Christian Boltanski, éléments de conversation
Par Robert Grossmann le dimanche, 21 mai 2006, 11:54 - art - Lien permanent
- Ch.B : On est devant luvre du peintre, du plasticien en général, mais on est dans la musique. La musique a un début et un fin, un commencement et une finitude. Luvre dart se situe dans lespace et na pas de contrainte de temps. Peut-on faire se rencontrer les deux ? Cest ce que nous tentons avec Franck Krawczyk dans lhôtel de lancien conservatoire, rue brûlée : être devant et dans
- Franck Krawczyk : au fond nous mettons la neuvième en pièces, lhymne en pièce Nous voulons que chaque voix rejoigne lautre. Rembrandt disait que chaque point dun dessin, dune peinture doit vivre en lui même. La chorale empêche chaque voix de rejoindre lautre et dexister pour elle même.
Il y a des conditions secondaires dans une uvre musicale, lessentiel cest la pureté de la note, disons mieux, la note de purification
Nous parlons du sens de lart et du rôle du musée, nouveau temple et lieu de sacralisation de lart. Jévoque la Giulietta de Bertrand Lavier et, provocateur, je lui dis que cette voiture cabossée, belle certes, déposée au coin de la rue de certaines banlieues sera enlevée par la fourrière comme épave. Au musée elles et consacrée uvre :
- Ch.B. La giullietta de Lavier est une uvre chargée dune histoire tragique. Il y a la mort dans cette « uvre ». Ne la laissez pas critiquer, elle est comme une vanité Elle sinscrit dans la tradition des vanités
- Si moi je pose ce carton sur cette table de manière toute simple ça peut être une uvre. Si vous le faites, non !
Oui, lui dis-je, je connais la phrase de Picasso à qui une dame demande un dessin. Il lui trace des traits sur une feuille en quelques secondes.« Mais ce nest pas une uvre" s'insurgea la dame, "vous navez pris que quelques secondes » « Quelques secondes, répondit Picasso, mais il y a cinquante années de travail derrière »
- Vous avez tort, répliqua Ch. B à mon interrogation sur la situation de la création en France aujourdhui qui, selon certaines gazettes, serait désolante et recallée par les organisateurs internationaux de foires et de salons. Lart na pas déserté la France comme ils lécrivent, lart est très présent chez nous mais cest le marché qui est allé à New York ou à Londres. Les grandes maisons de ventes aux enchères ont assuré le triomphe largent sur la création. Jaime Fautrier qui est très largement en dessous de sa côte. Tout cela fluctue. Attendez la prochaine crise économique, qui de toute façon viendra, et vous verrez sur le marché seffondrer toutes ces côtes inouïes daujourdhui. Cest très artificiel. Si ces uvre achetées comme des placements sont toutes en vente en même temps on verra leffondrement...
- A Londres les golden boys de la city sont avant tout des joueurs. Ils achètent des uvres par paquet et, sur cinq achetées, ils se disent quil y en a bien une qui émergera et fera de gros prix. Ils comptent sur celle la pour compenser le prix des autres. Où est le sens et le goût de lart dans tout cela ?
- Je ne veux plus travailler pour des privés, jai mes marchands, mes galeries, à New York, à Cologne, à Paris mais je veux travailler essentiellement pour des musées ou des centres dart. Ils me laissent mexprimer comme je veux, contrairement aux privés comme les fondations qui ont des exigences de type commercial.
- Il existe des galeries morales. Jai besoin de galeries morales qui mettent la création avant la recherche de gains
- Je me sens de moins en moins bien dans des petits lieux, comme des galeries. Il me faut des espaces de plus en plus grands. Au Japon jai deux projets de ce type. Lun dans un monastère très vaste Cest ce qui me convient aujourdhui.
- Jai un projet pour vous ! Le chemin de Saint jacques de Compostelle. On pourrait en faire partir un de Strasbourg et rechercher, loin des routes, les chemins qui emmenaient les pèlerins à St. Jacques. On y installerait au rythme des étapes des sortes de petites chapelles, refuges, des édicules uvres dart mais qui concerneraient des pèlerins daujourdhui. puis on ferait partir un autre chemin de Paris, de Lille, de Cologne .
- Les allemands ont toujours des conversations graves et philosophiques à table ils sont sérieux à table. Les français profitent des repas pour être légers, pour faire de lhumour
RG : Sommes nous badins en ce moment cher Christian ?
- Ch.B : non, nous évoquons de choses sérieuses
Les allemands se sont investis plus tôt que nous parce quil avaient des comptes à régler avec leurs pères. Les allemands avaient de mauvais pères.
RG je ne comprends pas bien
- Ch.B : ils étaient nazis. Les fils et les générations daprès veulent effacer cela
- Ch.B: (à propos, sans doute de sa présence à Strasbourg ): ne faites pas dans lévénementiel, fuyez lévénement ! Jai voté Delanoé et je lui en veux pour son histoire de "Paris plage" qui est exclusivement de lévénement et je lui en veux aussi pour les nuits blanches cest de la même veine. Recherchez lauthentique ! Ne détournez pas de crédits du fonctionnement du conservatoire, des musées au bénéfice dévénements. Sur ce plan ça ne se passe pas bien dans certaine villes comme Toulouse par exemple.
- Cest normal me dit Boltanski, lélu est effacé et voué à cela, cest sa destinée !
Voila bien deux logiques. Mais l'élu qui dépend de l'électeur doit aussi veiller à lui rendre compte, à l'électeur, donc à exister en son nom. Je risquais une ultime tentative:
RG : Je vais citer de mémoire une phrase de "l
'Etat Culturel" : Oublions (ou effaçons) Auguste mais où est Virgile ?
- Frank.K : pas fausse, cette image !
Le soir je me trouvais devant, dans, leur uvre, rue brûlée. Cétait pur moment de magie.
Comment retenir léphémère ? Comment figer le moment ? Comment y entrer ne plus en être quitté? Il passe et se vit avec une formidable intensité poétique, si difficile à retranscrire.
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