communautarisme, question linguistique...à propos de la Corse en juillet 2000
Par Robert Grossmann le mercredi, 22 février 2006, 06:48 - j'aime... - Lien permanent
.Texte : Voici le texte intégral, titre compris
« Lionel JOSPIN a cru désarmer les indépendantistes corses
Ils ne le lâcheront pas !
Notre critique littéraire, né en Corse, navait jamais voulu parler de son île. Après les concessions qui viennent dêtre accordées aux nationalistes, il a décidé de le faire pour la première fois. Avec colère.
Tueurs à gages, plastiqueurs et hommes politiques continuant leur ouvrage, profitons en pour faire le point sur les accords conclu en juillet, à Matignon, entre le gouvernement et une délégation de lAssemblée territoriale de Corse, où laigle est surtout un motif de décoration napoléonien dans la tapisserie. Lencre en est à peine sèche. De même que le sang de M. Erignac, homme de devoir, abattu de plusieurs balles.
Il y a toujours dans un marché un contrat, une clause qui en indique les limites et les faiblesses. Dans ce cas, cest lenseignement du corse qui signale et la légèreté et le burlesque de lentreprise. On veut rendre son enseignement obligatoire à lécole. Passons sur le mauvais coup porté à la langue française ; pas un intellectuel, pas un artiste ne saurait y être insensible, à quelque bord quil appartienne. Passons pour se demander ce que diable on va apprendre aux enfants.
Une langue se fonde sur des chefs-duvre, une grammaire, un dictionnaire, une orthographe, et un minimum de compréhension mutuelle à lintérieur dune communauté. Or un paysan du cap Corse, au nord, a besoin quon lui traduise les propos dun citoyen de Bonifacio, à lextrême sud. Nous sommes devant une mosaïque de dialectes aux accents divers que leur sonorité apparente, dans lensemble, à celle dun dialecte toscan qui naurait pas évolué depuis le Moyen Age. Coupé depuis deux siècles de laire italophone qui leût peut-être vivifié, sous aucune forme cet idiome, qui parvient tout juste à exprimer les sentiments de lordinaire des jours, na donné naissance à un ouvrage digne dêtre retenu. Et pour cause : dans un pays de bergers, une île où les lois et la civilisation arrivèrent toujours par la mer, tout sen allait par la bouche. Loralité régnait.
Dun bout à lautre dun département moins peuplé que le 15e arrondissement de Paris, on na guère en commun quune certaine façon de siffler les chèvres je la connais encore - pour que les bêtes, à ce signal, le soir, regagnent leur enclos. Du point de vue du langage, cest un peu court pour affronter le XXIe siècle ou utiliser un ordinateur. Et comme on ne fera pas naître par décret ministériel un Mistral corse qui écrirait une « Mireille » en dialecte pour décrocher le Nobel et même Mistral a échoué à ressusciter le provençal -, lEducation nationale sapprête à financer une mutilation de lintellect des élèves, un grand saut en arrière. On attendrait que passéisme, réaction et régression se brisent au contact de la réalité si le reste navait pas été décidé à partir des mêmes critères et aux dépens de lunité de la République.
Un pays de bergers, disions-nous aux lecteurs continentaux. Donc une société de type sylvo-pastoral. Donc une division de celle-ci en clans. Devant la précarité de lexistence, la difficulté dobtenir individuellement justice dans lanarchie générale, on faisait allégeance à un chef qui en retour en « parrain » doublé dune sorte de nourrice - assurait protection et passe-droit. Peu importait quà Paris il se classât à droite ou à gauche. Dans certaines familles, on détient, de fils en neveux ou cousins, une écharpe de parlementaire depuis Charles X Rien na beaucoup changé, et seuls les communistes issus de la Résistance au fascisme durant la guerre sont parvenus, dans leurs municipalités, à introduire la notion de bien public, et la pratique de la solidarité à légard de chacun.
Il nest que de voir la photo des négociateurs reçus à Matignon : on se croirait dans larrière-salle dun cabaret de New York, lorsque, las de la guérilla fratricide, les chefs de bande, sous la houlette dun arbitre, se serrent autour de la table pour ménager une place à des cadets turbulents auxquels, par un redécoupage de la ville en zones dinfluence, un quartier vient dêtre concédé. Ainsi un clan sest-il ajouté aux précédents qui, prenant acte de la défaillance du pouvoir central, ont composé avec lui dans lintérêt de la survie de leur clientèle. Et les nouveaux ont obtenu un brevet dhonorabilité et un quitus pour des méthodes en tout point analogues à celles des squadristi de Mussolini, qui, meurtres et gourdins à lappui, vinrent à bout de la fragile démocratie parlementaire dans la Péninsule. Le Duce, dailleurs, na-t-il pas arrosé de subsides le mouvement autonomiste corse avant la guerre, comme Hitler, un moment, a misé sur les séparatistes bretons ?
On se refuse ici à utiliser le mot « nationaliste » car ce serait déjà admettre ce qui nexiste pas plus que la nation solognote ou auvergnate. A moins dassimiler à un peuple un groupe de petits Blancs dont lidéologie raciste est tout à lopposé de la tradition insulaire faite dhospitalité. Comptant désarmer une minorité qui sexclut du champ de la démocratie et refuse le verdict des urnes, M. Jospin muselle la majorité dun électorat qui, déjà, nen mène pas large sous le poids de lomertà. Tout à son ambition, qui est de rejoindre dans les annales les titans que furent Paul Deschanel, Emile Loubet et René Coty, le conseiller général de Cintegabelle a voulu obtenir la tranquillité qui plait aux électeurs. Mais de quelle République serait-il président si demain Savoyards, Alsaciens, Bretons réclamaient la même chose que les tontons macoutes de Corté, cest-à-dire lindépendance à terme ?
Futur roi de Bourges, M. Jospin appartient à la lignée des SFIO à la Guy Mollet, ce président du Conseil qui à Alger, sous le jet des tomates lancées par des manifestants, changea de politique sur-le-champ, aggravant lhorreur dune guerre. Encore Guy Mollet était-il aux prises avec lun des phénomènes importants du siècle : la décolonisation. M. Jospin aurait-il assez de nerfs pour soutenir un conflit avec Monaco si daventure laimable prince lâchait sur la France, depuis son Rocher, la garde à plumets veillant aux portes de son palais ? On nest est pas certain.
Dans ces colonnes, Jacques Julliard notait avec raison quil a fallu un François Mitterrand pour liquider le socialisme. Le successeur au PS du satrape cartomancien qui semblait descendre des Valois par les astrologues risque dattacher son nom à la braderie dautres valeurs. Lhomme dEtat sait dinstinct que lHistoire, si réduit quen soit le théâtre, est toujours tragique. Le politicien modèle Edgar Faure finasse et nomme une commission, persuadé que, dun coup de raquette, il va renvoyer la grenade dégoupillée dans le camp adverse.
Dans son vol de bourdon vers lElysée, les indépendantistes ne lâcheront pas Jospin ; ils sauront, en individus déterminés quils sont, lui arracher les ailes et les pattes, lune après lautre, comme les gamins pervers le font avec des mouches dont ils observent ensuite lagonie avec jubilation. On dit que les protestants lisent beaucoup la Bible et les Evangiles. Lactuel Premier ministre en a sans doute perdu lhabitude dans sa jeunesse trotskiste. Dans Matthieu (XI,12), il eût utilement trouvé un avertissement : « Le royaume des cieux se prend par la violence et ce sont les violents qui lemportent ».
Quant à M.. Chevènement, nous aurait-il joué Valmy en « intermittent » du spectacle ? Le Montagnard, serait-ce pour lui un emploi en CDD ? Si quelque républicain le rattrape sur une plage, quil veuille bien lui chuchoter à loreille : brève est la vie, mais cependant assez vaste, même en Corse où elle ne vaut plus un clou de cercueil, pour contenir et Verdun et Montoire.
A.R.
Commentaires
J'aime cette ironie mordante et cet homme courageux qui ignore la langue de bois.
A noter, cher Robert Grossmann, que Lionel Jospin n'en était pas à sa première capitulation. Déjà, lors de "l'affaire du voile islamique" et alors qu'il était Ministre d'Etat et en charge de l'Education Nationale, il n'avait rien trouvé de mieux quand on lui demandait de faire son travail et de trancher, que de dégager en touche, en l'occurrence vers le Conseil d'Etat, lui-même dans un de ses rares éclairs de lucidité, se déclarant incompétent...
Aujourd'hui, ce sont les jeunes voyous qui font peur aux bonnes âmes de gauche, et l'idée même de ramener l'âge de la majorité pénale à 16 ans leur fait pousser des cris d'orfraie et ressortir les vieilles formules éculées, qui vont du "sentiment d'insécurité" au "il faut de l'argent pour la prévention et donner toutes leurs chances à ces enfants sans repères" .
Ce qui donne une idée assez précise de ce qui nous attend en cas de victoire de Mme Royal...
Ces gens-là semblent décidément avoir un certain goût pour Munich.