100e anniversaire Musée Alsacien

Intervention de M. Robert Grossmann

 

Je voudrais vous faire partager le plaisir et l’émotion qui sont les miens à l’occasion de ce qui est un authentique événement culturel et social : le centième anniversaire du Musée alsacien et l’exposition qui lui est consacré.

Vous me permettrez de saluer chaleureusement Joëlle Pijaudier-Cabot, notre nouvelle directrice des Musées de Strasbourg, qui, pour son premier vernissage, commence par une Alsace intime, une Alsace heureuse, une Alsace du cœur et du sentiment.

Le hasard fait bien les choses et je crois que c’est la plus belle manière d’accueillir quelqu’un que de lui faire partager d’emblée la générosité de nos arts et de nos traditions populaires…

Je voudrais également saluer Malou Schneider, conservatrice du Musée alsacien.

Cet anniversaire est un peu le sien.

Que l’on me comprenne bien.

Je veux juste dire qu’elle n’est pas que la conservatrice de ce Musée.

Elle en est l’âme.

Et je voudrais la remercier, elle-même ainsi que son équipe, d’avoir donné le meilleur d’eux même, pour que ce centième anniversaire soit une belle fête…

Je veux évoquer aussi la mémoire de Georges Klein son prédécesseur qui a fait beaucoup pour le développement de ce musée.

 

L’abbé Wetterlé, dans les années 1870, avait détourné la devise des princes évêques de Rohan pour résumer le sentiment des Alsaciens attachés tout à la fois à leur région et à la France : « Allemand ne veux, Français ne puis, Alsacien suis. »

Ce n’était pas la profession de foi de je-ne-sais-quel irrédentisme ou communautarisme alsacien.

C’était tout d’abord le mot d’ordre d’une résistance face à l’annexion ; une résistance culturelle et artistique face à ce qui allait bientôt prendre la forme du Kulturkampf bismarckien.

Des artistes, des érudits, des hommes engagés dans la vie culturelle de notre région se sont alors retrouvés autour de l’idée selon laquelle leur amour de la France pouvait se maintenir s’il cultivait l’amour de l’Alsace…

L’Alsace dans toute sa complexité qui était autant attachée au meilleur de la culture allemande qu’à ce que représentait alors la nostalgie de la France.

Ces francophiles alsaciens, qui n’ont jamais renié l’apport de la langue de Goethe, ont consacré tous leurs efforts et toute leur énergie à « réveiller la conscience alsacienne ».

Au début du XXe siècle, ils ont réinventé l’Alsace, lui forgeant son identité, son caractère et son âme.

Ils s’appelaient Charles Spindler, Léon et Ferdinand Dollinger, Pierre Bucher, Robert Forrer, Anselme Laugel. A leurs côtés, tout engagés dans leur art il y avait aussi Stosskopf, Blumer, Daubner, Hornecker, Lothaire von Seebach, Marzolff, Sattler, d’autres encore.

- Je tiens à saluer aujourd’hui parmi nous M. Jean-Charles Spindler, petit-fils de l'artiste Charles Spindler

- MM. Yves et Thierry Dollinger, petits-fils du Dr. Ferdinand Dollinger  et leurs enfants

-Madame Miralles, petite-fille de Robert Forrer

- M. Nicolas Berst, petit-fils de l'architecte du Musée Théophile Berst

 

De près ou de loin, ces intellectuels et artistes avaient créé et fait vivre le groupe de Saint-Léonard, fondé la Revue Alsacienne Illustrée en 1898, avant de rêver ensemble, dès 1900, à un « musée ethnographique alsacien »…

Dès 1902, le projet commence à se concrétiser.

Initiative privée, c’est sous la forme d’une société à responsabilité limitée qu’il naît, dirigée par deux gérants : Léon Dollinger et Pierre Bucher.

Des mécènes investissent, comme les Schlumberger, les Schutzenberger, Hartmann ou Steiner.

L’architecte Théo Berst restaure l’immeuble Renaissance du 23 quai Saint Nicolas et l’on commence à réunir les « objets se rattachant à l’art ou à la tradition populaires ». Ce sont autant de témoins du passé de l’Alsace rurale des XVIIIe et XIXe siècle que les fondateurs entendent transmettre aux « générations futures »…

Le 11 mai 1907, le Musée Alsacien est officiellement inauguré, avant qu’une grande fête populaire appelée la « kermesse alsacienne » ne marque les esprits de l’époque…

Le Musée vit, s’enrichit de nouvelles œuvres, agrandit ses collections et se développe.

En 1908, Pierre Bucher propose, par exemple, à la Société d’Histoire des Israélites d’Alsace et de Lorraine de créer, au sein du Musée, une salle destinée à recueillir une collection d’objets se rapportant à l’histoire, aux mœurs et au culte juif en Alsace…

C’est ainsi qu’aujourd’hui le Musée présente des collections inestimables, qui témoignent d’un monde désormais disparu.

L’Alsace des petites communautés juives villageoises que la deuxième guerre mondiale a anéantie.

L’Alsace rurale et traditionnelle, celle des Fêtes Dieu et des processions, du dur labeur des paysans et des ouvriers,

L’Alsace des croyances et des superstitions,

L’Alsace des costumes où l’on peut deviner l’origine, le rang, la religion et même les convictions politiques de celle ou de celui qui le porte…

 

Lui qui est très attaché à sa terre de Corrèze et qui ne connaît de l’Alsace que ce qu’il en a découvert durant son service militaire dans les années 1960, l’écrivain Denis Tillinac a titré l’un de ses plus beaux livres : Les Masques de l’éphémère…

Je crois que c’est bien cela le Musée alsacien.

Il nous parle d’un monde à jamais disparu et nous montre non pas une Alsace éternelle, mais les masques alsaciens de l’éphémère…

Et voilà ce qui constitue la poésie de ce Musée à nul autre pareil.

Il est le plus important musée ethnographique régional de France, mais à nos yeux ce n’est pas cela qui a de l’importance.

Ce qui compte, c’est qu’il parle à notre cœur une langue que nous connaissons…

 

Le Musée Alsacien a une âme.

Il a une histoire.

Fondé par des francophiles, dirigé par Pierre Bucher que les autorités allemandes déclarent en 1917 « traître à la patrie », il est fermé dès le mois d’août 1914, avant que la liquidation le menace en 1917.

On aurait pu assister alors, dix ans seulement après son ouverture, à la disparition du musée Alsacien et à l’éparpillement des dix mille objets que comptaient alors ses collections. C’est grâce à la Ville de Strasbourg, qui a fait alors de ce Musée privé un Musée municipal, qu’il a pu survivre à ces épreuves et nous parvenir intact aujourd’hui…

 

En ce centième anniversaire, je voudrais rendre, en mon nom et en celui du maire de Strasbourg, Fabienne Keller, un hommage à la mémoire de ceux qui ont participé à l’extraordinaire aventure humaine qu’a été la création de ce Musée.

Tout d’abord à Pierre Bucher, le principal fondateur du Musée alsacien. C’était un patriote français et un amoureux de l’Alsace. Ami de Barrès, dont il est le personnage central dans le roman Au service de l’Allemagne, Pierre Bucher fut, selon le fondateur de la NRF, Jean Schlumberger : l’âme de l’Alsace.

Je veux également rendre hommage à Léon Dollinger, qui a assuré, avant l’heure, les tâches de conservateur, ainsi qu’à sa famille (Anna et Ferdinand) qui ont financé le musée naissant.

Je veux me souvenir de Charles Spindler qui a été l’un des tout premiers à poser sur le costume alsacien un regard ethnographique. C’est à lui et à la générosité de ce grand artiste que nous pouvons admirer aujourd’hui autant de costumes ici.

Je veux enfin, évoquer, la figure de Robert Forrer qui a donné énormément au Musée, permettant de créer certaines collections absolument uniques, notamment celle des dégorgeoirs de moulin et des verrous de fûts sculptés…

Ils ont chacun donné le meilleur d’eux-mêmes pour que le Musée alsacien existe et célèbre aujourd’hui son centième anniversaire.

Auraient-ils espéré cela ces hommes, en 1907 ?

L’auraient-ils même rêvé ?

Auraient-ils cru que la volonté humaine peut parfois lancer ses propres défis au temps ?

Hundert Johr, als noch doo

Ils ont disparu depuis longtemps déjà… Mais parfois, à moins que l’imagination et la passion ne nous jouent simplement des tours, il paraît que l’on aperçoit, au coin d’une salle ou d’une coursive, se promener l’ombre de ces hommes d’exception, partageant l’amour conjoint de la France et de l’Alsace. Et c’est bien cet amour qu’ils nous font partager aujourd’hui encore