A Strasbourg le duumvirat, le tandem comme on dit aujourd’hui, n’est pas qu’une image même si elle court le risque d’être transcendée en icône. Il est une réalité. C’est pourquoi je vous reçois aujourd’hui en ma qualité de délégué de Fabienne Keller, Maire de Strasbourg, mais aussi en son nom.

Ma première rencontre avec le mot iconoclaste remonte à fort loin dans mon enfance. Il illustrait alors verbalement une image, une icône en quelque sorte. Il s’incrustait dans une chapelet de jurons et constituait comme une violente incantation. Je m’interroge sur le fait de savoir si, en cette situation, le mot iconoclaste,  si originalement injurieux, s’appliquait à ceux que le vieux marin poursuivait de son ire mythologique ou si, par une incroyable prémonition et une sorte de dédoublement, il tentait de s’insurger contre ceux qui pourraient porter atteinte à son image .

Le capitaine Haddock serait dès lors une image qui, en un second ou troisième degré, se révolterait contre la non reconnaissance de sa qualité d’icône ou, plus vraisemblablement, conscient de sa capacité à être idole il fustigerait les purificateurs qui seraient tentés de le détourner ou de le gratter, de le rayer, ou de le gommer.

Il aurait pu consulter un avocat car, vous le savez parfaitement, le droit à l’image est dorénavant inscrit dans le droit français, l’image est protégée… celle de PPDA, celle de Stéphanie de Monaco, celle de Laetia Casta, celle de Fabienne Keller, la vôtre, la mienne.

Cette protection par la loi et, par conséquent, sous la souveraineté du juge, cette chance, les images religieuses n’en bénéficiaient pas au temps de la réforme ni, plus tard à la Révolution, ni, aujourd’hui en Afghanistan.

Au cours de l’histoire ont surgi des périodes au cours desquelles l’air du temps poussait à une abstraction radicale et violente qui n’avait que peu de liens avec les démarches de Malevitch, de Kandinsky ou de Mondrian.

Il y eut aussi des cheminements vers le monochrome qui n’avaient aucun rapport avec la destruction brutale de la figure.

Je me souviens d’une exceptionnelle rétrospective de l’œuvre de Miro qui partait, du temps de sa jeunesse et de ses débuts, de la figure la plus identifiable, pour aboutir, à la fin de sa vie, à un monochrome bleu quasi céleste.

Rien de tel dans la démarche volontaire consistant à effacer et à détruire l’image par la brutalité comme certaines périodes de théologie radicale, de prééminence du sectarisme doctrinaire, l’ont suggéré et réalisé.

L’image, depuis Lascaux, fait partie de l’expression humaine. Depuis Lascaux, l’image (était-elle utilitaire, était-elle acte de démiurge ?) a revêtu, de manière immanente, une valeur magique. Au cours des siècles elle avait, la plupart du temps, une valeur sacrée.

La quête de la sanctification, la quête de la proximité avec Dieu sous tendaient la création d’images peintes ou sculptées.

Et nous sommes conviés, ici, en ces ateliers des architectes de la cathédrale aux lourds secrets, à un parcours initiatique dont chaque étape, chaque objet, nous interpelle et nous pose des questions essentielles.

Interpellés, nous le sommes par la beauté de la Vierge du Jubé de Strasbourg…. La vierge de Strasbourg… Des générations de fidèles et d’admirateurs ne pouvaient que la considérer comme la Vierge elle même tant la pureté essentielle, la grâce, la vérité de ses traits emportaient la transcendance.

Cette sculpture avait une âme que l’artiste lui a conférée par son lien religieux, il était relié à Dieu... Pour nous elle est aujourd’hui œuvre d’art comme toutes les autres présentées ici.

Elle et toutes ces autres figures ne l’étaient pourtant pas pour ceux qui les avaient produites et pour ceux qui les regardaient…

Elles étaient objets de sacrement, ornements liturgiques ou icônes permettant l’intercession des saints…

Elles étaient belles parce qu’elles rendaient simplement gloire à Dieu, alors qu’à nos yeux elles sont belles en elles-mêmes…

C’est Malraux, dans Le Musée imaginaire, qui note cette distinction historique fondamentale. C’est ce qui explique également que l’on se soit attaqué à ces œuvres, qu’on les ait détruites ou mutilées… La notion d’art, à plus forte raison d’art pour l’art était alors inconnue…

La présence, aujourd’hui, de notre vierge de Strasbourg….est aussi symbole de réconciliation. Elle est revenue pour quelque temps, elle est ici chez elle.

Par quel invraisemblable et coupable négligence des services de l’Etat a-t-elle pu quitter les frontières en 1962 pour chez Rockefeller à New York  ? Il me semble que Fabienne Keller ne souhaite pas débuter son mandat par un acte d’hostilité qui pourrait déclencher un conflit majeur avec les Etats-Unis en la retenant définitivement ici.

Le retour des œuvres ou plutôt leur errance de l’un à l’autre à travers le temps et les cabinets d’avocats, est un problème que l’on connaît bien à Strasbourg, plus particulièrement dans nos musées, ces derniers temps. Vouot, Klimt et les autres.

Figurez vous que je pourrais ainsi m’attarder pour les saluer devant chaque œuvre présentée dans cette exceptionnelle et remarquable exposition.

J’ai du mal à me limiter et à résister à l’effet que toutes ces sculptures, ces peintures, ces objets singuliers exercent sur l’amateur que je ne peux m’empêcher d’être en permanence.

Je veux donc me contenter d’évoquer encore le regard vertical et vertigineux que Jérôme Habersetzer nous propose sur la tête décapitée du Saint Christophe-Goliath de Berne.

Lumineuse époque que ce moyen âge qu’il y a quelque temps encore on nous présentait comme quasi obscurantiste.

Epoque contrastée que celle de la réforme qui demeure parée de vertus et qui immolait des chefs d’œuvres pour les enterrer et les dissimuler ainsi aux regards.

Fertile terre Rhénane qui fut toujours stimulante pour la création !

Et notre siècle à nous, celui de l’image par excellence et des nouvelles technologies, celui pou le mot disparaît pour laisser place au sigle NTIC.

Ce siècle de progrès incessants de conquêtes scientifiques permanentes ce 21e siècle est aussi celui où au début du mois de mars dernier, à Bamiyan, mais aussi à Ghazni, à Kandahar, à Hérat, à Jalalabad, la destruction systématique d’œuvres pré-islamiques témoignent avec insistance que l’art et les images sont des enjeux fondamentaux de culture et de civilisation.

Ces destructions nous rappellent également que l’iconoclasme n’est pas devenu, dans notre monde, une pure métaphore.

Il s’accompagne de l’emprisonnement derrière des grilles du visage des femmes afghanes et de l’enfermement de la liberté elle même.

Quelle leçon pourrions nous tirer de ce superbe parcours que nous proposent Fabrice Hergott et Cécile Dupeux ? Que tout ici bas n’est que paradoxe et contradiction. Que pour l’art aussi la Roche Tarpéienne est proche du Capitole et que la beauté et le sacré côtoient leurs contraires. Une belle leçon de méditation qui va à l’essentiel. Faut-il dès lors se souvenir de l’Ecclésiaste : vanitas vanitatis.