Voici le texte que j’ai écrit à l'occasion du 300e anniversaire de la mort de Bossuet, les DNA ont bien voulu le publier 


Il y a trois cent ans, le 12 avril 1704, mourrait Bossuet.
Qui, aujourd'hui songerait à commémorer, en dehors de Dijon, sa ville natale et de Meaux, dont il fut l'évêque charismatique ?
Qui se souvient qu'il fut le prince de l'éloquence, que du haut de sa chaire il fit trembler les rois, que ses méditations spirituelles demeurent des chefs d'oeuvre ?
L'aigle de Meaux s'est envolé en nous léguant un trésor inouï qui est loin de n'être que classique, il est d'une permanente actualité.
Je relis Bossuet et suis frappé par la modernité de celui qui pourrait passer pour un cénotaphe littéraire, jadis objet de sollicitude des élèves de khâgne, aujourd'hui rare sujet de curiosité.
Les éditions de la Pléiade viennent enfin de le rééditer somptueusement mais est-il encore au programme de quelque classe de lettres ?

Les consciences
ébranlées

Bossuet n'est pas seulement cet évêque qui, dans une langue d'une absolue pureté, apostrophait Louis XIV et sa cour obligés de se tenir coi sous sa chaire en s'entendant dire des vérités qu'aucun prédicateur n'oserait formuler devant aucun président d'une de nos démocraties avancées.
« Non, non, ô riches du siècle, ce n'est pas pour vous seuls que Dieu a fait lever son soleil, ni qu'il arrose sa terre, ni qu'il fait profiter dans son sein une si grande diversité de semences ; les pauvres y ont leur part aussi bien que vous ». Puis : « Il vous en faut (des richesses) pour la nécessité, pour la vanité, pour le luxe, pour les plaisirs, pour la pompe, pour la parade, pour mille superfluités ». (1)
Et encore : « C'est une entreprise hardie que d'aller dire aux hommes qu'ils sont peu de choses. Surtout les grandes fortunes veulent être traitées délicatement ; elles ne prennent pas plaisir qu'on remarque leur défaut ». (2)
On imagine cette voix tonner sous les voûtes des cathédrales ébranlant les consciences et provoquant l'ire des grands du monde.
Sa phrase est incomparable. Elle subjugue lorsqu'on la lit. Que devait-elle être exprimée par sa voix que l'on dit puissante, grave, harmonieuse ?
Les rares qui, aujourd'hui, se souviennent de Bossuet ont en mémoire le classique et célèbre « O nuit désastreuse ! O nuit effroyable ! où retentit tout à coup comme un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, madame est morte. Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup comme si quelque accident tragique avait désolé sa famille ? » (2) passage exceptionnel par sa densité rythmique et sonore autant que par sa charge émotionnelle.
On se souvient moins de ses traits prodigieux pour fustiger la guerre, de ses plaidoyers en faveur des déshérités. De quoi inspirer nos chrétiens sociaux ou nos gaullistes de gauche en voie de disparition ainsi que tout ce qui se réclame du socialisme. On se demande même si le plus engagé de nos pacifistes trouverait quoi que ce soit à redire à cette apostrophe : « Jugez, jugez par là combien la pauvreté est terrible, puisque la guerre, l'horreur du genre humain, le monstre le plus cruel que l'enfer ait jamais vomi pour la ruine des hommes, n'a presque rien de plus effroyable que cette désolation, cette indigence, cette pauvreté qu'elle traîne nécessairement avec elle. Mais du moins n'est-ce pas assez que la pauvreté soit accablée de tant de douleurs, sans qu'on la charge encore d'opprobre et d'ignominies ? ». (3)

La nostalgie
de l'éloquence

S'il est une raison, parmi tant d'autres, de se souvenir aujourd'hui de Bossuet, ce n'est pas simplement parce que le 12 avril marque le tricentenaire de sa mort, c'est bien en hommage à l'éloquence qu'il incarnait. L'art de la parole indissociable d'une grandeur dont chacun aujourd'hui ressent la profonde nostalgie a déserté les prétoires et les hémicycles. L'ère de la télévision a profondément dénaturé l'éloquence en obligeant l'orateur à un calage, un cadrage pour la lucarne de la caméra dans le seul but de resurgir reformaté sur petit écran dans les salles à manger des Français. Tout consiste dès lors à mettre en oeuvre une sorte d'immobilité autour de la parole ou alors une gestuelle rapetissée, interdite de toute amplitude, les mains et les doigts rampant le long du visage avec affectation, dans le but de bien rentrer dans l'oeil de la camera.
Plus de rythme non plus, aucune emphase, point de lyrisme mais, collant à l'époque et pour bien la caractériser : de la technocratie, de la technocratie avant toute chose ! Le mot d'ordre semble être « soyons terne, soyons gris, soyons monocorde, à l'image de l'époque et de son prêt à penser »
Nicolas Sarkozy, seul, qui fait la course à son rythme, semble s'évader de cette codification. A part lui, les maîtres de la parole, aujourd'hui, ceux qui s'arrogent le droit à laisser aller leur nature expansive et qui en font profession, semblent être Arthur ou Patrick Sébastien, les rois du samedi soir. Décadence !
Le message social, le message politique (mais ce mot lui même n'est-il pas banni de l'arsenal des communiquant ?) doit se fondre dans le minimalisme.
Reconnaissons le, le dernier grand orateur fut Charles de Gaulle et il est singulier de constater combien celui que ses adversaires qualifiaient d'homme du passé avait su d'instinct maîtriser la télévision où il s'exprimait avec autant d'art et de coeur « qu'en live » (il détesterait) devant les foules immenses qui l'acclamaient à travers le monde, de Pnom Pen à Mexico en passant par Strasbourg et toutes les grandes villes de France.

Une prose
éternelle

Il faut aujourd'hui relire Bossuet. Autant pour son message que pour son art.
Comment ne pas être sensible à la simplicité pénétrante de cette adresse dans le Sermon sur la brièveté de la vie « Ah ! que nous avons raison de dire que nous passons notre temps ! Nous le passons véritablement et nous passons avec lui ». (4)
Je rêve d'un Fabrice Luccini ou, pourquoi pas, de Depardieu qui a déjà tâté du saint Augustin, déclamant du haut de la chaire de notre cathédrale une oraison funèbre, un panégyrique ou un sermon de Jacques-Bénigne Bossuet.
Il y a une autre bonne raison de le relire. En une époque qui voit prospérer les sectes et les intégrismes, la quête d'absolu, le besoin de divin sont si pressants que l'on attend toute parole reliée à Dieu. Les églises nous les fournissent selon leur génie propre. Mais sur ce plan Bossuet est loin d'être inactuel, la pertinence de son propos loin d'être démodée. Il y a de l'éternité dans sa prose.
Homme d'église, porte parole de Dieu, précepteur, orfèvre de la langue, orateur, historien, Bossuet était avant tout un artiste et c'est celui-là que je voulais saluer aujourd'hui.
Salut l'artiste ! qui nous a légué un tel trésor dans lequel se trouve cette phrase que Jean d'Ormesson nous a lue avec jubilation lors des Conversation à Strasbourg : « Dieu se rit des créatures qui se plaignent des effets dont ils chérissent les causes ».
Prenons garde, créatures que nous sommes, qui baignons dans le siècle de la communication superficielle et du mondialisme réducteur à la pensée unique, prenons garde à des causes que nous chéririons qui nous inciteraient à oublier l'essentiel.

(1) et (4) Panégyrique de saint François d'Assise (2) Sermon sur la mort (3) Oraison funèbre de Henriette-Anne d'Angleterre (5) Sermon sur la brièveté de la vie

 

R. G.