Lecture publique et 

bilan de « vos bibliothèques idéales »


 « Je vous serais reconnaissant d’informer le conseil municipal du déroulement de la manifestation « les bibliothèques idéales » et de nous en dresser le bilan tel que vous le comprenez vous même.

 Mais auparavant, permettez moi de vous rappeler quelques éléments d’histoire récente et de vous donner mon point de vue.

Notre municipalité avait mis en place une ambitieuse politique en faveur du livre, de la lecture et de la littérature.

A la suite du triste constat qui s’est imposé à nous en 2001 que Strasbourg était classée dans les toutes dernières villes de France en matière de lecture publique (environ 70 ou 80 ième dans les revues spécialisées des bibliothécaires…) nous avons décidé de combler ce retard afin de permettre au plus grand nombre de bénéficier pleinement du bonheur de lire, de profiter aussi du plaisir de la musique, de films et d’internet.

C’est pourquoi nous avons créé les médiathèque Malraux, d’Illkirch-Sud, de Lingolsheim-Ouest, demain de Schiltigheim-Nord si les décisions ne s’enlisent pas

Le succès remarquable de ces équipements est incontestable et le public les a largement plébiscité.

Pour faire de la ville de Gutenberg une capitale du livre nous avons aussi mis en place des activités littéraires de grand niveau, en réussissant à installera Strasbourg la bourse «  Goncourt  de la Nouvelle », en accueillant officiellement des écrivains et des philosophes prestigieux: Le Clézio, devenu prix Nobel,  René Girard, Paul Ricoeur, Jean d’Ormesson, Marc Fumaroli, Peter Sloterdijk, Jacques Derrida pour sa dernière grande rencontre avec son public.

Après des tâtonnements et des essais tous réussi, nous avons abouti à la manifestation « Bibliothèque idéale » fruit de toutes nos expériences et qui a connu un vrai succès pour sa dernière édition : 10.000 participants. Son principe était une grande et belle cohérence avec une ligne artistique claire.

Le livre, la littérature, la lecture prenaient ainsi pied à Strasbourg de manière significative et notre politique commençait à porter ses fruits.

Cette politique n’est ni de droite ni de gauche.

Je pourrais la caractériser de politique humaniste.

Que recherchions nous en effet?

Je veux citer Danièle Sallenave dans son livre Le don des morts  : « …le manque de livre fait de toute une vie une vie dépossédée parce qu’une vie sans livre est une vie sans pensée …la vie sans livres est une vie mutilée …c’est dans et par la littérature que la vie ordinaire est rachetée, transfigurée »

 Monsieur le maire je suis un militant de la culture et un militant du livre…C’est pourquoi je souhaite vous dire ma déception devant votre politique face à cette question.

D’abord je veux rappeler que vous avez eu un geste d’une réelle élégance en me donnant la parole pour l’inauguration de la Médiathèque André Malraux.

Vous étiez alors plein de bons sentiments en allant jusqu’à confier à un journaliste, qui l’a reproduit dans les DNA, que vous songiez à une ouverture à l’opposition en lui confiant une mission pour la politique du livre … C’était reconnaître le travail accompli avant vous.

Mais, les belles velléités d’ouverture se sont vite rendues face aux impératifs partisans et, n’écoutant que votre raison de chef de parti, vous êtes allé jusqu’à supprimer la            « bibliothèque idéale ».

Vous avez cru pouvoir faire mieux que nous, vous avez cru pouvoir réaliser le melting-pot idéal en fédérant notamment tous les libraires, comme si nous n’y avions pas songé nous aussi…puis vous avez recréé un avorton baptisé différemment mais, à peine, juste pour créer la confusion : « LES bibliothèques idéales ». Grande innovation !

Vous qui êtes sensible à la sémantique vous savez bien que « les bibliothèques idéales » n’a pas le même sens que « la bibliothèque idéale ».

Il s’agit en effet de la bibliothèque que chacun peut se rêver, se construire, s’approprier. On connaît la bibliothèque idéale de Bernard Pivot, celle de Jean d’Ormesson et il y avait celle de Strasbourg et donc des strasbourgeois dont la notoriété s’accroissait.

« Les bibliothèques idéales » vous aura donné l’illusion de ne pas mettre vos pas dans ceux de vos prédécesseurs et de créer les apparences de la différence. Pourtant vous n’avez pas pu faire autrement que de marcher sur leurs brisées.

« Les bibliothèques idéales » c’est aussi un éclatement, non pas en un de ces pluriels fertiles et fructueux qui font sens, mais en un mouvement de dispersion qui a produit tous ses effets négatifs. Pas d’idée centrale, pas de ligne directrice, pas de fil rouge, pas de concept porteur et au total une réelle illisibilité, un peu du n’importe quoi. Résultat : 2/3 de participants en moins ! A mes yeux un échec, même s’il y eut quelques trop rares beaux moments.

Alors que nous cherchions à étendre le bonheur et les vertus de la littérature au plus grand nombre vous avez stoppé l’élan, cassé le mouvement et finalement rétréci l’épanouissement d’une belle promesse.

La culture nécessite tant de délicatesse, tant d’attention, tant de volonté qu’elle ne souffre pas l’ingérence de considérations partisanes.

La Bibliothèque idéale de Strasbourg était sur une belle lancée, il fallait la poursuivre et la soutenir et non pas la mutiler au prétexte que c’étaient vos prédécesseurs qui l’avaient inventé.

Je vous engage à reprendre tout ce qu’il y avait de positif dans nos travaux, dans nos actions et dans nos réussites.

Je ne souhaite pas que vous échouiez dans ce très beau et si difficile chantier.

Je serais à vos côtés si, vous départissant de tout sectarisme doctrinaire, vous partagez cette volonté transcendante d’agir pour que le livre et la lecture touchent de leur grâce le plus grand nombre et surtout qu'ils s’infiltre dans les lieux où l’on croit par apriori qu’ils n’ont pas droit de cité.

Si vous construisez une politique forte en ce domaine je vous soutiendrai sans état d’âme.

Pour conclure, je laisserai la parole une nouvelle fois à Danièle Sallenave :

« Être privé de livres ce n’est pas seulement être privé d’instruction, de formation, de culture, ou encore d’un loisir, d’un plaisir, d’une jouissance : c’est mener une existence dénuée de son nerf intime, hors d’état de poser la question de son sens.

 

Et enfin comment ne pas finir avec Kafka qui, dans son journal écrivit : « Un livre doit être la hache qui brise en nous la mer gelée »