Né en 1939, le 12 vient de disparaître cette nuit d'avril 2006. Concurrence oblige, France Telecom a perdu ce que l'on a cru bon de considérer comme un "monopole". Soit !

Mais, le 12 disparaît, nous ne serons pas privés de renseignements pour autant. Les préfixes en 118 ont d'ores et déjà fait leur apparition, à grands frais de spots publicitaires, d'offensives médiatiques en tout genre et de tragi-comédie téléphonique. La grande Armada des 118 débarque et entend prendre d'assaut les 300 millions d'euros que les Français dépensent chaque année pour connaître le numéro de la personne qu'ils veulent appeler.

Chaque jour, un nouveau numéro de renseignements a surgi d'on ne sait où. A cette allure, nous autres Français aurons bientôt réussi à créer ce que Borges avait un jour seulement osé imaginer : des annuaires d'annuaires... La mise en abyme par excellence ! Et nous allons composer des numéros de renseignements pour nous renseigner sur les numéros de renseignements à composer afin d'obtenir un numéro téléphonique. Plus de trente après la mort de Fernand Raynaud, chaque Français doit bientôt s'apprêter à jouer bientôt à guichets fermés le sketch du "22 à Asnières"...

Il est vrai que l'existence d'un numéro unique était une chose trop simple, trop évidente, trop efficace, pour que certaines bonnes âmes qui nous régissent ne songent pas à y mettre un terme définitif. On a donc choisi, une nouvelle fois, la voie de la complexité. Mieux encore, on est allé regarder (une fois n'est pas coutume) ce qui se passait autour de nous en Europe. Comme on a constaté que la libéralisation des renseignements téléphoniques s'est soldée par un échec retentissant, on ne s'est pas fait attendre pour emboiter le pas ! En Grande-Bretagne et en Espagne, la libéralisation des renseignements téléphoniques s'est, en effet, traduite par des tarifs plus élevés et des pratiques plus opaques, au détriment du consommateur.

Pourquoi, donc, avoir choisi de suivre cette voie ? On nous répond : "Pour respecter les lois de la concurrence à l'heure de la mondialisation..." La mondialisation et les lois de la concurrence ont bon dos ! Laisser subsister le 12 allait-il risquer de faire ressembler la France à un pays peuplé d'hommes de Néanderthal, à une société archaïque préférant toujours les lampes à huile et la marine à voile au confort moderne, ou encore à une contrée ravagée par des soviets hostiles aux lois élémentaires du libéralisme ?

Est-ce que l'existence d'un numéro unique de renseignements téléphoniques ne relevait pas d'une certaine idée du "service public" ? Est-ce que le 12 mettait en péril l'économie française, européenne, mondiale ? Va-t-on demain poursuivre dans la même voie et réclamer que soient libéralisés les numéros d'urgence ?

Dans cette affaire, le plus paradoxal est que nous vivons une époque où deux principes apparemment contradictoires coexistent : d'une part, le monde nous semble fait que de libéralisation, la démonopolisation et de déréglementation ; d'autre part, on n'a jamais autant réglementer, régi, contrôlé qu'à l'heure actuelle. L'histoire a connu des moments pareils, où des sociétés entières ont vécu sous la servitude volontaire de la réglementation, avant que le "non-sense" des situations les conduise à totalement dépérir. Nous savons que l'empire byzantin est mort de son propre byzantinisme.

Certes, la société française ne va pas dépérir maintenat que le 12 a disparu : nous aurons simplement un peu plus de tracas lorsqu'il faudra nous souvenir quel numéro composer lorsque nous voudrons obtenir un renseignement téléphonique...

Laisser subsister le 12 aurait été trop simple, trop évident, pas assez complexe. Aujourd'hui, la complexité engendre la complexité. Elle se nourrit d'elle, dans nos lois comme dans nos pratiques économiques et sociales, et emporte dans son sillage tortueux ce que certains ne peuvent plus partager faute de s'en servir : le bon sens.