La délibération que vous nous soumettez suscite inquiétude et regrets dans les milieux de la culture.

Voici donc l'Ancienne Douane, un bâtiment intimement lié à l’histoire séculaire de notre ville, chargé de sens et qui fait partie de l’imaginaire collectif des strasbourgeois aussi bien que de ses visiteurs du monde entier, 

            Bordée par l’Ill, il est entouré de ruelles jalonnées de Winstubs et de restaurants traditionnels dont l’un en son sein même porte son nom, « L’Ancienne Douane ».

            Face à l’Ancienne Boucherie métamorphosée en Musée d’Histoire, l’Ancienne Douane a abrité un espace dédié à la culture qui n’était pas seulement réservé à l’art contemporain.

            De prestigieuses expositions y ont trouvé place dont l’une somptueuse et historique, sous la direction de Roland Recht en 1989 alors que madame Trautmann était maire « Les bâtisseurs de cathédrales »

            C’est un incendie qui a soustrait accidentellement cet espace à sa vocation que personne n’a jamais remis en cause : un lieu d’exposition géré par nos musées, réservé aussi à des associations pour des événements de niveau. C’était encore le cas récemment avec Thrill

            Bien évidemment chacun imaginait avec confiance que lors de leur restauration ces salles seraient à nouveau dédiées à l’art et aux expositions. 

En tous cas, cela était clair dans notre esprit lorsque nous étions aux responsabilités. Un projet avait été établi, un chiffrage réalisé. Mais au cours de notre mandature nous avons réalisé le Musée Historique, laissé en plan pendant près de quinze ans avant nous ; nous avons créé le Musée Tomi Ungerer, promis à cet immense artiste pendant près de vingt ans, attendu avec impatience et jamais réalisé, nous avons aussi célébré le centenaire du Musée Alsacien en lançant l’année des Musées avec ce slogan qui a produit ses effets : « les Musées ça décoiffe » : 100.000 visiteurs de plus en une année !

            Notre plan de marche financier ne nous permettait donc pas, au grand dam de tous les amoureux de l’art et de la culture, de rénover en même temps les salles de l’Ancienne Douane. C’était réservé pour une deuxième étape, tout comme d’autres projets dans des domaines différents.

 Monsieur le maire, votre délibération d’aujourd’hui a une histoire. Lorsque nous étions aux responsabilités, la militante d’une association créée pour la cause, réclamait à cors et à cris, manifestations hostiles et pétitions à l’appui, un marché dans les historiques bâtiments de l’Aubette. Nous avons fait un autre choix. Mais cette militante, Madame Buffet, a été placée sur votre liste et vous l’avez promue adjointe. Elle n’a pas abandonné son idée de marché –petit marché est-il besoin de le préciser - et voici qu’elle à réussi à vous convaincre d’investir un autre haut lieu patrimonial : l’ancienne douane.

            C’est à priori une idée tout à fait baroque !

            Vous nous proposez donc d’installer une activité commerciale à l’ancienne douane et, curieusement, ce ne sera même pas un marché bio, comme annoncé à une époque.

            L’argument du circuit court est peu convaincant car aujourd’hui il y a partout des circuits courts : dans les libres cueillettes, les AMAP, les fermes bio qui vendent en direct au consommateur.           

           Dans cette affaire on ne peut pas discerner de ligne de politique municipale clairement définie, mais plutôt une sorte de caprice qui vient s’insérer au fil de l’eau.

            L’affaire de l’Ancienne Douane est aux yeux de beaucoup d’une réelle gravité car ce caprice a un sens : le détournement d’un haut lieu de culture au profit d’une activité marchande qui ne répond à aucun besoin particulier et que nul n’a jamais réclamée

Comme vous connaissez la position des partisans de la culture, vous avez cru devancer et annihiler leurs arguments en argumentant vous même de manière curieuse.

Vous avez dit :

 1) Il y a assez de lieux d’exposition à Strasbourg et il y en aura d’autres à venir notamment sur la presqu’île Malraux.

2) L’Ancienne Douane abritait un musée d’art contemporain (ce qui est partiellement inexact, je viens de le rappeler) et comme il y a aujourd’hui un Musée d’Art Moderne et Contemporain les espaces de l’Ancienne Douane n’ont plus de raison d’être

 Il est trop facile de vous renvoyer votre premier argument : puisque, selon vous, il y a tant d’autres lieux, y compris ceux à venir, installez donc le projet de madame Buffet dans l’un d’eux, tout le monde sera content.

            Cela me permet de souligner que le plaidoyer des partisans de la culture n’est en aucun cas dirigé contre l’agriculture et sa Chambre, même si on peut être étonné que la ville, avec l’argent de ses contribuables, mette ainsi les pieds dans un secteur privé et se fasse commerçante, concurrençant à la fois le marché bio à proximité mais aussi bien des commerçants et, si je vous ai bien compris, demain, les restaurateurs.

Je veux souligner que l’Ancienne Douane, située dans le périmètre classé patrimoine mondial par l’UNESCO, se trouve au cœur d’un carré d’art magique, dessiné par le Musée Historique,  le Musée Alsacien, la Cour du Corbeau. L’Ancienne Douane en est un des fleurons. Il doit être consacré à sa destination initiale, la culture!

 Je voudrais réserver un sort à votre second argument car c’est ne rien comprendre au fonctionnement des musées que de s’abriter derrière cet argument erroné : puisqu’il y a un MAMC, plus besoin de l’Ancienne Douane.

            Monsieur le maire les salles de l’Ancienne Douane, je le répète, n’étaient pas destinées qu’au seul musée d’art contemporain, vous vous trompez à ce sujet.

            Elles devaient être des lieux d’exposition pour toutes les formes d’art, de toutes les époques et de toutes les régions du monde. À titre d’exemple Fabrice Hergott, avait proposé, pour ce lieu, une exposition prestigieuse consacrée à L’art de l’Islam. D’autres projets avaient été évoqués et les initiateurs de tant d’expositions à venir comptaient sur l’Ancienne Douane.

            Pourquoi ? Parce que, comme vous ne l’ignorez pas, nos musées ont des collections permanentes très riches. Mais pour leur vitalité, leur attractivité et le rayonnement de notre ville, il est essentiel que de grandes expositions thématiques et temporaires soient organisées.

            Souvenons nous  des - surréalistes en exil, 2001- de Klee (2004)- les hyperréalismes - l'Oeil moteur (2006)- Rouault (2007)- Arp (2008) –Strasbourg-1400 (2008)

            Je n’en cite que quelques unes au cours de ces dernières années mais je veux m‘arrêter à l’une d’elles, en 2010, « Les images de Wissembourg ». Cette magnifique exposition, qui évoquait un élément patrimonial très singulier de notre Alsace, était totalement à l’étroit coincée dans la Galerie Heitz. Elle aurait respiré et rayonné dans l’Ancienne Douane. Ainsi elle était une éloquente démonstration de la nécessité de ce lieu pour demain!

            Dans quelques mois l’exposition Loutherbourg (chacun sait ici que ce Strasbourgeois qui avait retenu l’attention de Diderot, fut peintre de Louis XV ainsi qu’à la cour du roi d’Angleterre). Elle va supposer un grand déménagement au musée des Beaux arts comme ce fut le cas hier pour « L’apothéose du geste » ou « Les collages d’Ingres »

            En ce moment même nous avons Nicolas de Leyde à l’œuvre Notre Dame.

            Pour cette exposition remarquable, comme pour chaque exposition temporaire, de lourds travaux sont nécessaires, déménager les collections permanentes, aménager et créer de nouvelles cimaises. Faites vous donner le chiffrage des travaux qu’a nécessité Nicolas de Leyde dans notre prestigieux musée de l’œuvre Notre Dame.

            Ça c’est pour l’aspect financier, mais il y a aussi l’aspect culturel car le visiteur, pendant une exposition temporaire, ne pourra pas voir les collections permanentes, temporairement évacuées.

            Un lieu dédié à ces expositions de prestige était donc non seulement nécessaire mais il enrichissait culturellement Strasbourg the Europtimist, qui aujourd’hui risque d’être plutôt the Europessimist…

Qu’y a t il de plus attractif pour l’Europe à Strasbourg ? Les fruits et légumes ou de grands moments culturels ?

 Par la délibération d’aujourd’hui vous exprimez vos priorités.

            Si je me laissais aller à la facétie je pourrais imaginer qu’à ce rythme les salles du palais Rohan, les appartements du Cardinal et la chambre du roi pourraient aussi intéresser la municipalité  pour y installer une halle aux poissons.

En reprenant votre argument sur le trop grand nombre de salles d’expositions on peut déduire que pour vous non seulement il y aurait assez et peut-être même trop de culture à Strasbourg.

            D’ailleurs vous avez renoncé à l’extension du Musée Alsacien en abandonnant les crédits que le contrat triennal lui réservait.

            Aujourd’hui, si cette délibération agreste et champêtre était adoptée ce serait une sombre journée pour la culture!

  Monsieur le maire c’est surement bien de pouvoir déambuler entre des échoppes et des kiosques de fruits et légume et d’acheter, de consommer.

            Le rôle des élus, me semble-t-il, est aussi de proposer de la nourriture artistique, spirituelle, intellectuelle et de multiplier les « circuits culturels courts »

            Permettre à des publics de tous horizons de se trouver face à une œuvre d’art, de la questionner, de se laisser questionner par elle, bref de provoquer ce rendez vous de l’intime, est essentiel et formateur.

            Cela fait partie de nos missions. Mais c’est évidemment plus difficile que d’aller vers la banalité des aliments de bouche.

 

            Mon tout dernier mot sera pour évoquer votre conception de la démocratie participative et c’est la question d’un jeune journaliste qui m’y a fait penser.

 -Vous allez intervenir sur l’ancienne douane, me demanda-t-il.

-Bien sûr, lui répondis-je.

-Croyez vous que vous serez entendu et suivi ?

Oh la naïve question pourtant pleine de sens, que chaque concitoyen se pose dans sa naïveté civique!

-Hélas non ! Je risque de ne pas être  suivi puisque tout est décidé avant le conseil qui n’est qu’une chambre d’enregistrements.

Et je réfléchissais au sens de ce qui forme le socle des proclamations de votre politique municipale, la démocratie participative.

            Un miracle participatif serait-il possible aujourd’hui ?

            Imaginons que la question de ce jeune journaliste soit prise au premier degré, au pied de la lettre, et qu’elle permette une réponse ouverte ?

 C’est pourquoi, surmontant tous les présupposés, je souhaite m’adresser à mes collègues de gauche.

            La gauche s’est toujours attribuée une sorte de monopole de la culture. Etre de gauche c’était, par principe être homme ou femme de culture.

            Mes chers collègues vous avez maintenant la possibilité d’être fidèles à cette réputation et de le démontrer.

            Étonnez la vraie démocratie participative. Faites la triompher.

            Avec courage et conviction, votez pour la culture.