Réponse de Jacques Cordonnier, candidat tête de liste Alsace d'abord, à M. Robert Grossmann

L’Art en Alsace : un choix politique capital !

Votre interpellation des têtes de liste aux Régionales m’incite à répondre à quelques-unes de vos remarques mais surtout à préciser comment j’aborde la question culturelle, qui, il faut bien le constater, n’est pas la première des préoccupations des candidats aux Elections Régionales et c’est une faute ! C’est un sujet qui me passionne car il est révélateur de la manière dont nous sommes gouvernés.

Je viens d’emblée buter sur la notion même de « culturel » que vous semblez défendre, avec toute la fougue que nous vous connaissons. La culture s’est soi-disant répandue dans toutes les couches de la population et beaucoup s’en réjouissent. Pas moi, car cette omniprésence de la culture fait que désormais tout est appelé culturel, même la moindre oeuvrette sans intérêt au détriment de l’art.

Ainsi, la culture en se diffusant massivement connaît une dilution grave de son sens même, celui que notre cher André Malraux appelait « une longue interrogation ».

Car l’art n’est pas de la communication, pas un élément de masse mais reste bien un long apprentissage, une lente maturation que les politiques culturelles actuelles ne permettent pas car trop pressées par l’effet médiatique, l’effet démagogique, le tout divertissement.

L’objectif quantitatif qui est au coeur de l’ambition démocratique en sa transposition culturelle, fait partout le lit de l’argent, par le biais de la publicité, des taux d’audience et des lois du marché.

Vous associez d’emblée "culture" et "emploi". Cela m’étonne, car avant d’être une industrie, un commerce et un réservoir d’emplois, la culture est avant tout apprentissage, travail personnel long et persévérant, pour acquérir les bases intellectuelles, les connaissances, pour établir les ponts nécessaires entre les arts ; bref, l’art est élitiste, voilà qui va à contre-courant des politiques actuelles. L’argent n’a grand'chose à voir avec cela.

Il est tout à fait évident que le terme de « culture » est apparu au moment où la politique artistique commençait sa lente dissolution, où la connaissance disparaissait au profit du non approfondissement, où l’école préférait citer des articles de journal plutôt que citer Stendhal, Hölderlin et d’enseigner qui était Maitre Eckhart ou Jean Tauler !

Partout de la « Culture », nulle part de l’Art.

Quel fâcheux paradoxe et vous savez comme moi, M. Grossmann, que nous préparons depuis des années des générations d’incultes, d’illettrés, qui ne sauront pas vibrer aux livres, aux musiques, œuvres plastiques car les politiques ne donnent plus les moyens à la transmission de l’apprentissage long mais si fabuleux, de l’art. Le règne de l’argent, de la consommation, du spectacle à tout va balaye chaque jour la littérature, les humanités, la peinture.

Les dirigeants politiques sont en grande partie responsables, qu’ils soient de droite ou de gauche. Partout l’hyperdémocratie doit régner avec son refus de la hiérarchie, alors que la culture est hiérarchie. Tous les médias se gargarisent quand tel festival fait du chiffre, quant telle exposition rameute les foules alors que l’on sait parfaitement qu’un faible pourcentage des amateurs peut apprécier pleinement ces spectacles et ces œuvres. Mais les politiques ont voulu cela, à coup de subventions inconsidérées, aidés par les médias complaisants, faisant de la culture une industrie de masse, un passe-temps.

Du coup, se révèle une conception tout à fait nouvelle de la culture qui devient un vecteur de « lien social », un outil d’intégration, absolument factice puisqu’on tente désormais de pratiquer une politique culturelle ouvertes à tous les vents, abaissant les niveaux (un peu comme à l’école où 80% des lycées obtiennent le baccalauréat). Les subventions sont saupoudrées, données à n’importe quel pseudo créateur ou pseudo événement alors que des vrais critères artistiques devraient prévaloir dans l’obtention de subventions. Aujourd’hui le métissage culturel est vanté, alors qu’on ne connaît même plus nos bases régionales et européennes.

Tout soutien financier ne peut être donné à n’importe quel événement, des choix artistiques clairs et sérieux doivent être pris.

Alors que notre politique culturelle et éducative française cherchait par tous les moyens à détruire nos fondations artistiques, il a fallu encore pour plus de ruine, accorder des privilèges à des nouvelles formes d’ « art » pour que l’on soit bien certains que le niveau s’abaisse encore plus brutalement. Je pense au rap par exemple, au graffiti etc…Désormais un morceau violent de rap de tel groupe de banlieue strasbourgeoise ou un titre idiot de Diam’s est plus volontiers célébré que tel poème symphonique de Richard Strauss ou telle pièce de Messiaen….

L’UMP, les Verts et le PS préfèrent sans doute les strass et les paillettes, la démagogie et l’abaissement de l’art au profit du tout culturel, synonyme d’animation, de divertissement et de manière simplette d’occuper son temps, alors que l’art est l’usage du temps avec soin !

La déculturation est en marche, à nous d’essayer de la freiner au niveau régional.

Comme l’écrit Höderlin, « Là où est le danger croît aussi ce qui sauve ».

En Alsace, retrouvons nos racines culturelles et bâtissons l’avenir solidement.

Les valeurs que l’art diffuse sont vivantes. A chaque instant, le Retable d’Issenheim palpite encore depuis sa création au XVIe siècle par Matthias Grünewald. A chaque minute, les œuvres de Hans Arp et je pense par exemple aux salles de l’Aubette, conçues en collaboration avec Sophie Taueber et Théo van Doesburg nous font vibrer. A chaque lecture, les textes de Goethe nous parlent et nous transportent car lui et tant d’autres écrivains ont traversé l’Alsace et l’ont célébrée. C’est par exemple Maurice Barrès, à qui une plaque est consacrée au Mont St Odile. C’est aussi Voltaire qui est passé par nos villes et nos campagnes.

Vous parlez d’une grande campagne autour de l’Alsace romantique, bravo ! Effectivement cela permettrait de procurer du travail aux artisans, aux tailleurs de pierre, détenteurs d’un savoir rare. Là aussi les passerelles avec d’autres formes d’art pourraient se faire, tant il existe de textes nombreux de nos voisins allemands, inventeurs du romantisme, avec Novalis. Des musiciens pourraient être joués, eux qui ont chanté les châteaux forts et les ruines, comme Schumann dans certains de ses lieder et ces concerts pourraient illustrer de tels événements dans notre région. J’évoquerai là aussi le poids du bilinguisme dans la culture.

Ce ne sont pas des Etats généraux de la culture qu’il faudrait en Alsace – on a vu l’échec ridicule d’une telle initiative à Strasbourg récemment - mais des hommes et des femmes politiques concernés et pas seulement par un énième mandat à accumuler !

Il faudrait aussi supprimer le clientélisme, sport préféré des socialistes dans le domaine culturel.

Bien sûr que l’Alsace dispose d’atouts formidables ! Pourquoi ne pas se rapprocher de ce qui se fait chez nos voisins, dans un grand projet rhénan, qui faciliterait les collaborations avec les musées Suisses et Allemands, les grandes institutions culturelles ? Le Museum Pass invite à découvrir la culture de nos cousins germains et suisses, allons-y !

Les festivals de qualité se développent en Alsace, du festival de jazz à Mulhouse à Musica à Strasbourg, du festival « Dans la vallée » à St Marie aux Mines au festival de musique de Colmar. Il faudrait nouer des liens plus puissants entre eux, pour pouvoir rayonner plus largement.

Pourquoi pas un grand festival de jazz en été, au Jardin des Deux Rives à Strasbourg comme cela se fait à Juan les Pins ou à Montreux ? Pourquoi n’existe t-il pas de vraie politique régionale concernant l’art contemporain, comme cela se fait à Lyon ? Pourquoi un festival comme l’Ososphère de la Laiterie de Strasbourg n’est pas plus soutenu pour en faire une manifestation plus solide encore et élargie, comme le festival Les Nuits sonores de Lyon ? Pourquoi l’Alsace ne reconnaît pas plus ses créateurs contemporains, tant il existe des talents valables dans la peinture par exemple ?

Enfin, je finirais sur une proposition. Cette semaine, la France vient d’acquérir les manuscrits de Giacomo Casanova, grand européen devant l’Eternel et qui est aussi passé par l’Alsace comme beaucoup de grands esprits européens du XVIIe. La BNF à Paris préparera une exposition de ces textes. Pourquoi, après cela ne pas aussi faire cette exposition en Alsace ? Voilà un formidable écrivain qui réunirait tous les amoureux de l’art et de la littérature ! Car comme l’écrivait justement Casanova : « L’homme qui se défend de penser n’apprends jamais rien ».

Il est donc temps pour notre région si riche intellectuellement de penser l’art et la culture mais une culture solide, une culture enracinée au cœur de l’Europe et pas une culture du n’importe quoi et du divertissement. En bref, retrouver le sens et le goût de l’effort de l’art plutôt que la consommation passive. Ainsi, en Alsace, ce sera le mot Art qui prendra une capitale !

Jacques Cordonnier
Tête de liste du mouvement régionaliste Alsace d’Abord
www.alsacedabord.org