Jean d'Ormesson est une des intelligences littéraires les plus pétillantes qui soient. Pourquoi d'ailleurs ajouter "littéraire"?

D'une érudition saisissante, il manie l'humour et l'esprit avec une dextérité qui vous subjugue. Ses romans sont passionnants, agréables et emplis de profondeur, son "Autre histoire de la littérature " est un pur chef d'oeuvre qui donnerait envie à des supporters du PSG de lire les auteurs classiques.

Mais tout cela n'est rien à côté du personnage lui même, une authentique star ! D'une incroyable force de séduction fondée sur un réel charme, une gentillesse et une simplicité dont seuls les vrais et grands aristocrates, ceux de l'esprit et du cœur, savent faire preuve, Jean d'Ormesson est un des grands écrivains des deux siècles en même temps qu'une véritable diva des plateaux de télévision et des salles de conférence.

Il vous récite au débotté du Racine ou du Paul-Jean Toulet sans l'air d'y toucher. Il nous a dit un poème de Marguerite Yourcenar qu'il a découvert trop tard pour le mettre dans son édition originale de  "Et toi mon coeur pourquoi bats-tu..." Mais qui se trouve dans la collection Folio. Du pur bonheur.

"Vous ne saurez jamais que mon âme voyage

Comme au fond de mon coeur un doux coeur adopté

Et que rien ni le temps, d'autres amours,ni

N'empêcheront jamais que vous ayez été;

Que la beauté du monde a pris votre visage,

Vit de votre douceur, luit de votre clarté,

Et le lac pensif au fond du paysage

Me redit seulement votre sérénité.

Vous ne saurez jamais que j'emporte votre âme

Comme une lampe d'or qui m'éclaire en marchant;

Qu'un peu de votre voix a passé dans mon chant.

Doux flambeau, vos rayons, doux baiser, votre flamme

M'instruisent des sentiers que vous avez suivis,

Et vous vivez un peu puisque je vous survis

 

 

Je lui dois beaucoup, à Jean d'Ormesson, comme on doit beaucoup à un écrivain que l'on aime. Mais il veut bien m'honorer de son amitié. Elle est née d'une rencontre, en 1997, lorsque, invité à présenter son "Casimir mène la grande vie" et son "histoire de la littérature", j'ai eu le bonheur d'être convié à débattre avec lui à la radio.

Depuis je l'ai retrouvé à chacune de ses visites à Strasbourg et nous déjeunons ensemble, régulièrement avec les deux François, Miclo et Wolfermann et Daniel Riot.

La conversation de l'époque à radio Nostalgie, du temps où cette radio proposait chaque semaine un moment conscré aux livres, s'est prolongée hors antenne.

Elle fut un des moments passionnants de mon existence.

Nous parlions littérature, à bâton rompus, et il réussit si bien à me mettre en confiance que je me livrais sans appréhension. Mon livre sur Malraux venait d'être publié et bien évidemment nous avons longuement évoqué celui qui me marqua tant. Mais lorsqu'il me demanda quel auteur classique j'affectionnais, je lui répondis avec quelques précautions oratoires et une grande prudence...Bossuet. Je craignais le pire...et le voila qui s'épanouit d'avantage et au lieu de me considérer éventuellement comme archaïque ou ringard il se mit à me parler avec un étonnant enthousiasme de Bossuet citant cette superbe et insolite phrase " Dieu se rit des créatures qui se plaignent des effets dont ils chérissent les causes". J'en restais interdit! Celle là, je ne la connaissais pas.

Emballé par le tour que prenait cette conversation je poussais mes feux. "Je suis subjugué par les périodes de Bossuet, par ses images et aussi par sa manière de s'adresser à Dieu qui est évidemment convoqué à chaque enterrement et donc à chaque oraison funèbre et de quelle manière éloquente et majestueuse! J'aimerais, lui dis-je, découvrir un Bossuet à rebours, l'envers d'un Bossuet qui, avec le même style sublime, se mettrait à engueuler Dieu, plutôt que de voir dans chaque mort la main de Dieu et par conséquent la divine consolation...Qu'on s'en prenne à lui...Comment peut-il faire preuve de tant de cruauté envers nous...Ce n'est pas que je partagerais forcément ce comportement littéraire mais ce serait sûrement exaltant et pourquoi pas, jubilatoire...

Jean d'Ormesson s'écria avec ce permanent sourire qui illumine ses propos: "J'ai votre homme...Cioran!"

Je me suis précipité en librairie et j'ai emmenné Cioran chez moi que j'ai lu avec une passion dévorante. Je dois à d'Ormesson d'avoir découvert Cioran qui ne me quitte jamais trop longtemps. Chaque phrase, quasiment, de ce génial sceptique mérite d'être méditée. Ah ce n'est pas gai...Mais quelles leçons