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Blog-Notes Robert Grossmann

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la langue corse vue par un Corse éminent

Au moment où l'assemblée territoriale corse est dirigée par des indépendantistes et alors que l'on y fait des discours en corse je veux me souvenir d'un édito cinglant paru dans le Nouvel Obs en 2000. C'était l'objet de mon billet de 2006. Le voici :

, question linguistique...à propos de la Corse en juillet 2000

En juillet 2000 le gouvernement de l’époque et son premier ministre Lionel Jospin négocièrent avec une délégation de l’assemblée territoriale de Corse. Ce furent « les accords de Matignon » après de sanglants événements. Angelo Rinaldi, écrivain, critique littéraire et membre de l’académie française, publia dans le Nouvel Observateur N°1866 du 10 août 2000 une tribune remarquable où il évoque notamment la question de la langue. J'aime ce texte, au style brillant, que je relis de temps en temps...

 

« Lionel JOSPIN a cru désarmer les indépendantistes corses…

Ils ne le lâcheront pas !

Notre critique littéraire, né en Corse, n’avait jamais voulu parler de son île. Après les concessions qui viennent d’être accordées aux nationalistes, il a décidé de le faire pour la première fois. Avec colère.

Tueurs à gages, plastiqueurs et hommes politiques continuant leur ouvrage, profitons en pour faire le point sur les accords conclu en juillet, à Matignon, entre le gouvernement et une délégation de l’Assemblée territoriale de Corse, où l’aigle est surtout un motif de décoration napoléonien dans la tapisserie. L’encre en est à peine sèche. De même que le sang de M. Erignac, homme de devoir, abattu de plusieurs balles.

Il y a toujours dans un marché un contrat, une clause qui en indique les limites et les faiblesses. Dans ce cas, c’est l’enseignement du corse qui signale et la légèreté et le burlesque de l’entreprise. On veut rendre son enseignement obligatoire à l’école. Passons sur le mauvais coup porté à la langue française ; pas un intellectuel, pas un artiste ne saurait y être insensible, à quelque bord qu’il appartienne. Passons pour se demander ce que diable on va apprendre aux enfants.

Une langue se fonde sur des chefs-d’œuvre, une grammaire, un dictionnaire, une orthographe, et un minimum de compréhension mutuelle à l’intérieur d’une communauté. Or un paysan du cap Corse, au nord, a besoin qu’on lui traduise les propos d’un citoyen de Bonifacio, à l’extrême sud. Nous sommes devant une mosaïque de dialectes aux accents divers que leur sonorité apparente, dans l’ensemble, à celle d’un dialecte toscan qui n’aurait pas évolué depuis le Moyen Age. Coupé depuis deux siècles de l’aire italophone qui l’eût peut-être vivifié, sous aucune forme cet idiome, qui parvient tout juste à exprimer les sentiments de l’ordinaire des jours, n’a donné naissance à un ouvrage digne d’être retenu. Et pour cause : dans un pays de bergers, une île où les lois et la civilisation arrivèrent toujours par la mer, tout s’en allait par la bouche. L’oralité régnait.

D’un bout à l’autre d’un département moins peuplé que le 15e arrondissement de Paris, on n’a guère en commun qu’une certaine façon de siffler les chèvres – je la connais encore - pour que les bêtes, à ce signal, le soir, regagnent leur enclos. Du point de vue du langage, c’est un peu court pour affronter le XXIe siècle ou utiliser un ordinateur. Et comme on ne fera pas naître par décret ministériel un Mistral corse qui écrirait une « Mireille » en dialecte pour décrocher le Nobel – et même Mistral a échoué à ressusciter le provençal -, l’Education nationale s’apprête à financer une mutilation de l’intellect des élèves, un grand saut en arrière. On attendrait que passéisme, réaction et régression se brisent au contact de la réalité si le reste n’avait pas été décidé à partir des mêmes critères et aux dépens de l’unité de la République.

Un pays de bergers, disions-nous aux lecteurs continentaux. Donc une société de type sylvo-pastoral. Donc une division de celle-ci en clans. Devant la précarité de l’existence, la difficulté d’obtenir individuellement justice dans l’anarchie générale, on faisait allégeance à un chef qui en retour – en « parrain » doublé d’une sorte de nourrice - assurait protection et passe-droit. Peu importait qu’à Paris il se classât à droite ou à gauche. Dans certaines familles, on détient, de fils en neveux ou cousins, une écharpe de parlementaire depuis Charles X… Rien n’a beaucoup changé, et seuls les communistes issus de la Résistance au fascisme durant la guerre sont parvenus, dans leurs municipalités, à introduire la notion de bien public, et la pratique de la solidarité à l’égard de chacun.

Il n’est que de voir la photo des négociateurs reçus à Matignon : on se croirait dans l’arrière-salle d’un cabaret de New York, lorsque, las de la guérilla fratricide, les chefs de bande, sous la houlette d’un arbitre, se serrent autour de la table pour ménager une place à des cadets turbulents auxquels, par un redécoupage de la ville en zones d’influence, un quartier vient d’être concédé. Ainsi un clan s’est-il ajouté aux précédents qui, prenant acte de la défaillance du pouvoir central, ont composé avec lui dans l’intérêt de la survie de leur clientèle. Et les nouveaux ont obtenu un brevet d’honorabilité et un quitus pour des méthodes en tout point analogues à celles des squadristi de Mussolini, qui, meurtres et gourdins à l’appui, vinrent à bout de la fragile démocratie parlementaire dans la Péninsule. Le Duce, d’ailleurs, n’a-t-il pas arrosé de subsides le mouvement autonomiste corse avant la guerre, comme Hitler, un moment, a misé sur les séparatistes bretons ?

On se refuse ici à utiliser le mot « nationaliste » car ce serait déjà admettre ce qui n’existe pas plus que la nation solognote ou auvergnate. A moins d’assimiler à un peuple un groupe de petits Blancs dont l’idéologie raciste est tout à l’opposé de la tradition insulaire faite d’hospitalité. Comptant désarmer une minorité qui s’exclut du champ de la démocratie et refuse le verdict des urnes, M. Jospin muselle la majorité d’un électorat qui, déjà, n’en mène pas large sous le poids de l’omertà. Tout à son ambition, qui est de rejoindre dans les annales les titans que furent Paul Deschanel, Emile Loubet et René Coty, le conseiller général de Cintegabelle a voulu obtenir la tranquillité qui plait aux électeurs. Mais de quelle République serait-il président si demain Savoyards, Alsaciens, Bretons réclamaient la même chose que les tontons macoutes de Corté, c’est-à-dire l’indépendance à terme ?

Futur roi de Bourges, M. Jospin appartient à la lignée des SFIO à la Guy Mollet, ce président du Conseil qui à Alger, sous le jet des tomates lancées par des manifestants, changea de politique sur-le-champ, aggravant l’horreur d’une guerre. Encore Guy Mollet était-il aux prises avec l’un des phénomènes importants du siècle : la décolonisation. M. Jospin aurait-il assez de nerfs pour soutenir un conflit avec Monaco si d’aventure l’aimable prince lâchait sur la France, depuis son Rocher, la garde à plumets veillant aux portes de son palais ? On n’est est pas certain.

Dans ces colonnes, Jacques Julliard notait avec raison qu’il a fallu un François Mitterrand pour liquider le socialisme. Le successeur au PS du satrape cartomancien qui semblait descendre des Valois par les astrologues risque d’attacher son nom à la braderie d’autres valeurs. L’homme d’Etat sait d’instinct que l’Histoire, si réduit qu’en soit le théâtre, est toujours tragique. Le politicien modèle Edgar Faure finasse et nomme une commission, persuadé que, d’un coup de raquette, il va renvoyer la grenade dégoupillée dans le camp adverse.

Dans son vol de bourdon vers l’Elysée, les indépendantistes ne lâcheront pas Jospin ; ils sauront, en individus déterminés qu’ils sont, lui arracher les ailes et les pattes, l’une après l’autre, comme les gamins pervers le font avec des mouches dont ils observent ensuite l’agonie avec jubilation. On dit que les protestants lisent beaucoup la Bible et les Evangiles. L’actuel Premier ministre en a sans doute perdu l’habitude dans sa jeunesse trotskiste. Dans Matthieu (XI,12), il eût utilement trouvé un avertissement : « Le royaume des cieux se prend par la violence et ce sont les violents qui l’emportent ».

Quant à M.. Chevènement, nous aurait-il joué Valmy en « intermittent » du spectacle ? Le Montagnard, serait-ce pour lui un emploi en CDD ? Si quelque républicain le rattrape sur une plage, qu’il veuille bien lui chuchoter à l’oreille : brève est la vie, mais cependant assez vaste, même en Corse où elle ne vaut plus un clou de cercueil, pour contenir et Verdun et Montoire. 

A.R.

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