fois précédentes, je suis resté sur la défensive, bridé par la peur de mal faire, tétanisé par la hantise de ne pas être à la hauteur du personnage. Dès le début de notre échange, il a eu la gentillesse de me mettre à lâ??aise et dâ??essayer de me décomplexer. Pas facile lorsque lâ??admiration limite vos moyens. Dès son départ, jâ??ai regretté la médiocrité des mes interventions. Pourtant cet échange a été bénéfique pour moi mais une fois encore, il mâ??a donné sans recevoir. Jâ??espère être un jour capable de me libérer pour être enfin digne de la confiance quâ??il me porte.
Une pensée de Jean d'Ormesson me vient à lâ??esprit pour illustrer lâ??importance dâ??un entretien avec une personne que lâ??on estime « Il y a des jours, des mois, des années interminables où il ne se passe presque rien. Il y a des minutes et des secondes qui contiennent tout un monde »â?¦
Oui Johnny, on attend que vous "allumiez le feu" encore et toujours.....!
Les tisons, durant votre période d'absence,devaient être ravivés....et nos échanges continuent pour le plus grand plaisir de tous nos compagnons bloggeurs.