La place Kléber a été malmenée il y a une douzaine d’années. Minérale, froide elle devint un repoussoir pour les Strasbourgeois comme pour tous les visiteurs. Son aménagement fut rejeté par une immense majorité de nos concitoyens.

Ce qui choqua le plus ce furent ces lampadaires qui, dans l’imagination de l’architecte devaient simuler de géantes lampes de bureau Tizio, classique du designe...de bureau! Ils firent très vite penser à de grande potences ou à des pompes de puits à pétrole de jadis… auxquelles l’œil ne s’habitua jamais. Il faut aussi citer pour mémoire la diagonale lumineuse qui devait illustrer la place en la rehaussant de son trait traversant, et qui resta éteinte à jamais.

Quant aux dalles elles se fendirent et se brisèrent presque toutes au fil des ans. La place Kléber où se trouve la tombe, le mausolée, de cet illustre Strasbourgeois, Kléber, devint une place de désolation, terne et glaciale. En été brûlante de chaleur et emplie de fracas.

Nos prédécesseurs socialistes, auteurs de cette pétrification urbanistique désolante, sentirent vraisemblablement qu’il lui avaient enlevé son âme. Ils décidèrent de l'animer, mais leur conception de l’animation est particulière, précise, inscrite dans leurs dogmes. Il faut qu’elle ait un sens prolétarien et révolutionnaire. Ce sens absent ça allaient donc être des manifestants protestataires hurlants et beuglants, criant en permanence le mal vivre de notre société et la dénonçant samedi après samedi, de manière plutôt sauvage, simulant la spontanéité pour bien montrer la présence des forces vives de la ville. Oh, il y a de bonne causes humanitaires qui ont toute leur place en ce lieu et qui doivent pouvoir s’y exprimer. Elles peuvent avoir aussi leur place ailleurs, d emeilleure manière, place Broglie, par exemple. Mais le caractère systématique des groupuscules qui s’emparent du mausolée de Kléber n’arrangent pas la place et font plutôt fuir le public habituel. La municipalité socialiste avait aussi décidé d’y installer des fêtes ! Spécial…Je les ai vu fréquemment, leurs fêtes, un podium quelques musiciens très bruyants parfois un chanteur aux cris stridents sur cete place révébérante et une foule de trente à soixante personnes par samedi ordinaire. Guère plus.

Le bruit, comme le coté glacial de la place écarta peu à peu les passants qui cherchèrent d’autres lieux pour traverser la ville d’est en ouest.

Vers la fin de l’ère socialiste la place devint propriété des dealers. C’est là que se déroula le trafic, de manière quasi impunie. De l’Homme de Fer à la rue des grandes arcades, en jalonnant la place Kléber, les petits voyous proposaient du shit, shit… shit, à qui passait dans les environs.

Il fallait rompre et cela nous a été demandé avec insistance, comme une vraie commande lors de notre élection.

La place Kléber est un lieu emblématique…C’est donc avec révérence, avec respect que nous l’avons entreprise. Nous avions mission clairement de la rendre à nouveau plus humaine, plus chaleureuse, plus conviviale, de la rendre aux Strasbourgeois en un mot. C’est « notre place Kléber" à nous, "unsere Klewerplatz » à nous, les Strasbourgeois et elle doit aussi être notre fierté pour tous nos visiteurs, touristes venus de loin ou voisins des autres villes ou villages d’Alsace.

Il n'était pas question pour nous, de nous tromper par conséquent !

Nous avons, pour commencer, fait appel au paysagiste urbaniste le plus réputé : Gilles Clément. Il arpenta la place pendant plusieurs jours et nous donna ses prescriptions sous forme d’un croquis destiné à servir en perspective d'un avant projet.

En un mot la place devrait se resserrer et au lieu d'avoir une immense esplanade minérale, dessiner un espace plus intime pour mieux dialoguer avec l’Aubett, tout en valorisant Kléber en son centre.

Dans le même temps nous avons missionné nos services espace vert, parcs et jardin dans le but de réaliser un aménagement provisoire, le temps de l’été 2002, de juin à octobre. Ce serait à la fois un essai grandeur nature et une réalisation pratique au service de nos concitoyens. On installa aux deux extrémités de la place des collines de terres complantées de sapins d’un coté et de palmiers de l’autre.

La place changea d’allure et si des dealers s’y perdaient encore on vit les Strasbourgeois revenir en nombre, plus joyeux qu’auparavant.

Un concours fut alors lancé pour aboutir à un avant projet tenant compte des recommandations de Gilles Clément. Un certain nombre de paysagistes et d’architectes y participèrent. Le résultat, après le tamis du premier examen, livra quelques projets finalistes. Aucun ne sembla convenir et après une intense réflexion, ce concours fut déclaré infructueux. Nous fument réellement déçu. Je sus par la suite que les recommandations de Gilles Clément, rival de tous ces archi-paysagistes qui venaient de concourir, n’était pas, selon eux, de nature à leur permettre une libre expression. Mais le champs de blé imaginé par l’un d’eux était pourtant très libre…

Nous avons poursuivi ce qui était plébiscité par nos concitoyens, les aménagements d’été, éphémères certes mais chaque fois plus surprenants et plus variés. Nos collaborateurs des services de la CUS avaient maintenant parfaitement saisi ce qui plaisait, ce qui était attendu : de la convivialité exprimée par des lieux où l’on pouvait s’asseoir et se détendre le temps du sandwich ou du pot à prendre librement avec les copains.

Nous avons alors décidé de leur confier à eux l’aménagement définitif  de la place, dans le respect des recommandations de Clément.

Le résultat de leurs recherches fut tout à fait intéressant, on approchait du but.

Mais une sorte de dernière salve d’inquiétude nous submergea… derniers scrupules, hantise et en même temps paralysie devant la star que nous entreprenions de relooker, de relifter.

Nous avons donc tout entrepris pour éviter le faux pas.

Et nous nous sommes lancés dans un ultime concours d’"artistes designers" internationaux. Des Etats Unis, des Pays Bas de France nous sont venus de grands noms du design international.

Les projets furent exceptionnels d’originalité. Des œuvres d’art au plein sens de ce mot. J’y étais personnellement très sensible mais je suis encore plus sensible à la fonction du lieu et peu de ces magnifiques projets utopiques correspondaient à ce que nous en attendions.

Un coup pour rien ? Non, une ultime tentative pour éviter l’erreur, pour être sûr de ne pas passer à côté d'un projet magique, qui, il faut bien le dire après nos essais de tous ces longs mois, ne pourrait que nous advenir par un innattendu miracle. Il n'advint pas.

Après tous ces projets, après ces réflexions artistiques de qualité nous savions que la place était délicate à entreprendre, fragile même. Qu'il y fallait de l'intelligente humilité pour approcher la meilleure réalisation. On ne pouvait s’y attaquer avec la morgue d’un architecte "sachant" qui étale sur sa planche à dessins un très beau croquis qui n’a de sens que sur plan, ou vu d'avion. On n’a jamais le droit d’oublier, par orgueil d'auteur, que c’est à hauteur de regard de l’homme qu’il faut concevoir et non pas sur planche à dessin. Des diagonales qui ne sont pas véritablement perçues par le piéton mais qui font chic, exposées dans des salons professionnels, n'ont aucun sens dans la conception de la ville.

Nous avons alors recherché par appel d’offre une assistance à maîtrise d’ouvrage. Un bureau d’archi strasbourgeois qui a fait ses belles preuves a été sélectionné.

Avec lui et nos collaborateurs des services de la CUS nous avons finalisé.

Maintenant nous nous lançons. A l’automne les derniers travaux définitifs viendront compléter le petit bois et la rangée d’arbres coté sud.

Oui, nous avons tardé. C’était dans le but de prendre le temps qu’il faut pour viser juste. J'espère que nous y aurons atteint, mais, personnellement je suis confiant en notre projet final.