Le musée alsacien de Strasbourg fête ses cent ans.
Par Robert Grossmann le vendredi, 13 avril 2007, 08:24 - culture et forum - Lien permanent
100e anniversaire Musée Alsacien
Intervention de M. Robert Grossmann
Je voudrais vous faire partager le plaisir et lémotion qui sont les miens à loccasion de ce qui est un authentique événement culturel et social : le centième anniversaire du Musée alsacien et lexposition qui lui est consacré.
Vous me permettrez de saluer chaleureusement Joëlle Pijaudier-Cabot, notre nouvelle directrice des Musées de Strasbourg, qui, pour son premier vernissage, commence par une Alsace intime, une Alsace heureuse, une Alsace du cur et du sentiment.
Le hasard fait bien les choses et je crois que cest la plus belle manière daccueillir quelquun que de lui faire partager demblée la générosité de nos arts et de nos traditions populaires
Je voudrais également saluer Malou Schneider, conservatrice du Musée alsacien.
Cet anniversaire est un peu le sien.
Que lon me comprenne bien.
Je veux juste dire quelle nest pas que la conservatrice de ce Musée.
Elle en est lâme.
Et je voudrais la remercier, elle-même ainsi que son équipe, davoir donné le meilleur deux même, pour que ce centième anniversaire soit une belle fête
Je veux évoquer aussi la mémoire de Georges Klein son prédécesseur qui a fait beaucoup pour le développement de ce musée.
Labbé Wetterlé, dans les années 1870, avait détourné la devise des princes évêques de Rohan pour résumer le sentiment des Alsaciens attachés tout à la fois à leur région et à la France : « Allemand ne veux, Français ne puis, Alsacien suis. »
Ce nétait pas la profession de foi de je-ne-sais-quel irrédentisme ou communautarisme alsacien.
Cétait tout dabord le mot dordre dune résistance face à lannexion ; une résistance culturelle et artistique face à ce qui allait bientôt prendre la forme du Kulturkampf bismarckien.
Des artistes, des érudits, des hommes engagés dans la vie culturelle de notre région se sont alors retrouvés autour de lidée selon laquelle leur amour de la France pouvait se maintenir sil cultivait lamour de lAlsace
LAlsace dans toute sa complexité qui était autant attachée au meilleur de la culture allemande quà ce que représentait alors la nostalgie de la France.
Ces francophiles alsaciens, qui nont jamais renié lapport de la langue de Goethe, ont consacré tous leurs efforts et toute leur énergie à « réveiller la conscience alsacienne ».
Au début du XXe siècle, ils ont réinventé lAlsace, lui forgeant son identité, son caractère et son âme.
Ils sappelaient Charles Spindler, Léon et Ferdinand Dollinger, Pierre Bucher, Robert Forrer, Anselme Laugel. A leurs côtés, tout engagés dans leur art il y avait aussi Stosskopf, Blumer, Daubner, Hornecker, Lothaire von Seebach, Marzolff, Sattler, dautres encore.
- Je tiens à saluer aujourdhui parmi nous M. Jean-Charles Spindler, petit-fils de l'artiste Charles Spindler
- MM. Yves et Thierry Dollinger, petits-fils du Dr. Ferdinand Dollinger et leurs enfants
-Madame Miralles, petite-fille de Robert Forrer
- M. Nicolas Berst, petit-fils de l'architecte du Musée Théophile Berst
De près ou de loin, ces intellectuels et artistes avaient créé et fait vivre le groupe de Saint-Léonard, fondé la Revue Alsacienne Illustrée en 1898, avant de rêver ensemble, dès 1900, à un « musée ethnographique alsacien »
Dès 1902, le projet commence à se concrétiser.
Initiative privée, cest sous la forme dune société à responsabilité limitée quil naît, dirigée par deux gérants : Léon Dollinger et Pierre Bucher.
Des mécènes investissent, comme les Schlumberger, les Schutzenberger, Hartmann ou Steiner.
Larchitecte Théo Berst restaure limmeuble Renaissance du 23 quai Saint Nicolas et lon commence à réunir les « objets se rattachant à lart ou à la tradition populaires ». Ce sont autant de témoins du passé de lAlsace rurale des XVIIIe et XIXe siècle que les fondateurs entendent transmettre aux « générations futures »
Le 11 mai 1907, le Musée Alsacien est officiellement inauguré, avant quune grande fête populaire appelée la « kermesse alsacienne » ne marque les esprits de lépoque
Le Musée vit, senrichit de nouvelles uvres, agrandit ses collections et se développe.
En 1908, Pierre Bucher propose, par exemple, à la Société dHistoire des Israélites dAlsace et de Lorraine de créer, au sein du Musée, une salle destinée à recueillir une collection dobjets se rapportant à lhistoire, aux murs et au culte juif en Alsace
Cest ainsi quaujourdhui le Musée présente des collections inestimables, qui témoignent dun monde désormais disparu.
LAlsace des petites communautés juives villageoises que la deuxième guerre mondiale a anéantie.
LAlsace rurale et traditionnelle, celle des Fêtes Dieu et des processions, du dur labeur des paysans et des ouvriers,
LAlsace des croyances et des superstitions,
LAlsace des costumes où lon peut deviner lorigine, le rang, la religion et même les convictions politiques de celle ou de celui qui le porte
Lui qui est très attaché à sa terre de Corrèze et qui ne connaît de lAlsace que ce quil en a découvert durant son service militaire dans les années 1960, lécrivain Denis Tillinac a titré lun de ses plus beaux livres : Les Masques de léphémère
Je crois que cest bien cela le Musée alsacien.
Il nous parle dun monde à jamais disparu et nous montre non pas une Alsace éternelle, mais les masques alsaciens de léphémère
Et voilà ce qui constitue la poésie de ce Musée à nul autre pareil.
Il est le plus important musée ethnographique régional de France, mais à nos yeux ce nest pas cela qui a de limportance.
Ce qui compte, cest quil parle à notre cur une langue que nous connaissons
Le Musée Alsacien a une âme.
Il a une histoire.
Fondé par des francophiles, dirigé par Pierre Bucher que les autorités allemandes déclarent en 1917 « traître à la patrie », il est fermé dès le mois daoût 1914, avant que la liquidation le menace en 1917.
On aurait pu assister alors, dix ans seulement après son ouverture, à la disparition du musée Alsacien et à léparpillement des dix mille objets que comptaient alors ses collections. Cest grâce à la Ville de Strasbourg, qui a fait alors de ce Musée privé un Musée municipal, quil a pu survivre à ces épreuves et nous parvenir intact aujourdhui
En ce centième anniversaire, je voudrais rendre, en mon nom et en celui du maire de Strasbourg, Fabienne Keller, un hommage à la mémoire de ceux qui ont participé à lextraordinaire aventure humaine qua été la création de ce Musée.
Tout dabord à Pierre Bucher, le principal fondateur du Musée alsacien. Cétait un patriote français et un amoureux de lAlsace. Ami de Barrès, dont il est le personnage central dans le roman Au service de lAllemagne, Pierre Bucher fut, selon le fondateur de la NRF, Jean Schlumberger : lâme de lAlsace.
Je veux également rendre hommage à Léon Dollinger, qui a assuré, avant lheure, les tâches de conservateur, ainsi quà sa famille (Anna et Ferdinand) qui ont financé le musée naissant.
Je veux me souvenir de Charles Spindler qui a été lun des tout premiers à poser sur le costume alsacien un regard ethnographique. Cest à lui et à la générosité de ce grand artiste que nous pouvons admirer aujourdhui autant de costumes ici.
Je veux enfin, évoquer, la figure de Robert Forrer qui a donné énormément au Musée, permettant de créer certaines collections absolument uniques, notamment celle des dégorgeoirs de moulin et des verrous de fûts sculptés
Ils ont chacun donné le meilleur deux-mêmes pour que le Musée alsacien existe et célèbre aujourdhui son centième anniversaire.
Auraient-ils espéré cela ces hommes, en 1907 ?
Lauraient-ils même rêvé ?
Auraient-ils cru que la volonté humaine peut parfois lancer ses propres défis au temps ?
Hundert Johr, als noch doo
Ils ont disparu depuis longtemps déjà
Mais parfois, à moins que limagination et la passion ne nous jouent simplement des tours, il paraît que lon aperçoit, au coin dune salle ou dune coursive, se promener lombre de ces hommes dexception, partageant lamour conjoint de
Commentaires
L'absence de commentaire marquerait-il un certain désintérêt pour notre région et son musée spécifique qui méritent largement d'être fêtés ?
Je souhaite quant à moi longue vie à notre incomparable musée alsacien.
On a pas tous les jours cent ans ! Moi j'y étais déjà 3 fois !
Je conseille :
- les traditions religieuses en Alsace ( pour faire plaisir à LDS)
- les chaises alsaciennes ( pour faire plaisir à Cagliostro)
- la conscription ( pour faire sourire Johnny Halité)
et l'ensemble du musée pour notre "blogmestre" en attendant la réouverture des Rohan !
Merci, Monsieur le Président, pour ce beau discours , chaleureux, qui rendait un hommage touchant à mon illustre grand - père Pierre BUCHER. Puisse l'engagement de la municipalité à l'égard de toutes les cultures se perpétuer afin que l'identité de chacun se construise et s'enracine pour un avenir loin de toute uniformisation.
La tradition trouve au musée sa mesure nouvelle,faite d'une attention à l'expérience intelligente de l'art de vivre en ALSACE.
Monsieur,
Tout d'abord je tenais à vous féliciter pour votre article. Cependant y a t-il vraiment quelque chose de fait pour les artistes alsaciens dont vous mentionnez les noms tel que Stoskopf, Sattler, Hornecker,...
Qui connaît encore leurs noms ? Certes les initiés, mais la future génération ?
Robert Heitz parlait d'un musée imaginaire alsacien de tous ces artistes dans les années 70'(et disait la chose suivante "et espérons que d'imaginaire ce musée deviendra bientôt réalité !") Hors nous sommes aujourd'hui en 2007 et rien est vraiment fait.
Lorsque je regarde chez les basques je constate que de nombreux musées de part et d'autre des Pyrénées sont consacré à l'Exposition permanente de leurs artistes alors que chez nous en Alsace beaucoup d'oeuvres "dorment" malheureusement dans les réserves ?
A mon sens les expositions temporaires réalisées par le Musée d'Haguenau et le Musée d'Art Moderne de Strasbourg ne suffisent pas à garantir une connaissance générale de nos artistes à long terme.
Il serait intéressant de penser à une structure qui puisse exposer de façon permanente et renseignée nos artistes anciens et modernes.
Cordialement,
W. KIWIOR
www.leon-hornecker.com
Merci, Cher Robert Grossmann, pour avoir rendu cet hommage mérité à Pierre Bucher. Habité par un grand idéal, il a mis sa vie au service de la France et de l'Alsace et s'il est bien un lieu où sa mémoire doit demeurer vivante, c'est le Musée alsacien de Strasbourg.
Il faudrait cependant songer, comme le souhaite M. Kiwior, à un lieu de mémoire pour les artistes alsaciens qui participèrent à cette grande aventure.