Pierre Pflimlin n’est plus.

L’Europe est en deuil et Strasbourg est à son chagrin.

L’Alsace, dorénavant, est privée de sa voix la plus prestigieuse.

 

Pierre Pflimlin n’est plus et il me revient d’évoquer sa mémoire …au nom des élus de l’UDF et du RPR de Strasbourg, car l’UDF était sa famille politique. Celle dont il était, de loin, la plus illustre figure en même temps que la grande référence, nationale et internationale.

 

Il me revient d’évoquer la mémoire de ce grand maire car j’ai eu le privilège d’être son plus jeune vice président à la Communauté Urbaine; son plus jeune adjoint à la ville.

Trente trois ans me séparaient de Pierre Pflimlin, c’est dire que mes relations politiques étaient avant tout marquées par une sorte de vénération quasi filiale.

 

Comment, avec les simples mots, comment évoquer la haute stature de Pierre Pflimlin ?

La tâche me semble hors de portée.

Je vais donc tenter de le faire en évoquant quelques images sculptées dans ma mémoire sans prétendre tracer un portrait, sans aller vers les haut faits qui caractérisent sa carrière internationale, et conscient que je n’atteindrais d’aucune manière la qualité de l’hommage qui lui est dû.

Quelques images qui viennent compléter ce que, tous, nous savons de sa renommée.

 

Dans les salons de l’Hôtel de ville Pierre Pflimlin reçoit une foule de visiteurs de marque. Il parle de sa ville en brossant une fresque historique étonnante qui s’étend des origines romaines d’Argentoratum à la seconde guerre mondiale et conclut par la signature du traité européen à l’endroit même où il s’exprime.

Son verbe nous fait voir soudain de Gasperi, Adenauer, Churchill, Robert Schumann dans ces mêmes salons, paraphant le parchemin pour faire avancer l’Europe, ici, à Strasbourg

Au passage une pointe de nostalgie pour les temps où Strasbourg, ville libre, battait monnaie et ceux où, la bas, de l’autre coté de la place Broglie, dans la maison disparue du maire de Dietrich, Rouget de l’Ill chanta pour la première fois la Marseillaise.

C’est prodigieux d’éloquence.

Les applaudissements ne sont ni de pure forme, ni de courtoisie. Ils viennent ponctuer un exploit oratoire qui a subjugué tout l’auditoire.

C’était une sorte d’instant de magie. Strasbourg en était au cœur.

Chaque fois qu’il prenait la parole quelque chose se mettait à vibrer entre l’auditoire et lui. Moment privilégié, visité par la grâce de l’intelligence et du cœur.

En réalité Pierre Pflimlin était un esthète de la parole, un esthète tout court, c’était un artiste aussi.

Combien de fois avons nous ainsi pu admirer à l’œuvre sa vaste culture, l’étonnante mémoire de toutes ses lectures, son goût pour l’histoire, sa passion pour l’art, sa détermination en faveur de l’avenir de Strasbourg. L’amour pour sa ville perçait sous les discours de Pierre Pflimlin et réussissait à transfigurer ses auditoires.

Pour lui Strasbourg était un destin.

Pierre Pflimlin s’était inscrit tout naturellement dans la tradition des grands maires humanistes d’Europe, dans la tradition du Strasbourgeois Jacques Sturm.

 

 

C’est sous cet illustre maire que j’ai appris la vie municipale.

Strasbourg était un tout pour Pierre Pflimlin. Il aimait sa ville, toute sa ville et pas seulement son centre, sa place de l'université, son orangerie.

Récemment des musiciens manouches me racontaient qu’il arrivait à Pierre Pflimlin de se rendre tout seul, pour ainsi dire incognito, au polygone pour rencontrer les responsables ou les acteurs de l’APONA et passer un moment avec eux.

Ils ne l’ont jamais oublié, les gens du voyage ce maire qui aimait aussi sa ville en ses marges.

Son cœur s’était attaché au Neuhof, à Hautepierre, à la , la Cité de l’Ill, aux autres quartiers sociaux de Strasbourg. Personne ne peut oublier qu’au moment où il a pris en main les destinées de cette ville le problème du logement était d’une extrême acuité et que ce qu’il importait de faire c’était en toute priorité de loger ceux qui n’avaient aucun logement.

Il y a réussi tous ses quartiers avec leurs difficultés croissantes ne cessaient de bénéficier de son extrême sollicitude.

Je me souviens de la manière avec laquelle il nous rappelait souvent avec une vigoureuse passion que nous n’avions pas à évoquer un quartier de Strasbourg par opposition à un autre et que nous étions chacun les élus de toute la ville.

Le destin de toute la ville devait donc concerner chacun.

 

Au moment de mettre en place la Communauté urbaine il déployait une attention vigilante et courtoise envers tous les maires et délégués des 26 autres communes afin que chacun puisse se sentir Strasbourgeois autant que lui le Strasbourgeois se sentait citoyen des autres communes.

La leçon municipale de Pierre Pflimlin c’était la grandeur dans les actions humbles de la gestion du quotidien. Je crois pouvoir dire que Pierre Pflimlin avait initié et incarné un authentique humanisme municipal.

 

Une autre image tout a fait insolite se situe devant le ring de boxe de la salle d’entraînement de la Kibitzenau

J’étais l’adjoint de Pierre Pflimlin chargé des sports.

Je pense que l’hommage qui lui est dû n’aura que plus de force si, à coté des traits lumineux de sa personnalité, on s’attache aussi à ne pas dissimuler les traits plus contrastés, plus ombrés qui soulignent d’autant mieux les lignes remarquables.

Eh bien, puis-je le dire ?-  je ne suis pas sûr que le sport ait été sa tasse de thé.

*Même s’il était un fidèle supporter du Racing Club de Strasbourg,

*même s’il a créé l’office des sports,

*même s’il a équipé en salles et en terrain cette ville du nord au sud et d’est en ouest, cet intellectuel n’avait pas d’inclinaison naturelle vers les disciplines physiques.

De par mes fonctions j’ai alors tenté de le convaincre d’aller mieux à la rencontre du sport et un soir il a accepté de m’accompagner. Nous sommes allé tous les deux de terrain en terrain, de salle en salle, voir les sportifs à l’entraînement dans l’effort ingrat et difficile, loin des sunlights. Après les footballeurs, les handballeurs, les athlètes, nous sommes allé voir les boxeurs du Cercle pugilistique de Strasbourg, et, arrivé près du ring, voici que ces dizaines de gosses des quartiers sud, - black, blanc, beur, comme on dirait aujourd’hui -, lui ont réservé une ovation de près de dix minutes. J’ai vu Pierre Pflimlin saisi d’émotion et sans doute s’est-il passé quelque chose ce soir là. Je n’irai pas jusqu’à dire que les subventions en faveur du sport furent plus fluides mais ce soir là il y eut comme une métamorphose.

 

Je vois l’image de Strasbourg la culturelle et je me souviens de la volonté de Pierre Pflimlin de faire de notre ville, la ville la plus culturelle de France.

Avec Germain Muller à ses cotés ce fut la création de l’Opéra du Rhin, le développement de l’Orchestre Philharmonique, les ballets du Rhin, le Maillon. Je garde en mémoire la manière dont il écouta André Pomarat qui le convainquit de développer une action du théâtre en faveur des jeunes et il décida de créer le Théâtre jeune public qui fut alors une réalisation unique et exemplaire. Strasbourg la lui doit tout comme Strasbourg lui doit Musica.

Puis je l’avouer aussi ? Je ne sais plus très bien si le conseil municipal ne fut pas un peu bousculé lorsqu’il décida de projeter la ville dans la modernité en acquérant la remarquable sculpture de Henry Moore. Il me semble bien que si l’on avait voté Pierre Pflimlin aurait été mis en minorité et il n’y aurait jamais eu de Moore à Strasbourg. Il avait simplement précédé un peu la démocratie culturelle en permettant à tous de se familiariser avec ce qui est aujourd’hui une œuvre complètement classique. Sans sa détermination la voie de l’art contemporain n’aurait pas été ouverte.

C’est sous Pierre Pflimlin que notre ville entama son véritable rayonnement culturel.

 

Homme de culture !

J’ai été frappé comme vous toutes et tous de constater que, dès qu’il eut quitté ses fonctions, Pierre Pflimlin fut omni présent sur le front de la culture. Chaque soir ou presque il se transformait en spectateur éclairé du TNS, du Maillon, de l’Orchestre Philharmonique, des petits théâtres de poche aussi.

A combien de vernissage d’art plastique ne l’ai je vu s’intéresser avec passion à la création et à ses évolutions.

J’ai eu le bonheur de le voir souvent au Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines, lors des premières de nos expositions et cet homme, à l’âge avancé qui était le sien, donnait l’exemple de la jeunesse culturelle et je n’oublierai jamais la réflexion qu’il me fit un jour avec une fausse sévérité « Je ne vous ai pas beaucoup vu à Musica cette saison ! » le reproche était amusé mais mordant.

La culture-jeune comme disent certains aujourd’hui, Pierre Pflimlin la vivait instinctivement.

 

Il avait un humour instinctif, il aimait rire, il aimait l’esprit et ses mots. Il aimait s’exprimer en alsacien

Ma dernière image sera une image intime. C’est celle d’une très belle balance romaine. Elle est chez moi, en bonne place, précieusement, j’allais dire, pieusement conservée.

C’est le cadeau qu’il me fit lors d’une occasion marquante dans mon existence.

Elle est pour moi un symbole fort auquel je médite souvent. Quoi de plus précieux en tant de circonstances que de peser ses mots.

Quoi de plus difficile que de soupeser et de départager les passions, les sentiments, les alternatives puis de trancher.

Pierre Pflimlin était un homme d’équilibre et de juste milieu. 

Là aussi se situait sa famille politique, celle à laquelle le liait une indéfectible et combative fidél05/07/00ité.

 

Mes chers collègues, j’ai la mémoire douloureuse et Strasbourg a le cœur en berne.

 

A vous, sa famille, à vous ses amis, à vous qui avez travaillé avec lui, à vous qui l’avez aimé, je présente au nom de tous ceux que j’ai l’honneur de représenter ici, mes plus vives condoléances et mes respectueuses pensées.