Le parc et le château de Pourtalès m’ont envouté, Mélanie m’a captivé.

Je ne peux mieux exprimer ma fascination pour le château de Pourtalès qu’en citant le doyen Robert Redslob  qui écrivait en 1932 :

 « A vrai dire c’était un château enchanté.

Rares étaient ceux qui avaient franchi son enceinte.

On le peuplait par l’imagination.

On savait seulement que cette demeure seigneuriale était habitée par une grande dame d’autrefois qui avait tenu un rôle insigne à la cour des Tuileries…pour le reste on ignorait tout. »

 J’ai eu envie de vaincre l’ignorance, de connaître la grande dame d’autrefois et je suis parti à sa recherche.

Je ne vais pas relater ici tous les périples de ma quête pleine de riches découvertes, elles sont dans mon livre, je vais m’en tenir à ce qui nous réunit ici :

les lettres à Mélanie.

 Le 21 septembre 1983 sous la plume du journaliste culturel, Roger Kiehl, un article des DNA annonçait:

« Les archives de la Comtesse Mélanie de Pourtalès dispersées aujourd’hui àl’hôtel Drouot ».

Il faut que je vous lise le début de cet article :

« Au hasard d’une rencontre, entre deux poignées de mains, le conservateur des musées de Strasbourg, Jean Favières, nous apprenait que les archives de la comtesse Mélanie de Pourtalès allaient tomber sous le marteau, à l’hôtel des ventes de l’Hôtel Drouot à Paris ce mercredi 21 septembre. Et de déplorer avec nous que la ville n’ait pas été prévenue à temps de la dispersion de la dispersion d’une précieuse documentation embrassant une soixantaine d’années de la vie d’un témoin de choix, dont le souvenir demeure à Strasbourg, tout particulièrement à la Robertsau. »

 Totalement enflammé par cette information j’ai d’abord téléphoné à Monsieur Mariotte directeur des archives de la Ville qui me confirma l’intérêt de la vente en même temps que son impossibilité d’agir le jour même.

J’ai alors sauté dans l’avion de 11 heures pour Paris et à 14 heures je me trouvais à l’hôtel Drouot, face à Maitre Cornette de saint Cyr qui procédait à la dispersion.

Fébrile, tout entier en proie à ma passion, j’ai enchéri mais je n’étais pas le seul.

J’ai pu acquérir 13 lots sur 20 soit 112 documents.

Mon grand regret restera de n’avoir pas pu les acheter tous, mes moyens étant limités.

Je les ai décryptés, lus et relus puis je les ai présenté publiquement le 27 octobre 1983 au cours d’une rencontre au Centre d’animation et de loisirs qui ne s’appelait pas encore l’Escale. J’ai pu mesurer l’engouement et la passion d’une assemblée nombreuse ce soir là.

J’ai redoublé d’ardeur dans mes recherches pour aboutir à l’écriture de mon ouvrage historique, Comtesse de Pourtalès.

Après 32 années passées auprès de moi, j’ai pris la difficile décision de me séparer de ces lettres, convaincu que le meilleur sort qui pouvait leur être réservé était de les confier, pour l’Histoire et pour l’éternité, à ma Ville qui saurait  les conserver et…les faire vivre.

Dans ces documents il n’y a pas de lettres de la main de Mélanie mais des correspondances qui lui étaient adressées qu’elle avait précieusement conservées, ainsi que divers autres documents comme, par exemple,

° Une liste d’objets appartenant à l’Empereur déchu, en exil en Angleterre, qui se trouvaient encore aux Tuileries et qu’elle était allée négocier auprès du président Thiers, pour les remettre à Napoléon III.

Les lettres et cartes ont un réel intérêt car elles témoignent, pour partie, de l’importance du cercle de relations de Mélanie.

 Il y a dans ce lot de documents :

°Une très poétique lettre d’amour anonyme intitulée Ave Dea, Salut oh déesse…

°Une carte glissée vraisemblablement sous sa porte par le Grand Duc Wladimir de Russie qui se jette à ses pieds…

°Le jeune et beau Fitz James qui lui demande d’être sûre de son amitié et peut-être plus…

°Le cousin de l’empereur, le Prince Napoléon, qui étale sa belle signature.

°Des lettres de Ferdinand de Turckheim qui lui raconte des anecdotes piquantes et célèbre le parler alsacien en citant Le Pfingsmontag, comédie en alsacien de 1816 de Georges Daniel Arnold, considéré comme le père du théâtre dialectal.

°Le marquis de Massa, ami très proche, auteur de pièces de théâtre où Mélanie interprétait des rôles.

°L’écrivain journaliste Juliette Adam.           

°Marie Immaculée de Bourbon des deux Siciles

°La belle et sulfureuse marquise de Gallifet

°Frédéric von Mecklenburg

°La grande duchesse Hélène Wladimirovna

°Des poèmes et des charades que l’on interprétait au château

Je veux dire un mot particulier des lettres et cartes que lui adressait Stéphanie von Wedel, femme du Stadthalter, fondatrice du Tierheim, ancêtre de la société protectrice des animaux, patronne de la fête de la rose et qui créa l’hôpital Stéphanie au Neuhof. Après avoir vécu dans différents pays d’Europe elle a choisi d’être enterrée à Strasbourg où, elle repose au cimetière sud du Neuhof.

Toutes ces lettres et documents m’avaient séduit non seulement par leur contenu mais aussi par la qualité, j’allais dire la personnalité, de la calligraphie.

Ce ne sont pas toujours des chefs d’œuvres littéraires mais des témoignages saisissants sur une époque particulièrement significative dans l’histoire de l’Europe, de la France, de l’Alsace et … de la Robertsau.

À ce propos je ne peux pas ne pas citer avec orgueil et délectation l’en tête d’un papier à lettres qui stipule « La Robertsau près Strasbourg »

 Ce qui est frappant c’est la concordance entre la vie de Mélanie et le déroulement d’une période de bouleversements historiques d’une extraordinaire amplitude.

 Mélanie a traversé 3 régimes politiques, la monarchie de juillet, le Second Empire, la 3ème République. Elle a vécu 2 révolutions, celle de 1848 et la commune de Paris.

Elle subit la guerre de 1870, souffrit du déchirement d’une histoire parallèle, celle de l’Alsace allemande à partir de 1870, celle de la France de Paris où elle continua de séjourner.

 Mélanie l’Alsacienne avait ébloui la cour de l’empereur par sa beauté : (P.42/43)

L’écrivain Lolliée décrit : 

 « un galbe délicat, des yeux bleus expressifs, des cheveux d’un bel or cendré…un teint dont Hamilton ou Marivaux auraient dit que c’étaient des roses effeuillées dans du lait, une taille svelte, une démarche expressive…un assemblage de grâces qui la faisaient ressembler à un objet d’art animé »

La baronne de Stoeckel : « Ses cheveux étaient blonds comme des blés, ses yeux d’un bleu pareil au manteau de la vierge, des dents couleur de perle entre ses lèvres brillantes, incontestablement Mélanie de Pourtalès était l’une des plus jolies femmes de cette époque….on ne voyait qu’elle toute de jeunesse et de fraicheur

Le duc de Coregliano : « délicieusement jolie elle tenait sans conteste le sceptre de la beauté et de l’élégance

L’impératrice : « un tableau de Greuze »

Arthur Meyer : « La beauté et la grâce de la comtesse de Pourtalès avaient illuminé la cour impériale . … Sa beauté a désarmé le temps…Elle a plu, elle plait, elle plaira jusqu’à sa dernière heure. »

1866 arrive le drame de Sadowa, la Prusse écrase l’Autriche

Avec le général Ducrot, Mélanie alerte l’empereur des projets belliqueux de la Prusse. Il la renvoie à sa beauté… (comment d’aussi jolis yeux peuvent-ils voir autant de nuages ?…Pour faire la guerre il faut être deux…)

Je ne peux pas ne pas faire référence à Pascal, la pensée 162 :« Le nez de Cléopâtre, s’il eut été plus court, toute la face de la terre aurait changé » Mélanie, si elle avait été moins belle, la guerre de 1870 aurait été gérée différament et le sort de l’Europe aurait changé.

Mélanie savait. Elle disposait d’informations que son destin d’Alsacienne située au cœur de l’Europe, cultivant des amitiés fortes aussi bien en Allemagne qu’en Autriche, en Bohème ou en Russie lui permettait de détenir et qui échappaient alors à Paris et à sa cour.

Ce qui fait dire à l’influent patron de presse, écrivain, Arthur Meyer en 1912 : « …dans cette si jolie tête il y avait un vrai cerveau ».

 Ces lettres à Mélanie constituent des témoignages d’une séquence significative de l’histoire de l’Europe.

 Avec cette cérémonie de remise nous nous situons donc un peu hors du temps et de l’actualité, loin de ses tribulations, nous sommes bien dans l’Histoire avec un grand H.

 Ces documents viendront désormais enrichir notre patrimoine public et je suis heureux que d’autres passionnés que moi puissent les étudier dans le très fonctionnel bâtiment de nos archives municipales.

 Monsieur le maire, monsieur le premier adjoint chargé de la culture, je vous les confie.