Le pays qui a inventé le droit d’auteur va-t-il inventer le droit du pirate ? On peut se le demander, au vu des actuels débats parlementaires sur le téléchargement.

Aujourd’hui, l’industrie du disque traverse une grave crise : les ventes de Cd et de Dvd ne cessent de diminuer alors que le téléchargement de titres augmente grâce au peer to peer. L’industrie du disque, ce n’est pas simplement quelques « majors » ni quelques grandes groupes multinationaux, supposés être peuplés de financiers et de requins aux dents longues. C’est une filière entière de la vie économique du pays qui est concernée : auteurs, compositeurs, réalisateurs, interprètes, producteurs, presseurs, diffuseurs, disquaires, etc.

Un artiste a-t-il le droit de vivre de son art ?

Télécharger gratuitement de la musique ou des films n’est pas un acte anodin. Cela revient à ne pas consentir qu’un artiste a le droit de vivre de son art. C’est considérer que ceux qui travaillent dans les métiers de la culture peuvent vivre d’amour et d’eau fraîche. C’est là une idéologie assez délétère. En France, tous les arguments sont bons pour justifier la gratuité et il est quasiment anti-politiquement-correct de dire que la culture et l’art ont des coûts.

Quand un spectateur visite un Musée, il paie son billet d’entrée et la collectivité, quant à elle, engage des dépenses d’investissement et de fonctionnement, qui sont partagées par l’ensemble des contribuables. De même pour le théâtre, la musique, etc.

Or, aujourd’hui, certains semblent vivre dans un monde à part, dans leur « bulle » à eux, sans se soucier d’autre chose que de leur propre confort. Parfois, pour se donner bonne conscience, ils s’apitoient cinq minutes sur un sujet tel que le sort des intermittents du spectacle.

Il faut parfois avoir de la suite dans les idées ! Surtout en politique. Or, quand je vois, sur les bancs de l’Assemblée nationale certains députés plaider aujourd’hui pour la « licence globale » (c’est-à-dire en fin de compte pour la quasi-gratuité du téléchargement) alors qu’hier encore ils faisaient semblant de soupirer sur le sort de l’intermittence, je me dis qu’il y a quelque chose de démagogique, bref quelque chose de pourri, et pas seulement dans le royaume du Danemark.

Droits d’auteur, intermittence : même combat !

Car de quoi parlons-nous ici ? Nous parlons non seulement de l’avenir de l’industrie culturelle en France, mais aussi des moyens de subsistance d’artistes et de professionnels de la culture. On ne peut pas assurer ni développer la vitalité culturelle de notre pays, sans d’une part assurer aux créateurs des revenus (c’est la logique fondamentale du régime des « droits d’auteur ») et sans d’autre part leur assurer un statut social décent (c’est la question de l’intermittence, sur laquelle je me suis engagé fortement, saisissant même sur le sujet le Premier ministre de l’époque en visite à Strasbourg). Intermittence et droit d’auteur, c’est une seule et même question : celle d’admettre si oui ou non ceux qui travaillent dans le domaine culturel ont le droit d’être rémunérés, bref de savoir si oui ou non la culture a un coût…

Oui ! l’accès à la culture a un prix !

Elle en a un, assurément. En France, on est un peu trop versé dans l’idéologie de « l’art pour l’art ». On vit dans la mythologie de l’artiste maudit (« Regardez Van Gogh, il a créé des chefs d’œuvre sans avoir le sou »). Rares sont ceux qui admettent avec le dramaturge René Ehni une bouleversante réalité : « Le nerf du spectacle c’est l’argent. » Prétendre le contraire, ce serait faire preuve de démagogie. Et, en la matière, je connais certains députés qui n’ont pas été en reste ces derniers temps. En effet, en décembre dernier, les députés, au PS et à l’UMP, ont voté deux amendements légalisant le téléchargement pour usage privé moyennant une contribution forfaitaire : la voie ouverte à la « licence globale ». Lundi, le ministre de la Culture retirait l’article 1 du projet de Loi (sur lequel portait les deux amendements). Hier soir, pour ne pas courir le risque de l’inconstitutionnalité sur la procédure qu’il avait engagée, Renaud Donnadieu de Vabre a réintroduit l’article 1.

Vers une exception (anti-)culturelle française ?

Quelle sera l’issue du vote des députés ? Est-ce qu’ils sauront résister aux sirènes de la démagogie qui les appellent à contenter près de dix millions d’internautes tout en risquant de provoquer l’effondrement de toute une filière de l’industrie culturelle du pays ? J’espère sincèrement que cet article 1, malencontreusement amendé, sera rejeté. Car non seulement il mettrait en péril le paysage culturel national, mais il placerait la France dans une situation assez paradoxale dans le monde : le pays qui s’affichait jusqu’alors en pointe de l’exception culturelle deviendrait une sorte de havre de paix pour tous les pirates du monde… Je ne crois pas que mon pays puisse se résigner à avoir le destin d’Iles Caïman de la culture !

La licence globale est une mauvaise solution…

La solution de la « licence globale » me semble être une mauvaise solution : les recettes dégagées par sa perception (suivant des normes et des procédures que personne n’a d’ailleurs encore très clairement définies) n’équivaudraient, d’abord, certainement pas à celles dégagées par la vente de disques. Le régime d’assurance sociale des professionnels du spectacle serait, lui aussi, acculé à un déficit plus grand qu’il ne l’est aujourd’hui (les droits d’auteur étant assujettis à une taxation finançant ce système). Qui contrôlerait, d’ailleurs, la redistribution des droits d’auteur ? En fonction de quoi ? Ensuite, d’autres métiers seraient amenés à être considérablement fragilisés, à commencer par celui de disquaires.

Le Cd-rom ne s’est pas fait en un jour !

La première solution viendra, je le crois, naturellement, si l’on veut bien, pour une fois, ne pas tout réglementer ni déréglementer, mais bien se contenter de laisser les choses suivre leur cours : le Cd-rom ne s’est pas fait un jour ! Si les internautes téléchargent autant de titres grâce au système gratuit du peer to peer, ce n’est pas par goût du vol. C’est certainement que les sites payants n’ont, pour l’heure, pas de catalogue suffisamment étoffé. Il est urgent que les sites payants de téléchargement de musique augmentent considérablement la numérisation des collections : le poète Baptiste Marrey, dont on se souvient qu’il a écrit un magnifique Eloge de la Librairie avant qu’elle ne meure, disait que le vrai libraire mettait à disposition du public un fond littéraire (sans se contenter uniquement de vendre facilement les nouveautés). Avec Internet, un nouveau media existe, mais les principes restent les mêmes : les fonds numérisés de disques et de Dvd proposés aux internautes doivent s’enrichir considérablement !

D’autre part, l’Etat doit jouer pleinement son rôle, en stimulant économiquement la filière du disque. Cela consiste, avant tout, à faire passer la TVA sur les disques de 19,6 à 5,5 %. Le gouvernement français doit faire peser tout son poids à Bruxelles, quitte à déplaire à Mme Merkel.

Une fois l’offre légale développée, le prix des disques baissés grâce à la diminution de la TVA, alors il appartiendra au gouvernement de rejoindre les positions de la plupart des Etats européens, en informant les internautes sur les risques liés au téléchargement illégal et en poursuivant judiciairement les pirates professionnels. Nous aurons ainsi permis un accès à toutes les formes de productions musicales et cinématographiques, sans pour autant remettre une industrie qui, en France, doit être et rester une belle et grande exception !