La licence globale : vers lexception (anti-)culturelle française.
Par Robert Grossmann le jeudi, 9 mars 2006, 16:32 - l'actualité - Lien permanent
Le pays qui a inventé le droit dauteur va-t-il inventer le droit du pirate ? On peut se le demander, au vu des actuels débats parlementaires sur le téléchargement.
Aujourdhui, lindustrie du disque traverse une grave crise : les ventes de Cd et de Dvd ne cessent de diminuer alors que le téléchargement de titres augmente grâce au peer to peer. Lindustrie du disque, ce nest pas simplement quelques « majors » ni quelques grandes groupes multinationaux, supposés être peuplés de financiers et de requins aux dents longues. Cest une filière entière de la vie économique du pays qui est concernée : auteurs, compositeurs, réalisateurs, interprètes, producteurs, presseurs, diffuseurs, disquaires, etc.
Un artiste a-t-il le droit de vivre de son art ?
Télécharger gratuitement de la musique ou des films nest pas un acte anodin. Cela revient à ne pas consentir quun artiste a le droit de vivre de son art. Cest considérer que ceux qui travaillent dans les métiers de la culture peuvent vivre damour et deau fraîche. Cest là une idéologie assez délétère. En France, tous les arguments sont bons pour justifier la gratuité et il est quasiment anti-politiquement-correct de dire que la culture et lart ont des coûts.
Quand un spectateur visite un Musée, il paie son billet dentrée et la collectivité, quant à elle, engage des dépenses dinvestissement et de fonctionnement, qui sont partagées par lensemble des contribuables. De même pour le théâtre, la musique, etc.
Or, aujourdhui, certains semblent vivre dans un monde à part, dans leur « bulle » à eux, sans se soucier dautre chose que de leur propre confort. Parfois, pour se donner bonne conscience, ils sapitoient cinq minutes sur un sujet tel que le sort des intermittents du spectacle.
Il faut parfois avoir de la suite dans les idées ! Surtout en politique. Or, quand je vois, sur les bancs de lAssemblée nationale certains députés plaider aujourdhui pour la « licence globale » (cest-à-dire en fin de compte pour la quasi-gratuité du téléchargement) alors quhier encore ils faisaient semblant de soupirer sur le sort de lintermittence, je me dis quil y a quelque chose de démagogique, bref quelque chose de pourri, et pas seulement dans le royaume du Danemark.
Droits dauteur, intermittence : même combat !
Car de quoi parlons-nous ici ? Nous parlons non seulement de lavenir de lindustrie culturelle en France, mais aussi des moyens de subsistance dartistes et de professionnels de la culture. On ne peut pas assurer ni développer la vitalité culturelle de notre pays, sans dune part assurer aux créateurs des revenus (cest la logique fondamentale du régime des « droits dauteur ») et sans dautre part leur assurer un statut social décent (cest la question de lintermittence, sur laquelle je me suis engagé fortement, saisissant même sur le sujet le Premier ministre de lépoque en visite à Strasbourg). Intermittence et droit dauteur, cest une seule et même question : celle dadmettre si oui ou non ceux qui travaillent dans le domaine culturel ont le droit dêtre rémunérés, bref de savoir si oui ou non la culture a un coût
Oui ! laccès à la culture a un prix !
Elle en a un, assurément. En France, on est un peu trop versé dans lidéologie de « lart pour lart ». On vit dans la mythologie de lartiste maudit (« Regardez Van Gogh, il a créé des chefs duvre sans avoir le sou »). Rares sont ceux qui admettent avec le dramaturge René Ehni une bouleversante réalité : « Le nerf du spectacle cest largent. » Prétendre le contraire, ce serait faire preuve de démagogie. Et, en la matière, je connais certains députés qui nont pas été en reste ces derniers temps. En effet, en décembre dernier, les députés, au PS et à lUMP, ont voté deux amendements légalisant le téléchargement pour usage privé moyennant une contribution forfaitaire : la voie ouverte à la « licence globale ». Lundi, le ministre de la Culture retirait larticle 1 du projet de Loi (sur lequel portait les deux amendements). Hier soir, pour ne pas courir le risque de linconstitutionnalité sur la procédure quil avait engagée, Renaud Donnadieu de Vabre a réintroduit larticle 1.
Vers une exception (anti-)culturelle française ?
Quelle sera lissue du vote des députés ? Est-ce quils sauront résister aux sirènes de la démagogie qui les appellent à contenter près de dix millions dinternautes tout en risquant de provoquer leffondrement de toute une filière de lindustrie culturelle du pays ? Jespère sincèrement que cet article 1, malencontreusement amendé, sera rejeté. Car non seulement il mettrait en péril le paysage culturel national, mais il placerait la France dans une situation assez paradoxale dans le monde : le pays qui saffichait jusqualors en pointe de lexception culturelle deviendrait une sorte de havre de paix pour tous les pirates du monde Je ne crois pas que mon pays puisse se résigner à avoir le destin dIles Caïman de la culture !
La licence globale est une mauvaise solution
La solution de la « licence globale » me semble être une mauvaise solution : les recettes dégagées par sa perception (suivant des normes et des procédures que personne na dailleurs encore très clairement définies) néquivaudraient, dabord, certainement pas à celles dégagées par la vente de disques. Le régime dassurance sociale des professionnels du spectacle serait, lui aussi, acculé à un déficit plus grand quil ne lest aujourdhui (les droits dauteur étant assujettis à une taxation finançant ce système). Qui contrôlerait, dailleurs, la redistribution des droits dauteur ? En fonction de quoi ? Ensuite, dautres métiers seraient amenés à être considérablement fragilisés, à commencer par celui de disquaires.
Le Cd-rom ne sest pas fait en un jour !
La première solution viendra, je le crois, naturellement, si lon veut bien, pour une fois, ne pas tout réglementer ni déréglementer, mais bien se contenter de laisser les choses suivre leur cours : le Cd-rom ne sest pas fait un jour ! Si les internautes téléchargent autant de titres grâce au système gratuit du peer to peer, ce nest pas par goût du vol. Cest certainement que les sites payants nont, pour lheure, pas de catalogue suffisamment étoffé. Il est urgent que les sites payants de téléchargement de musique augmentent considérablement la numérisation des collections : le poète Baptiste Marrey, dont on se souvient quil a écrit un magnifique Eloge de la Librairie avant quelle ne meure, disait que le vrai libraire mettait à disposition du public un fond littéraire (sans se contenter uniquement de vendre facilement les nouveautés). Avec Internet, un nouveau media existe, mais les principes restent les mêmes : les fonds numérisés de disques et de Dvd proposés aux internautes doivent senrichir considérablement !
Dautre part, lEtat doit jouer pleinement son rôle, en stimulant économiquement la filière du disque. Cela consiste, avant tout, à faire passer la TVA sur les disques de 19,6 à 5,5 %. Le gouvernement français doit faire peser tout son poids à Bruxelles, quitte à déplaire à Mme Merkel.
Une fois loffre légale développée, le prix des disques baissés grâce à la diminution de la TVA, alors il appartiendra au gouvernement de rejoindre les positions de la plupart des Etats européens, en informant les internautes sur les risques liés au téléchargement illégal et en poursuivant judiciairement les pirates professionnels. Nous aurons ainsi permis un accès à toutes les formes de productions musicales et cinématographiques, sans pour autant remettre une industrie qui, en France, doit être et rester une belle et grande exception !
Commentaires
Un élu UMP qui critique des députés UMP ! la liberté de pensée serait-elle de retour en politique ? Bravo à vous !
Oui enfin bon tout ça c'est encore pour pouvoir mieux protéger les bandes...
Je ne voudrais pas simplifier le débat mais se pose de savoir si l'art n'est finalement qu'une marchandise ? Ici, les artistes sont vendeurs et je ne leur jette pas le cd-rom à la tête, mais ce système se heurtera, de facto à la création de castes, entre les artistes vendant beaucoup et les autres intimistes.
Mais faire passer la tva à 5.5 % ne changera rien sur l'argent en question est pris sur l'ensemble des ayant-droits, de l'artiste au diffuseur. Encore faut-il que les droits de l'artiste soient valorisés !
Vous dites que la culture a une prix, soit, mais à condition que tous les genres puissent s'exprimer et qu'il n'y ait pas un genre officiel ou discriminé positivement par les subventions.
L'offre légale en ligne est assez développée ( ou se développe encore)elle existe à 0.99 le morceau, mais là encore, la problématique finira par faire disparaître des titres entiers, ces "faces B" d'une autre époque. A ce jour, un album coûte légalement moins cher à télécharger qu'à acheter.
L'ensemble ne mène-t-il vers une limitation de la création ? Je me pose la question !
Je suis assez consterné de ce nouveau débat franco-français : comment une assemblée parlementaire à connotation plutôt libérale peut elle voter la quasi-gratuité d'un produit économique privé au préjudice du b.a.ba des principes économiques?
Est-ce la dérive égalitariste d'une pensée vraiment unique?
Il manque à ce tableau hilarant la captation ou nationalisation des outils de la production dicographique, cinématographique....
Alors, bien sûr ne votons ni pour l'Europe,ni pour le Monde, mais
jouissons ensemble de ces quelques moments de grâce immobile qui nous restent....pour combien de temps?Au secours...
M. Grossmann, je n'ai pas entendu, jusqu'à ce jour, un élu du peuple aussi lucide sur la question du téléchargement gratuit ! Vous oser rompre avec la pensée unique, très démagogique, pour revendiquer le simple droit des artistes à vivre de leur art ! Tout le monde croit en France que la culture est quelque chose de gratuit. Vous allez à rebours des idées reçues, vous en avez le courage. Vous osez dire que "produire une oeuvre d'art mérite rétribution", je voudrais vous en remercier. Du fond du coeur !
Les artistes n'ont pas vocation à être maudits, ils veulent tout simplement vivre de ce qu'ils font ! Merci !
M. Grossman, j'ai une seule question : pourquoi n'êtes vous pas député ? Pourquoi ne pas être, vous même, à l'Assemblée, pour vous ériger contre tous ces démagogues ! Je suis d'Aix en Provence et comme de nombreux concitoyens, nous voulons des élus avec des convictions fortes, qui ne plaisent pas toujours à tout le monde, pas des démago, comme nous avons aujourd'hui au gouvernement et à l'assemblée ! Merci à vous pour votre franchise !
J suis d accord dans l'ensemble, mais je voudrais juste donner mon point de vue sur 2 choses :
La première : c'est que quand on parle de chiffres, il faut savoir aussi les comparer. La vente de disques diminue ? Mais quel est le volume de vente par rapport à il ya 10 ans ? JE veux dire, aujourd'hui, il ya TROP de disques, tout le monde sort son album et ce au détriment de la qualité ? C est normal qu aujourd'hui on considère un disque comme une vulgaire marchandise et non plus comme un art !
La deuxième chose, c est cette espece d'hypocrisie qui a consisté à inciter fortement les foyers à s'équipe de graveurs, de CD vierges, de PC puissant bon Marché, de lecteurs MP3 ultra pratiques, de connexions Internet Haut-Débits et d'ensuite de s'étonner du résultat et de jeter l'oprobe sur les utilisateurs.
Comme dit pour le reste, j ai mon avis, et mes habitudes. Aujourd'hui, j achete ma musique sur Internet sur I Tunes, mais j avoue facilement que j ai longtemps telecharger des titres.
J avoue aussi qu acheter un titre sur internet via I tune par exemple, c est assez excitant, sympa et t as l impression d avoir quelque chose de concret et la qualité est vraiment au TOP !
Pour 0,99 $, ca le fait, meme si je déplore le fait qu on ne peut qu ecouter le titre sur le lecture I tune après l'avoir acheter.
bye
La licence globale,rien que le terme global fait frémir! Comment peut-on mettre toutes les disciplines artistiques dans un même panier? Les circuits de diffusion sont aussi variés que la création artistique elle-même.
Les artistes doivent percevoir une rétribution pour leurs créations, c'est un fait indiscutable. Cependant, et vous en conviendrez, l'hypocrisie est présente à tous les stades à commencer par la publicité des fournisseurs d'accès à internet qui se gaussent d'offrir la possibilité de téléchargements illimités (musique et autres) avec en bas de page une toute petite mention : "téléchargements légaux autorisés uniquement" ou une phrase dans ce style. Le téléchargement est passé dans les moeurs parce que l'on a présenté l'internet comme un espace de liberté totale (on pourrait d'ailleurs lancer des réflexions philosophiques sur ce sujet M. Grossmann qu'en pensez-vous?) où la sanction était jusqu'à présent quasi-inexistante. Lorsque vous invoquez le fait que les catalogues de téléchargements payants ne sont pas assez fournis, je suis entièrement d'accord. Il est vrai que bien souvent, certains internautes téléchargent des fichiers de musique qu'ils n'arrivent pas forcément à trouver dans le commerce, même si ce n'est bien évidemment pas une excuse. En effet, avez-vous jamais tenté d'obtenir le CD de la musique de "Ben Hur" de Miklos Rosza chez un revendeur spécialisé? C'est presque impossible, et vous vous heurtez à des vendeurs bien conscients de leurs manque de stock. Faites l'essai dans un de nos magasins bien connu à Strasbourg.
Mais le téléchargement n'a pas eu que des effets néfastes, les éditeurs conscients du danger, rivalisent d'idées pour offrir de véritables écrins aux acheteurs. Un disque autrefois simple, devient un véritable objet de collection qui ravit les passionnés. Mais, car il y a un mais, le coût est là!
Je crois que vous ouvrez la porte d'un débat réellement complexe qui mériterait même d'être mis en avant sous la forme d'une rencontre artistes-public, pourquoi pas à Strasbourg?
A la pointe de la culture, nous pourrions aussi être, comme vous vous y êtes engagé depuis quelques temps, à la pointe du débat
Respectueusement.
Bravo à vous Robert Grossmann. Les cyber militants, les internautes mais surtout lensemble des Strasbourgeois découvrent enfin un véritable homme politique dans notre belle région essentiellement dirigée par des professionnels du clientélisme. Voilà un élu qui na pas peur de dire ce quil pense, qui ne sest pas spécialisé à «caresser le cul des vaches », qui ne sest pas cantonné à être est sympa avec tout le monde en ne rendant service à personne.
Enfin un homme politique qui ne reste pas cantonné à lidéologie de son parti, un politichien comme le disait le général de Gaulle.
Enfin un élu qui maîtrise réellement les nouvelles technologies, qui en parle en maîtrisant le jargon propre aux initiés. Terminé les Toasteurs, les mulots, les biscottes si chers à notre président JC.
Nombreux sont les hommes ou femmes politiques qui ouvrent un blog mais qui ne respectent pas son esprit. Ils utilisent le web comme un nouvel outil de propagande (je ne citerai pas de nom, ce serait leur faire trop dhonneur ) vous êtes lun des rares à vous livrer réellement malgré vos responsabilités
Bon courage et continuez ainsi !
Pour la sincérité du débat et de votre blog, vous pourriez aussi publier les commentaires qui critiquent votre analyse. Cela rendrait le tout moins nigaud.
allez voir ce rapport :
michaelgeist.ca/component...
Le p2p ne tue pas la culture au contraire il la fait découvrir.