Le président de l’académie Goncourt vient d’écrire au maire de Strasbourg pour lui annoncer que la remise du prix Goncourt de la nouvelle n’aura plus lieu à Strasbourg. (DNA du 24 avril 2015)

J'écris à Bernard Pivot, président.

 Cher Bernard Pivot,

 L’admiration que je voue depuis toujours au talentueux passeur de littérature que vous êtes – je n’ai loupé aucun épisode d’Apostrophe - ne me dissuadera pas de vous morigéner. Votre dernier fait d’arme contre Strasbourg s’apparente à un caprice égotique de star parigo-parisienne.

Une décision scélérate ?

Ainsi donc vous voulez centraliser vos distributions de prix à Paris en amplifiant le jacobinisme culturel de la France. De ce fait vous arrachez le Goncourt de la nouvelle à Strasbourg l’européenne que vous affaiblissez alors que vous restez à Nancy.

Si je me laissais aller je n’hésiterais pas à dire que c’est là une décision scélérate, j’ai des raisons particulières d’en être affecté.

En 2001, en ma qualité de maire délégué chargé de la culture, j’ai décidé de rencontrer, François Nourissier alors président de votre académie, en présence du maire Fabienne Keller. Notre objectif était de le convaincre d’installer ce prix à Strasbourg que nous avions la volonté d’ériger en capitale des lettres et de la littérature. Nous avons notamment lancé un ambitieux « Plan médiathèques », installé le Prix européen de littérature, créé les « Conversations à Strasbourg », le « Parlement des philosophes » en invitant un grand nombre d’écrivains  et d’intellectuels de renom à dialoguer avec nos publics. L’initiative s’est métamorphosée en « Bibliothèque idéale » avec un succès toujours grandissant. Je me souviens de votre bonheur (non feint) sous le chapiteau de la place de la cathédrale en 2007, commentant devant un millier de passionnés, une anthologie de vos interviews à Apostrophe. Un succès absolu!

Une faute culturelle au nom du jacobinisme

François Nourissier, convaincu par notre argumentation avait alors décidé d’installer le Goncourt de la nouvelle à Strasbourg. Sa volonté de décentraliser la culture n’y était pas étrangère et c’est ainsi que la ville de Gutenberg a accueilli avec bonheur et honneur les académiciens et leurs lauréats.

Les déjeuners au Crocodile semblaient à la hauteur de vos attentes et au diapason de certaines tables parisiennes, les hôtels étaient appréciés, les rencontres littéraires chaleureuses. Bref l’engagement de la ville de Strasbourg qui sait recevoir des hôtes de marque était digne de ses prestigieux invités.

Cela aura duré 14 années, nos successeurs ayant perpétué l’initiative en 2008.

Or voici qu’avec le prétexte le plus désolant, le plus superficiel, le plus artificiel, le manque d’ampleur de la médiatisation, vous voulez quitter notre ville. Avez vous conscience qu’avec cette centralisation parisienne on pourrait vous prêter l’idée de ravaler Strasbourg à un rang de ville de province digne seulement d’organiser des comices culturels comme les comices agricoles de madame Bovary. Selon vous n’y aurait-il que Paris et le désert culturel français ?

Rompre avec la décentralisation serait un forfait, une faute culturelle, une régression française.

Consensus en faveur du Goncourt de la nouvelle à Strasbourg

Si je me livrais à de la basse politique je pourrais ferrailler avec la municipalité socialiste et me gausser d’elle : « Nous avons installé le Goncourt de la nouvelle à Strasbourg, vous, vous le perdez », mais je ne veux pas douter que nos successeurs aient mis en œuvre tous les moyens pour préserver notre acquis

Or il y a des causes qui nécessitent le consensus et celle ci en est une, éminente.

Je suis donc solidaire du premier adjoint chargé de la culture et je soutiens sa proposition.

Cher Bernard Pivot, quitte à créer une « synergie », selon votre expression, quitte à vouloir regrouper, ne vous dispersez donc pas à Paris, ne participez pas à sa congestion culturelle,  donnez vous de l’air, regroupez vous à Strasbourg !

Votre prétexte, la trop faible médiatisation, ne tient pas car il y a des solutions : pourquoi ne pas provoquer une réunion de travail avec la municipalité pour amplifier les moyens de communication, pourquoi ne pas mettre votre incomparable notoriété au service de la décentralisation culturelle en France ?

Vous voulez plus de médiatisation nationale ? Avec les moyens adaptés, Strasbourg pourrait vous offrir une médiatisation internationale.

Cher Bernard Pivot reprenez votre lettre de rupture, ne soyez pas un maitre jacobin de la culture, restez à Strasbourg où vous et vos confrères avez toujours été les bienvenus.