Discours à l’occasion de l’ouverture du musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg 6 novembre 1998

On m’a souvent parlé de ce discours en m'en réclamant le texte.

Je représentais ce 6 novembre 1998 le conseil régional en ma qualité de vice président chargé de la culture.

Le public présent s’y était intéressé peut-être parce que les orateurs précédents avaient été longs et un peu fatigants à écouter, que leur ton était monocorde et docte. Dans mon introduction je me suis exonéré publiquement de saluer les nombreuses personnalités présentes, qui l’avaient été déjà à trois reprises. On m’en a su gré et cette impasse me permit d’être bien accueilli. J'y ai aussi exprimé des convictions. Je terminais enfin assez rapidement, avec un peu d’humour…

(…)

La volonté de créer ce musée, haut lieu de la contemporanéité, avait un sens.

Elle signifiait que Strasbourg et l’Alsace n’avaient jamais été des rêveuses alanguies le long des rives du Rhin, se contentant de contempler le cours des événements.

Cette volonté s’est manifestée fortement en 1987 par l’équipe de Marcel Rudloff qui a voulu ainsi projeter Strasbourg vers son avenir lorsqu’elle a pris la décision, avec Roland Recht, de créer ce musée en procédant au choix de l’équipe d’architectes d’Adrien Fainsilber.

Cet engagement n’était pas le fait du hasard et le courant en faveur de la création avait été lancé par le Maire Marcel Rudloff avec Musica en 1983, puis avec le Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines en 1987.

Tout en restant fidèle à l’histoire riche, complexe et douloureuse, de notre Alsace qui a forgé nos valeurs et notre constante quête d’équilibre, notre sagesse en un mot, nous avons voulu, par ce musée, dire clairement la capacité de création de cette ville et de cette région.

C’est pourquoi, représentant officiellement le président du conseil régional, Adrien Zeller, je me réjouis que ce projet n’ait pas été abandonné et je tiens à rendre hommage à madame Catherine Trautmann de s’être toujours engagée en sa faveur.

Ce Musée est à mon sens unique en France et peut-être en Europe par la confrontation qu’il propose, la complémentarité qu’il suggère et la confluence qu’il offre. Voilà une belle et singulière leçon d’histoire de l’art permettant de déambuler de 1870 à nos jours.

D’emblée je voudrais livrer ici une problématique qui m’interpelle.

C’est celle du rapport de l’Histoire à l’histoire de l’art. De 1870 à nos jours, le parcours du musée réussit-il, malgré sa vocation universelle, à suggérer la situation de l’Alsace ballottée dans la brutalité cinq fois en 70 ans entre la France et l’Allemagne?

Peut-être cette question est-elle ici totalement saugrenue mais j’y vois une passionnante étude à réaliser en partant de l’itinéraire de ce musée et qui pourrait être « le parcours de l’art suggère-t-il le parcours de l’Histoire? »

D’entrée Gustave Doré commence à nous enchanter pour nous conduire à travers la section moderne de ce musée qui est surprenante par sa richesse et passionnante par la diversité de ses écoles et de ses œuvres.

J’ai finalement bien aimé l’accrochage du Bonnard, cher Monsieur Rappetti, et vos récents achats se sont parfaitement intégré à la collection pour mieux l’animer encore.

Je parlais de complémentarité et je suis impressionné par la qualité et le nombre des photos présentées, voilà une autre originalité de ce musée.

Tout comme la section « arts graphiques » qui est impressionnante par la qualité des œuvres proposées.

Et soudain le choc, j’allais dire le dérangement, de l’art d’aujourd’hui avec tous les questionnements qu’il impose. Bertrand Lavier à l’honneur ici, ma chambre à la Krutenau de Sarkis, Le Cigare de Panamarenko prêté par le FRAC-Alsace, il fallait bien que je le souligne! et d’autres oeuvres ou installations qui peuvent être perturbantes, aux côté de toiles historiques comme le Baselitz du début des années 60 ou le Schoenebeck .

Voilà l’engagement radical de nos conservateurs.

Je veux redire combien le dialogue entre la section historique et la section contemporaine est surprenant, pédagogique, et particulièrement riche en fin de compte.

Le Musée de Strasbourg permet au visiteur d’être confronté à l’œuvre, à l’étonnante puissance de l’œuvre... l’œuvre qui sollicite l’émotion, l’œuvre qui bouleverse, l’œuvre qui interpelle, l’œuvre qui désoriente, l’œuvre qui irrite.

Si elle provoque le plus souvent des moments de jubilation, comment pourrais je ne pas songer qu’elle débusque aussi en l’homme d’autres instincts.

L’œuvre dont la force immobile libère parfois l’hostilité des frustes.

N’est-il pas singulier de constater qu’au moment où certains régimes consolidaient des camps pour un définitif enfermement, ils pendaient en un même mouvement à d’indignes cimaises des œuvres prémonitoires pour les qualifier de dégénérées.

L’œuvre d’art constitue un signal, parfois une alarme et nous ne l’oublions pas aujourd’hui.

Je suis heureux aussi de pouvoir rappeler que presque toutes les dernières acquisitions ont été faites avec le concours de la Région Alsace qui, au sein du FRAM collabore et cofinance avec l’État. Ce n’est pas un cofinancement muet, n’est-ce pas Monsieur Rapetti, il y a des débats et c’est très salubre.

Mais quelle belle initiative vous avez prise en présentant la restauration in vivo si j’ose dire du Christ quittant le prétoire. Le Christ opéré, soigné, pansé, rétabli par les artistes micro-chirurgiens de la restauration c’est encore une fois tout à fait inédit.

Comme mon temps de parole est proportionnel à la subvention de la Région, seulement 20 millions, mais 20 millions tout de même, il me faut conclure et je forme donc le vœux que la richesse artistique de ce musée soit partagée par le plus grand nombre possible de visiteurs .