L’Alsace n’en finit pas avec sa psychanalyse. Pour son malheur ses remords et ses remèdes sont souvent à retardement. Après minuit docteur Schweitzer.

Sa langue semble être l’un de ses grands problèmes. On aura beau se gausser et affirmer qu’à coté des questions sociales et économiques celle de la langue est totalement subalterne. Que nenni ! Car tout ce qui est de l’ordre du symbole est souvent essentiel.

Petit retour en arrière, n’en déplaise à ceux qui voudraient gommer l’histoire au nom de la fuite en avant, regarder devant soi ne signifie pas occulter le passé.

Donc pendant l’annexion nazie, de 1940 à 1945, parler français pouvait conduire au camp. L’oppression était absolue.

Après la Libération, terme qu’avec le snobisme de l'ingratitude on a tendance à ne plus utiliser, (c’est une si vieille histoire ce serment de Kouffra et tutti quanti…). Après la Libération donc c’est avec délices et vigueur que chacun cultiva le français qui fleurait si bon la liberté. N’oublions pas un détail utilisé de manière constante par les pleureurs de la langue perdue : Ce n’était pas le « colonisateur » parisien qui a inventé et propagé le slogan « c’est chic de parler français », ce sont des « éclaireurs France » bien de chez nous, fiers de rendre ce culte au libérateur et à sa langue. Chacun d’ailleurs voulait alors se défaire de la langue des nazis

Au quotidien, en famille, avec les amis, dans la rue, l’immense majorité pourtant continuait à parler sa langue maternelle, l’alsacien.

Hélas sa pratique s’amenuisa au fil des décennies et lorsque Germain le chanta nous pensions que nous n’avions plus que nos larmes, mais de vraies larmes, pour pleurer.

Dès lors ce fut le sursaut. Nous ne voulions pas être « d’Letschde ».

Les élus furent montrés du doigt et sommés de mettre en œuvre une politique de sauvetage de l’alsacien forte et efficace. L’école fut sollicitée et là, gros malaise : peut on enseigner l’alsacien à l’école, celle langue « du plaisir », de l’intimité, de la familiarité ?

On expliqua qu’à juste titre la forme écrite de l’alsacien c’était l’allemand qui lui n’avait jamais été pratiqué au quotidien. Et hop il faut donc enseigner l’allemand à haute dose.

Sans entrer dans des détails trop fastidieux on peut constater que pour toutes les générations d’après guerre, et ça en fait un sacré nombre, l’allemand est aujourd’hui la langue de notre voisin, outre Rhin. Aucun de ceux qui sont nés en 1950, 60, jusqu’aux années 2000 et suivantes n’a jamais vécu l’allemand comme sa propre langue, contrairement à ceux qui étaient nés, comme René Schickelé, Albert Schweitzer et leurs contemporains, entre 1870 et 1914 alors que l’Alsace était allemande.

La seule mesure qu’avec bonheur les élus ont pu mettre en œuvre pour honorer l’alsacien était d’apposer des panneaux à l’entrée de leurs villes ou villages, de mettre les noms de leurs rues en alsacien. Il ne serait venu à l’esprit d’aucun de les transcrire en Hochdeutsch. 

C’est ainsi qu’avec beaucoup de plaisir on peut lire :

Mulhouse : Mìlhüsa et non pas Mülhausen. Mais aussi, à titre d’exemple,

Pfulgriesheim : Fülgriese, Masevaux : Màsmìnschter, Sainte-Marie-aux-Mines : Màrkìrich, Ernolsheim : Arelse, Duttlennheim : Dìttle, Kaysersberg : Kaisersbari

 

À Strasbourg aussi les panneaux des rues ont été doublés avec leur appellation traditionnelle en alsacien. Il est vrai que quelques farouches partisans d’une Alsace bilingue dans l’esprit de 1870 à 1914 (je n’évoque pas 1940 à 45…) militent avec ténacité et vigueur pour un bilinguisme allemand.

J’ai vécu un de ces épisodes éloquent, le 24 octobre 2013, au sein de la commission de dénomination des rues mise en place depuis des décennies par le maire de Strasbourg. On nous proposa une longue liste de rues et nous devions proposer, après débat, une appellation en alsacien.

L’un des membres alors récemment introduit par le maire souhaitait que tout soit en hochdeutsch. Exemple Place Kléber, Kleberplatz ! Place Gutenberg, Gutenbergplatz, route de Brumath, Brumather Stross

Pour chaque alsacien Kléber c’est et ça a toujours été Klewer, Gutenberg, Guteberri, Brumath, Brumth. Donc Klewerplatz, Gueteberriplatz, Brumtherstross. Évidemment il y faut la prononciation. À une très grande majorité c’est la dénomination alsacienne qui fut adoptée. Un débat annexe eut lieu où certains évoquèrent le nom de Strasbourg. Strossburi obtint la majorité.

En effet quel autre but veut-on atteindre avec ces plaques de rues bilingues sinon renouer avec la tradition du passé des strasbourgeois, célébrer leur langue.

La question pour Strasbourg est de savoir si ce qui s’applique pour les rues est valable pour le panneau indicateur de la capitale de l’Europe. Au regard de l’objectif à atteindre et pour rester dans la tradition, il faudrait inscrire Strossburi.

Si le maire a un autre objectif c’est son affaire. Mais que penseraient tous ceux venant vers notre ville s’ils voyaient Strassburg ? À n’en pas douter ils se croiraient en Allemagne comme beaucoup le formulent déjà.

Après tout ne vaudrait-il pas mieux laisser le panneau Strasbourg en l'état?