le journal de l'abbé Mugnier
Par Robert Grossmann le mercredi, 22 février 2006, 22:45 - lire...littérature - Lien permanent
Labbé Mugnier
Je lis avec délectation le journal de labbé Mugnier. Cest un vrai journal qui évoque soixante années de la vie de ce personnage hors norme. Six décennies sur deux siècles tragiques, passionnants, déroutants : « Un siècle qui débute par le consul Bonaparte et qui finit avec le président Loubet » écrira t-il au crépuscule du XIX ième.
Labbé est avant tout passionné de lettres et de littérature. Il est dune formidable lucidité sur sa condition ecclésiastique et dès lors transparaissent des moments de lucide émotion : « Mon journal de vicaire na jamais été quun gémissement continu. Soyons logique et terrons nous. ». Il semble clairvoyant sur létat de certains mythes « Le grand miracle cest quon ne meure pas à Lourdes même étant donné labsence dhygiène. Huysmans a vu des malades horribles. La piscine st un bouillon de pus. Lourdes sent la vanille, la poussière, le pus », septembre 1904, il est vrai !
Au long de ces pages, au long de ses journées on voit défiler Huysmans, Proust, Barrès, Cocteau, Picasso, Satie et tant dautres écrivains, musiciens, peintres...Kerinski le révolutionnaire. Il y a aussi une ribambelle de dames à particules et comtesses, duchesses, pricesses aux tables desquelles se nouent des conversations à intérêt varié, excitantes intellectuellement certains soirs, ternes et vides à dautres. Est-il fasciné par ces dames, entiché de certaines même ? Il nhésite pas à évoquer lamour de la manière la plus réaliste mais aussi la plus discrète, comme il sied à un authentique écrivain.
Mais quel surprenant réalisme chez labbé. Le 6 avril 1912 il raconte quon a dépouillé le dossier Théophile Gauthier à Chantilly : «Une amoralité extraordinaire. Lordure facile. Il terminait des lettres à des amis par ces mots : « Je te baise le cul avec componction »
Je lis à petites doses et cest chaque fois un bonheur. Il y est même question de Madame de Pourtalès chez qui il a diné..Rue Tronchet?Il évoque évidemment lAlsace Lorraine. Labbé vit la période 1914/18 loin du front, à Paris. Mais il est sans concession contre la boucherie : « Oui il faudrait faire la paix. Et on ne veut pas la faire Et on préfère la mort de milliers de Français, Mort stérile ! On tue les Français pour la France. On se tue au nom de Dieu ? »28 mai 1916.
Et son regard sur le genre humain est, lui aussi, sans concession : « Le coté épouvantable de cette guerre, cest que non seulement on tue le plus possible mais que si on pouvait découvrir un moyen encore plus meurtrier, vite on sen servirait. Sauvagerie humaine » 28 mars 1918
« Les chrétiens sont terriblement inconséquents. Ils mettent de coté leurs principes quand cela leur plait »
31 mars 1918Ce journal recèle des sentiments épicuriens mâtinés de leçons stoïciennes.Mais Dieu est présent et de la meilleure manière...
On y découvre des révélations délicieuses : « Bourget ma raconté ses souvenirs sur Zola. Quand Zola soccupa de laffaire Dreyfus, Bourget essaya de len détourner. Et Zola de lui répondre : «Je suis un dogue quand jai mordu, je ne lâche plus le morceau. » Zola allait lire du Musset à un concierge, frèsr je crois, de la cuisinière à qui il fit un enfant. Mme Bourget rappelait avoir entendu Mme Zola dire à son mari : « Minet, veux-tu un chocolat ? » Zola un minet !
Et des pépites comme ce mot de Cocteau citant Goethe : « Un peuple est perdu quand il ne fait plus la révérence aux étoiles »
Le terrible jugement sur les hommes seulement ses contemporains ?-est toujours présent : « Le Français a besoin de haïr, politiquement, militairement, religieusement. »
Ce journal est un modèle du genre, personnel, intime, social, littéraire. Il est aussi une leçon !
Commentaires
ça a l'air pas mal du tout ! Auriez-vous les références, s'il vous plaît ? Merci !
Je vois que nous avons les mêmes lectures cher Robert. Bravo en tout cas pour le Canaletto et pour avoir défendu Arp face à ce philistin de Dreyfus.
Amitiés,
Guillaume
Je voulais vous recommander une lecture un peu particulière d'une crudité vertueuse bien evidemment chacun s'autaurisant que de soi même. Il s'agit du Manuel Secret des Confesseurs, édifiant dans le genre, de Monseigneur Bouvier, Evêque du Mans au XIXème siècle. A chacun son ecclésisaste, le mien est un redoutable Confesseur, les psychanalystes ont intérêt a bien se tenir!!!!Pauvres pecheurs!
Je pense que l'Abbé Munier en aurait savourer la lecture et en aurait tirer un enseignement salvateur
Edition Seuil Arléa collection Les Licencieux