« Au secours des langues régionales » titraient les DNA en écho à la journée nationale qui leur a été dédiée. En vieille France la question n’est pas rigoureusement identique à celle de l’Alsace. Le Breton est une langue (de plein exercice, allais je écrire) tout comme le Basque, le Provençal ou le Corse. Ces langues régionales ne sont pas adossées à une langue étrangère comme l’alsacien l’est à l’allemand.

Mais c’est tant mieux si l’on manifeste fortement en faveur du bilinguisme en Alsace. J’y souscris et il faut espérer que cette question finisse par toucher tous les publics, au delà des centaines de manifestants de la place Kléber, drapeaux Rot un Wiss au vent !

Mais de quel bilinguisme parle-t-on ?

Le « français-alsacien » ? Il est chez lui en Alsace. Il est relativement bien portant à la campagne, plus malmené dans les grandes villes. L’Office de la Langue et Culture Alsacienne ainsi que l’association « E frej Johr fer unseri Sproch » font un excellent travail en sonnant le réveil depuis quelques années…

Le « français-allemand », quant à lui, est d’abord l’objet d’une matière d’enseignement scolaire trop peu pratiquée. Son développement doit se réaliser de manière sereine, loin de toute crispation identitaire. Il constitue un moyen de communication avec nos voisins et favorise la meilleure connaissance du patrimoine culturel allemand. Il est aussi et surtout un outil important en faveur de l’emploi. Mais le développement de l’enseignement de l’allemand ne peut être considéré que comme une priorité librement choisie.

Qu’il soit permis de rappeler que cette question ne peut être abordée en niant l’époque dans laquelle nous vivons pour sacrifier au culte nostalgique d’une Alsace du passé. Au XIXème siècle l’Alsace était allemande et sa langue était l’allemand. Nous ne sommes plus en 1875, année de naissance d’Albert Schweitzer, ou 1883, René Schickelé, tous deux né en Alsace allemande.

Nous sommes au XXIème siècle, près de 150 ans et deux guerres plus tard. Le monde a basculé, l’Alsace a évolué et les réalités d’aujourd’hui font de l’allemand la langue du voisin.

Cette réalité admise il est évidemment nécessaire de conduire le plus possible de nos jeunes vers la maitrise de l’allemand pour des raisons culturelles et économiques contemporaines.

            Mais est-il souhaitable de gendarmer l’apprentissage d’une langue en l’enserrant dans des carcans législatifs voire ensuite judiciaires ?

Avec les récentes propositions de lois, l’une du député UMP Marc Le Fur, l’autre du PS, signée par l’Alsacien Armand Jung, il me semble une nouvelle foisindispensable de procéder à des mises en garde.

Poussés à leurs limites extrêmes, de tels textes à portée juridique et donc judicaires, pourraient conduire à des dérives.

Dans son préambule, la proposition PS consisterait à inscrire dans l’article 2 de la constitution l’alinéa suivant : « dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine ».

Les signataires PS expliquent : « Il ne s’agit en aucun cas d’une diversité “ethnique” qui nous renverrait bientôt à des considérations raciales que la morale républicaine réprouve et que la science réfute, mais à la diversité des origines et des cultures. Reconnaître cette diversité culturelle plutôt que de la nier nous paraît aujourd’hui le plus sûr moyen de préserver l’identité républicaine. Car seule la reconnaissance du multiple peut garantir notre unité. Seule la reconnaissance du multiple peut favoriser l’égalité. À condition toutefois qu’il ne s’agisse pas d’une reconnaissance de la diversité de groupes mais d’une prise de conscience des variétés culturelles propres à chaque citoyen. Si nous voulons être tous égaux, commençons par admettre que nous sommes aussi tous différents. »

Voilà une déclaration à laquelle on aurait du mal à ne pas souscrire. Mais ne s’agit-il pas d’un aveu en creux ? Car en l’évoquant pour l’exorciser les responsables PS identifient bien le danger. Comme ils le suggèrent, l’ethnisme pourrait être en embuscade.

Imaginons l’entrée en vigueur d’un texte, loi ou charte. Ces textes emporteraient un effet contraignant et un citoyen serait en droit d’exiger d’un fonctionnaire de la préfecture, d’une mairie, d’un policier, d’un commerçant, de tout le monde finalement, qu’il lui réponde en allemand et à porter plainte s’il n’obtient pas satisfaction. Tous les documents officiels seraient obligatoirement rédigés en allemand et en français. Les affiches publicitaires ou autres devraient être réalisées en bilingue français allemand.

L’Alsace d’aujurd’hui est-elle prête à se plier à cette « gendarmisation » autoritaire de l’expression publique?

Notre langue régionale, l’alsacien, ne sera pas sauvée par des lois mais par la volonté des locuteurs. Pratiquons l’alsacien toujours et partout, plutôt que d’en faire l’objet d’imprécations ou d’oraisons funèbres. Parlons le, manifestons, réalisons des fêtes en l’honneur de l’alsacien et nous progresserons.

N’oublions pas un autre élément important. Les choses évoluant avec la vie ne faudrait-il pas parler aujourd’hui « des bilinguismes » ? Que cela plaise ou non, l’arabe de même que le turc sont présents chez nous…Ils sont enseignés dans nos établissements. Et que dire de l’anglais ? Ces locuteurs pourraient-ils eux aussi exiger une loi ?

            Je reste convaincu que c’est par un développement consenti et accepté par tous qu’une langue peut gagner les cœurs et les esprits plutôt que par la coercition.

            Alors certes il faut une volonté politique et nous avons besoin de vrais moyens en faveur de l’enseignement des langues et sur ce plan, il est vrai, l’Etat doit agir.