les Iconoclasmes - 11 mai 2001
Par Robert Grossmann le vendredi, 3 février 2006, 17:05 - archives-discours - Lien permanent
Limage, depuis Lascaux, fait partie de lexpression humaine. Depuis Lascaux, limage (était-elle utilitaire, était-elle acte de démiurge ?) a revêtu, de manière immanente, une valeur magique. Au cours des siècles elle avait, la plupart du temps, une valeur sacrée.
La quête de la sanctification, la quête de la proximité avec Dieu sous tendaient la création dimages peintes ou sculptées.
A Strasbourg le duumvirat, le tandem comme on dit aujourdhui, nest pas quune image même si elle court le risque dêtre transcendée en icône. Il est une réalité. Cest pourquoi je vous reçois aujourdhui en ma qualité de délégué de Fabienne Keller, Maire de Strasbourg, mais aussi en son nom.
Ma première rencontre avec le mot iconoclaste remonte à fort loin dans mon enfance. Il illustrait alors verbalement une image, une icône en quelque sorte. Il sincrustait dans une chapelet de jurons et constituait comme une violente incantation. Je minterroge sur le fait de savoir si, en cette situation, le mot iconoclaste, si originalement injurieux, sappliquait à ceux que le vieux marin poursuivait de son ire mythologique ou si, par une incroyable prémonition et une sorte de dédoublement, il tentait de sinsurger contre ceux qui pourraient porter atteinte à son image .
Le capitaine Haddock serait dès lors une image qui, en un second ou troisième degré, se révolterait contre la non reconnaissance de sa qualité dicône ou, plus vraisemblablement, conscient de sa capacité à être idole il fustigerait les purificateurs qui seraient tentés de le détourner ou de le gratter, de le rayer, ou de le gommer.
Il aurait pu consulter un avocat car, vous le savez parfaitement, le droit à limage est dorénavant inscrit dans le droit français, limage est protégée celle de PPDA, celle de Stéphanie de Monaco, celle de Laetia Casta, celle de Fabienne Keller, la vôtre, la mienne.
Cette protection par la loi et, par conséquent, sous la souveraineté du juge, cette chance, les images religieuses nen bénéficiaient pas au temps de la réforme ni, plus tard à la Révolution, ni, aujourdhui en Afghanistan.
Au cours de lhistoire ont surgi des périodes au cours desquelles lair du temps poussait à une abstraction radicale et violente qui navait que peu de liens avec les démarches de Malevitch, de Kandinsky ou de Mondrian.
Il y eut aussi des cheminements vers le monochrome qui navaient aucun rapport avec la destruction brutale de la figure.
Je me souviens dune exceptionnelle rétrospective de luvre de Miro qui partait, du temps de sa jeunesse et de ses débuts, de la figure la plus identifiable, pour aboutir, à la fin de sa vie, à un monochrome bleu quasi céleste.
Rien de tel dans la démarche volontaire consistant à effacer et à détruire limage par la brutalité comme certaines périodes de théologie radicale, de prééminence du sectarisme doctrinaire, lont suggéré et réalisé.
Limage, depuis Lascaux, fait partie de lexpression humaine. Depuis Lascaux, limage (était-elle utilitaire, était-elle acte de démiurge ?) a revêtu, de manière immanente, une valeur magique. Au cours des siècles elle avait, la plupart du temps, une valeur sacrée.
La quête de la sanctification, la quête de la proximité avec Dieu sous tendaient la création dimages peintes ou sculptées.
Et nous sommes conviés, ici, en ces ateliers des architectes de la cathédrale aux lourds secrets, à un parcours initiatique dont chaque étape, chaque objet, nous interpelle et nous pose des questions essentielles.
Interpellés, nous le sommes par la beauté de la Vierge du Jubé de Strasbourg . La vierge de Strasbourg Des générations de fidèles et dadmirateurs ne pouvaient que la considérer comme la Vierge elle même tant la pureté essentielle, la grâce, la vérité de ses traits emportaient la transcendance.
Cette sculpture avait une âme que lartiste lui a conférée par son lien religieux, il était relié à Dieu... Pour nous elle est aujourdhui uvre dart comme toutes les autres présentées ici.
Elle et toutes ces autres figures ne létaient pourtant pas pour ceux qui les avaient produites et pour ceux qui les regardaient
Elles étaient objets de sacrement, ornements liturgiques ou icônes permettant lintercession des saints
Elles étaient belles parce quelles rendaient simplement gloire à Dieu, alors quà nos yeux elles sont belles en elles-mêmes
Cest Malraux, dans Le Musée imaginaire, qui note cette distinction historique fondamentale. Cest ce qui explique également que lon se soit attaqué à ces uvres, quon les ait détruites ou mutilées La notion dart, à plus forte raison dart pour lart était alors inconnue
La présence, aujourdhui, de notre vierge de Strasbourg .est aussi symbole de réconciliation. Elle est revenue pour quelque temps, elle est ici chez elle.
Par quel invraisemblable et coupable négligence des services de lEtat a-t-elle pu quitter les frontières en 1962 pour chez Rockefeller à New York ? Il me semble que Fabienne Keller ne souhaite pas débuter son mandat par un acte dhostilité qui pourrait déclencher un conflit majeur avec les Etats-Unis en la retenant définitivement ici.
Le retour des uvres ou plutôt leur errance de lun à lautre à travers le temps et les cabinets davocats, est un problème que lon connaît bien à Strasbourg, plus particulièrement dans nos musées, ces derniers temps. Vouot, Klimt et les autres.
Figurez vous que je pourrais ainsi mattarder pour les saluer devant chaque uvre présentée dans cette exceptionnelle et remarquable exposition.
Jai du mal à me limiter et à résister à leffet que toutes ces sculptures, ces peintures, ces objets singuliers exercent sur lamateur que je ne peux mempêcher dêtre en permanence.
Je veux donc me contenter dévoquer encore le regard vertical et vertigineux que Jérôme Habersetzer nous propose sur la tête décapitée du Saint Christophe-Goliath de Berne.
Lumineuse époque que ce moyen âge quil y a quelque temps encore on nous présentait comme quasi obscurantiste.
Epoque contrastée que celle de la réforme qui demeure parée de vertus et qui immolait des chefs duvres pour les enterrer et les dissimuler ainsi aux regards.
Fertile terre Rhénane qui fut toujours stimulante pour la création !
Et notre siècle à nous, celui de limage par excellence et des nouvelles technologies, celui pou le mot disparaît pour laisser place au sigle NTIC.
Ce siècle de progrès incessants de conquêtes scientifiques permanentes ce 21e siècle est aussi celui où au début du mois de mars dernier, à Bamiyan, mais aussi à Ghazni, à Kandahar, à Hérat, à Jalalabad, la destruction systématique duvres pré-islamiques témoignent avec insistance que lart et les images sont des enjeux fondamentaux de culture et de civilisation.
Ces destructions nous rappellent également que liconoclasme nest pas devenu, dans notre monde, une pure métaphore.
Il saccompagne de lemprisonnement derrière des grilles du visage des femmes afghanes et de lenfermement de la liberté elle même.
Quelle leçon pourrions nous tirer de ce superbe parcours que nous proposent Fabrice Hergott et Cécile Dupeux ? Que tout ici bas nest que paradoxe et contradiction. Que pour lart aussi la Roche Tarpéienne est proche du Capitole et que la beauté et le sacré côtoient leurs contraires. Une belle leçon de méditation qui va à lessentiel. Faut-il dès lors se souvenir de lEcclésiaste : vanitas vanitatis.
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