Du libre usage de la correction auditive en littérature

« Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. » Tout le monde attribue cette formule à Malraux. La liste de ceux qui jurent leurs grands dieux avoir entendu Malraux tenir ces propos en différentes circonstances est aussi longue que celle de ceux qui professent sans vergogne que cette formule est du Malraux pur sucre, sans compter ceux qui croient l’avoir lu au détour d’une page des Antimémoires. De toute bonne foi, même Jean-Paul II écrit en conclusion de son livre Entrez dans l’espérance : « André Malraux avait certainement raison de dire que le XXe siècle serait religieux ou ne serait pas. »

Le problème est que Malraux déclare dans une interview accordée au Point à la fin de l’année 1975 : « On m’a fait dire que le XXIe siècle serait religieux. Je n’ai jamais dit cela, bien entendu, car je n’en sais rien. Ce que je dis est plus incertain. Je n’exclus pas la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire. » Dans son entretien avec Max Torrès, Hôtes de Passage, Malraux persiste et signe : « On m’a fait dire : le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. Formule ridicule. En revanche, je pense réellement que l’humanité du siècle prochain devra trouver quelque part un type exemplaire de l’homme. »

Quelle leçon ! Malraux a beau démentir à plusieurs reprises avoir jamais prononcé cette formule, il a beau prétendre qu’elle est « ridicule » : tout le monde continue à lui en accorder la paternité. Preuve qu’aucun démenti ne peut alléger le poids de l’autosuggestion et qu’il n’existe pire sourd que celui qui ne veut entendre. Encore que dans ce cas précis, il n’existe aucune bande sonore pour corser l’affaire.