Une fâcheuse ritournelle se fait à nouveau entendre dans les coulisses d’Europie : « Soyons réalistes, abandonnons Strasbourg ». De quoi s’agit-il au juste ? De liaisons aériennes et de transvasement entre Bruxelles et Strasbourg ! L’Europe est vaste et diverse. Les liaisons aériennes et ferroviaires ne sont pas parfaites pour bien des villes. Or l’Europe ne se limite pas à un seul lieu. Son territoire n’est pas peau de chagrin ! Par conséquent si l’on accepte d’être député européen il faut s’attendre à voyager.

Deux types d’observations peuvent être formulées. Les unes concernent la France, les autres l’Europe. __

Commençons pas la France. Elle a la chance d’avoir sur son territoire la ville capitale du Parlement Européen. En est-elle pleinement consciente ? On pourrait ne pas le croire. La France est rigidement structurée autour d’une seule capitale, Paris. En accepter une autre signifie décentraliser pour de bon et accorder les moyens massifs nécessaires pour lui assurer son statut de capitale. Or le fait d’avoir mégoté le TGV à Strasbourg, en n’acceptant de le lui vendre que vingt ans après l’avoir offert à Lyon, Marseille, Nantes, Lille, n’indique pas, à plus forte raison que l’on aie la volonté de consolider sur les marches de l’est une région capitale. Strasbourg est donc bien considérée par les gouvernements centralisés comme une importante ville de seconde catégorie par rapport à Paris certes, mais aussi par rapport aux villes du sud, de l’ouest ou du nord. Son rôle européen doit être mieux pris en charge par la France et ce n’est pas le timide contrat triennal « capitale européenne » qui peut permettre à Strasbourg de rivaliser avec la capitale nationale d’un autre pays.

Second constat plus pénible: Les citoyens et les peuples n’adhèrent plus à l’Europe d’aujourd’hui. Certes celle-ci distribue une vraie manne financière mais elle le fait par dessus la tête des populations qui n’en savent rien.

Le désamour est réel et profond. La France et le Danemark ont eu l’occasion de l’exprimer. Mais on peut se demander ce qu’il en aurait été d’un référendum en Allemagne, par exemple. L’Europe est devenue de plus en plus bureaucratique et lointaine, et Bruxelles incarne « l’Europe technocratique de là bas » ! En effet, comment l’Europe parle-t-elle à ses citoyens ? Quelle est sa visibilité ? Comment s’est-elle manifestée dans le règlement du conflit qui a déchiré l’ex Yougoslavie ? Qu’a t elle fait face aux exterminations massives et aux génocides en Afrique ? Quel est son rôle dans la lutte contre la misère du sud et l’afflux massif de clandestins en Espagne ou en Italie ? En un mot, où et quand entendons nous la voix de l’Europe à travers le monde ? Des fâcheux pourraient dire qu’elle est aussi absente politiquement qu’elle est présente immobilièrement !

D’ailleurs certains députés,( ils le revendiquent), se situent en rupture complète et parfois vive avec l’histoire et le sens de l’Europe. Ils n’ont pas honte d’oublier que l’Europe revient de loin, qu’il y a à peine sept décennies elle était à feu et à sang, que la barbarie la conduisait, tout comme il y a moins de vingt ans la barbarie, avec ses génocides, ses crimes racistes et ses camps, sévissait à nouveau sur les territoires de l’ancienne Yougoslavie.

Non, ils expriment avec une certaine morgue cette rupture avec « le passé » qui ne les intéresse pas. Chacun sait pourtant qu’on construit sur du sable si on évacue les fondations de l’histoire.

L’Europe a été fondée et voulue à Strasbourg parce que cette capitale rhénane, jadis centre de l’humanisme fut contrainte par les guerres européennes successives à changer cinq fois de nationalité entre 1870 et 1945. Dès la fin des hostilités, les voix des Européens les plus éminents désignèrent, sans l’ombre d’une hésitation, Strasbourg capitale européenne de la paix retrouvée et de la construction d’une nouvelle Europe. Les Anglais Ernest Bevin et Winston Churchill, l’Italien Alcide de Gasperi, le Français Robert Schumann, puis de manière éminente Charles de Gaulle et Conrad Adenauer, tous ont consacré Strasbourg capitale de l’Europe.

Au nom de l’histoire tragique, au nom de la paix reconquise, au nom de l’humanisme rhénan et européen, au nom de la culture en Europe, Strasbourg est bien la seule ville qui signifie l’Europe politique, l’Europe du sens.

 Dans la manière d’exprimer l’Europe aujourd’hui, à travers des affaires immobilières ; en menant la bataille misérable des sièges, il se commet une impardonnable faute au regard de l’histoire, celle d’hier aussi bien que celle de demain !

Strasbourg, c’est l’âme de l’Europe !

Un double appel s’impose en guise de conclusion.

A la France : Strasbourg ne peut être rien d’autre qu’une grande cause nationale. Madame la ministre de l’Europe, revenez à Strasbourg avec la volonté de vous battre au nom de tout le gouvernement, en faveur de l’Europe de Strasbourg ! Donnez lui enfin les moyens massifs dont une capitale a besoin pour assurer son rôle au nom de la France.

A monsieur le président du parlement Européen : Vous êtes l’espoir de l’Europe, celle qu’attendent toujours les citoyens et les peuples, l’Europe politique ! Or celle ci est à Strasbourg et nulle part ailleurs ! Les traités internationaux font de Strasbourg le siège du Parlement, de Bruxelles celui de la Commission, de Luxembourg celui de la Cour de Justice, de Francfort celui de la Banque centrale. Le siège de votre parlement est à Strasbourg. Imposez le. Installez vous dans votre ville avec votre administration. Ne la laissez pas à Bruxelles. Votre administration à Bruxelles est une chose incompréhensible ! C’est une entrave au bon fonctionnement du Parlement qui ne peut être ailleurs qu’à Strasbourg !

Il est invraisemblable que l’on puisse discuter cette évidence et, à propos du Parlement Européen, la seule question qui doit être posée est : que fait son administration à Bruxelles ?

De grâce veillez à ce qu’aucun mercanti ne vende l’âme de l’Europe pour quelques platées de lentilles !