Non, je ne parlerai du livre de ma vie !

Cela m’obligerait à en éliminer tant d’autres qui m’ont forgé, qui ont déclenché en moi ce trouble bouleversant, qui ont étreint mon cœur.

En fermant la dernière page du « Lys dans la vallée » je n’étais plus tout à fait le même, propulsé par la magie de Balzac je songeais sans cesse à Philippe de Vandenesse.

Comment écarterais-je Rabelais, son verbe fondateur, sa truculence et son « fais ce voudras ».

Ne pas parler ici du Misanthrope ? Eliminer « Ainsi parlait Zarathoustra » ? Vous n’y pensez pas !

Ce n’est pas un seul livre qui a brûlé mon âme. Ce sont tant de textes qui font que, dans ma vie, la littérature est irremplaçable et que vivre sans livre m’est impossible. Lire est bien ce suprême luxe que nous décrit Jean-Paul Kauffmann du fond de sa geôle dans « la maison du retour». Surprendrai-je en évoquant « L’imitation de Jésus » cet incroyable classique mille fois réédité et si méconnu de la foule des lecteurs. Et Malraux, vous me demanderiez de ne pas le citer, ni les Mémoires du Général de Gaulle ?…

Votre exercice est cruel et injuste, je transgresse !

Mais pour ne pas être l’exception de votre revue j’évoquerais ici Vassili Grossman non pas parce que je vois une flatteuse homonymie dans cette rencontre mais parce que « Vie et destin » est bien le grand livre du XXième siècle et que la tragédie humaine qui s’y déroule à chaque page ne cesse d’être d’une permanente actualité.

Ce n’est pas la description de la bataille de Stalingrad, ni l’évocation  pénétrante des fascismes nazi et stalinien qui seuls comptent dans Vie et destin, c’est la pauvre condition de l’homme face à lui même et face au temps.

C’est le temps qui est au cœur de cette œuvre intemporelle.

Krymov l’un des personnages du roman, nous fait part de sa méditation tragique : « …Rien n’est plus dur que d’être orphelin du temps. »

Avec « Vie et Destin », Vassili Grossman nous a légué le nouveau « Guerre et paix » où tout se retrouve et se mêle, la grandeur de l’homme, « ses misérables tas de petits secrets » l’amour, la guerre, la vie, la mort