• Ch.B : On est devant l’œuvre du peintre, du plasticien en général, mais on est dans la musique. La musique a un début et un fin, un commencement et une finitude. L’œuvre d’art se situe dans l’espace et n’a pas de contrainte de temps. Peut-on faire se rencontrer les deux ? C’est ce que nous tentons avec Franck Krawczyk dans l’hôtel de l’ancien conservatoire, rue brûlée : être devant et dans…

  • Franck Krawczyk : au fond nous mettons la neuvième en pièces, l’hymne en pièce…Nous voulons que chaque voix rejoigne l’autre. Rembrandt disait que chaque point d’un dessin, d’une peinture doit vivre en lui même. La chorale empêche chaque voix de rejoindre l’autre et d’exister pour elle même.

Il y a des conditions secondaires dans une œuvre musicale, l’essentiel c’est la pureté de la note, disons mieux, la note de purification…

Nous parlons du sens de l’art et du rôle du musée, nouveau temple et lieu de sacralisation de l’art. J’évoque la Giulietta de Bertrand Lavier et, provocateur, je lui dis que cette voiture cabossée, belle certes, déposée au coin de la rue de certaines banlieues sera enlevée par la fourrière comme épave. Au musée elles et consacrée œuvre :

  • Ch.B. La giullietta de Lavier est une œuvre chargée d’une histoire tragique. Il y a la mort dans cette « œuvre ». Ne la laissez pas critiquer, elle est comme une vanité…Elle s’inscrit dans la tradition des vanités…

  • Si moi je pose ce carton sur cette table de manière toute simple ça peut être une œuvre. Si vous le faites, non !

Oui, lui dis-je, je connais la phrase de Picasso à qui une dame demande un dessin. Il lui trace des traits sur une feuille en quelques secondes.« Mais ce n’est pas une œuvre" s'insurgea la dame, "vous n’avez pris que quelques secondes » « Quelques secondes, répondit Picasso, mais il y a cinquante années de travail derrière »


  • Vous avez tort, répliqua Ch. B à mon interrogation sur la situation de la création en France aujourd’hui qui, selon certaines gazettes, serait désolante et recallée par les organisateurs internationaux de foires et de salons. L’art n’a pas déserté la France comme ils l’écrivent, l’art est très présent chez nous mais c’est le marché qui est allé à New York ou à Londres. Les grandes maisons de ventes aux enchères ont assuré le triomphe l’argent sur la création. J’aime Fautrier qui est très largement en dessous de sa côte. Tout cela fluctue. Attendez la prochaine crise économique, qui de toute façon viendra, et vous verrez sur le marché s’effondrer toutes ces côtes inouïes d’aujourd’hui. C’est très artificiel. Si ces œuvre achetées comme des placements sont toutes en vente en même temps on verra l’effondrement...

  • A Londres les golden boys de la city sont avant tout des joueurs. Ils achètent des œuvres par paquet et, sur cinq achetées, ils se disent qu’il y en a bien une qui émergera et fera de gros prix. Ils comptent sur celle la pour compenser le prix des autres. Où est le sens et le goût de l’art dans tout cela ? …

  • Je ne veux plus travailler pour des privés, j’ai mes marchands, mes galeries, à New York, à Cologne, à Paris mais je veux travailler essentiellement pour des musées ou des centres d’art. Ils me laissent m’exprimer comme je veux, contrairement aux privés comme les fondations qui ont des exigences de type commercial.

  • Il existe des galeries morales. J’ai besoin de galeries morales qui mettent la création avant la recherche de gains…

  • Je me sens de moins en moins bien dans des petits lieux, comme des galeries. Il me faut des espaces de plus en plus grands. Au Japon j’ai deux projets de ce type. L’un dans un monastère très vaste…C’est ce qui me convient aujourd’hui.

  • J’ai un projet pour vous ! Le chemin de Saint jacques de Compostelle. On pourrait en faire partir un de Strasbourg et rechercher, loin des routes, les chemins qui emmenaient les pèlerins à St. Jacques. On y installerait au rythme des étapes des sortes de petites chapelles, refuges, des édicules œuvres d’art mais qui concerneraient des pèlerins d’aujourd’hui. puis on ferait partir un autre chemin de Paris, de Lille, de Cologne….

  • Les allemands ont toujours des conversations graves et philosophiques à table ils sont sérieux à table. Les français profitent des repas pour être légers, pour faire de l’humour…

RG : Sommes nous badins en ce moment cher Christian ?

  • Ch.B : non, nous évoquons de choses sérieuses

Les allemands se sont investis plus tôt que nous parce qu’il avaient des comptes à régler avec leurs pères. Les allemands avaient de mauvais pères.

RG je ne comprends pas bien

  • Ch.B : ils étaient nazis. Les fils et les générations d’après veulent effacer cela

  • Ch.B: (à propos, sans doute de sa présence à Strasbourg ): ne faites pas dans l’événementiel, fuyez l’événement ! J’ai voté Delanoé et je lui en veux pour son histoire de "Paris plage" qui est exclusivement de l’événement et je lui en veux aussi pour les nuits blanches c’est de la même veine. Recherchez l’authentique ! Ne détournez pas de crédits du fonctionnement du conservatoire, des musées au bénéfice d’événements. Sur ce plan ça ne se passe pas bien dans certaine villes comme Toulouse par exemple.
RG les élus en charge de la culture ont un rôle ingrat et difficile dans leur partenariat avec les créateurs. Ou bien ils sont loin de la culture et n’y investissent pas, c’est la désolation culturelle, le cas est alors assez simple. Ou bien ils y investissent, ils s’y investissent, et leur rôle n’est guère reconnu car on ne parlera jamais que de la création et du créateur, de l’artiste donc. Or l’élu doit aussi pouvoir justifier son action.
  • C’est normal me dit Boltanski, l’élu est effacé et voué à cela, c’est sa destinée !

Voila bien deux logiques. Mais l'élu qui dépend de l'électeur doit aussi veiller à lui rendre compte, à l'électeur, donc à exister en son nom. Je risquais une ultime tentative:

RG :  Je vais citer de mémoire une phrase de "l'Etat Culturel" : Oublions (ou effaçons) Auguste mais où est Virgile ?

  • Frank.K : pas fausse, cette image !

Le soir je me trouvais devant, dans,  leur œuvre, rue brûlée. C’était pur moment de magie.

Comment retenir l’éphémère ? Comment figer le moment ? Comment y entrer ne plus en être quitté? Il passe et se vit avec une formidable intensité poétique, si difficile à retranscrire.