Lacte II de la décentralisation est-il réussi ? Comment la Communauté Urbaine de Strasbourg s'en sort-elle dans le cadre de la décentralisation?
Par Robert Grossmann le mardi, 17 octobre 2006, 21:57 - Strasbourg - Lien permanent
Soyons simples : décentralisation signifie proximité. Rapprocher le pouvoir de décision de ceux qui sont concernés par les décisions constitue le principe qui devrait inspirer toute action de décentralisation.
Lacte II mis en uvre par Jean-Pierre Raffarin a-t-il pleinement répondu à cette règle de bon sens ? Nous sommes en droit, après deux années de mise en uvre de nous poser cette question.
Recentralisation insidieuse ?
Les Conseil généraux, gestionnaires des départements ont vu leur rôle renforcé et leurs compétences multipliées. Proximité départementale donc, mais pas simplification.
Les Conseils Régionaux quant à eux semblent être les grands gagnants de cette décentralisation là. Proximité régionale !
Mais les vrais lieux de concentrations des populations que sont les grandes agglomérations, et les Communautés Urbaines notamment, ont de quoi sinterroger. Proximité de réalité effective, en question !
Les présidents des régions, en concertation avec les préfets, fabriquent en ce moment les « Contrats de Projets Etat Région », version rebaptisée des contrats de plan. Les régions sont en toute première ligne, en assez complète responsabilité.
Le premier ministre néanmoins donne des feuilles de route précises aux préfets priés de les appliquer. Le dialogue dès lors a des contours limités et la liberté des régions se heurte à une partielle recentralisation.
Si lon se réserve de commenter les mesures assez insidieuses par lesquelles létat central « recentralise » et qui constituent un chapitre lourd, il nest pas inintéressant de procéder à quelques constats de bon sens, vécus sur le terrain de la décentralisation régionalisée.
Aménager le territoire au détriment des grandes agglomérations ?
Les Régions se donnent pour mission de sintéresser à laménagement de leur territoire. Celui ci, en sa superficie, est assez largement rural. Il est façonné par de nombreux villages et aussi par un nombre important de villes moyennes à côté des agglomérations importantes. Les Régions estiment quelles doivent procéder à des actions de rééquilibrage.
Personne, par conséquent, ne songe à remettre en cause ces bonnes intentions daménagement du territoire régional. Il est en revanche nécessaire de sinterroger sur lattention portée aux grandes agglomérations. Est-elle à la hauteur de limportance des enjeux qui sy déroulent ?
Le rééquilibrage dont se sentent investies des assemblées composées majoritairement délus ruraux provoque en réalité de graves injustices et déstabilise de fait les équilibres au sein des régions.
Prenons lexemple de la Région Alsace et de sa capitale Strasbourg. Curieusement un hebdomadaire important qualifie pour la toute première fois dans lhistoire de la ville « Strasbourg ville pauvre et ville de pauvres ». Titre partiel et partial mais révélateur dune nouvelle problématique urbaine. Il était aussi possible de titrer sur les richesses qui existent bel et bien à Strasbourg, cest le choix du journal Mais il interpelle.
Où la population régionale est-elle concentrée ?
En Alsace, un quart de la population est situé dans lagglomération strasbourgeoise et autant de contribuables régionaux.
Près de la moitié des habitants du département acquittant leurs impôts sont localisés sur le territoire de la CUS.
Toutes les misères de la région, mais aussi toutes ses fiertés, ses fleurons, ses centres vitaux mais aussi ses grands équipements à rayonnement départemental, voire régional, sont concentrés dans lagglomération capitale.
La très grande majorité des RMISTES, des sans logis, et des sans emplois y vivent. Lagglomération compte un nombre important de ce que lon appelle aujourdhui en raccourci les banlieues avec leurs problèmes.
Mais les joyaux de la région : parlement européen, conseil de lEurope, Cour européenne des droits de lhomme, sy trouvent également.
Les grandes administrations y compris celles de la Région et du département, sont installées à Strasbourg et leurs agents circulent et y stationnent lorsquils ny habitent pas pleinement.
Les théâtres, les cinémas, lopéra, lorchestre, le football professionnel et son grand stade, se trouvent à Strasbourg et attirent évidemment des spectateurs de la région tout entière. Les commerces sont fortement concentrés dans lagglomération et drainent des clients de partout. Les universités enfin avec plus de 40 000 étudiants sont installées dans lagglomération centre.
Les charges de centralité.
En un mot la Communauté Urbaine remplit ce que lon appelle des fonctions de centralité.
Que ce soit dans le domaine de la pauvreté et de la précarité ou, à linverse dans le domaine du dynamisme économique, social, administratif, culturel, la communauté Urbaine donne le ton et imprime sa marque à la Région.
Elle est, quon le veuille ou non, le moteur du développement régional.
En est-on toujours conscient au sein des assemblées régionales et au niveau de leurs exécutifs où les représentants de la Communauté Urbaine sont mécaniquement minoritaires ?
Les épures finales du Contrat de Projet Etat Région en cette saison de vendanges ne permettent pas de laffirmer.
Si, bien évidemment, chaque artisan de ce CPER est fondé à réclamer plus de moyens à lEtat et si la tendance générale des conseils régionaux, tous de gauche à deux exceptions près, va consister à mettre en accusation létat pour délit dinsuffisance de financement, on peut néanmoins sinterroger sur les arbitrages intra régionaux.
Lagglomération perdante !
Ceux temporairement effectués par le Conseil Régional et le Préfet, en Alsace, ont éliminé tout financement culturel pour Strasbourg.
Aucun crédit culturel pour la capitale de la région, capitale de lEurope, rien pour sa communauté urbaine ! Luniversité strasbourgeoise, elle aussi, se trouve enserrée dans des choix impossibles.
Oublions le triste épisode du Tour de France mais il est difficile de ne pas mentionner le refus catégorique de la Région daccroître sa participation dans les projets de rénovation urbaine, alors même que lEtat annonce un désengagement financier sans appel de ceux qui sont jugés « non prioritaires » Que dire alors aux habitants de Cronenbourg ou de Lingolsheim ? Que leur situation peut attendre des temps meilleurs ? Non, la Communauté urbaine, là encore, se doit dintervenir pour le bien-être de ses citoyens sans considération de « classement administratif ». Au sein de lagglomération, une équité de traitement sera respectée.
Cette situation difficile et cette expérience injuste permettent daffirmer clairement que les grandes agglomérations et notamment les communautés urbaines de France ont été les grandes oubliées de lacte II de la décentralisation.
Loin de créer des rééquilibrages territoriaux salutaires, à cent lieues de faire acte déquité régionale, les actuels détenteurs des leviers de la décentralisation accentuent les déséquilibres et génèrent de linégalité, creusant lécart entre petites bourgades cossues et tranquilles et grandes agglomérations en difficulté.
Or il ne sagit en aucun cas dopposer les villes moyennes, les bourgs centres, les communes rurales, à la grande ville. Le sens de toute
action régionale ne saurait quêtre réconciliatrice, apaisante et inspirée par léquité due à tous en fonction de leurs charges. En écartant assez nettement les Communautés Urbaines de laction de rééquilibrage et daménagement, les acteurs régionaux encouragés par lEtat commettent une mauvaise action.Il est temps de faire aux CU, et aux grandes agglomérations en général, la place qui doit logiquement être la leur dans les dispositifs de la décentralisation, compte tenu de limportance territoriale et sociale réelle qui est la leur.
Vivement donc lacte III de la décentralisation.
Les DNA ont accepté de publier une version concentrée de ce texte de réflexion dans leur édition du 18/10/2006
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Commentaires
"En est-on toujours conscient au sein des assemblées régionales et au niveau de leurs exécutifs où les représentants de la Communauté Urbaine sont mécaniquement minoritaires ?"
N'est-ce pas au contraire le signe de la réussite de la décentralisation ? Les élus régionaux ne sont plus les représentants de de qui que ce soit d'autre que de la région elle-même ? Le vrai problème n'est-il pas plutôt que du fait des résistances des élus communaux l'intercommunalité n'a jamais pu être dotée d'un vrai statut ? On peut se référer à ce propos à la réserve interprétative de la France à l'occasion de la ratification en juillet dernier, après 20 ans, de la Charte de l'autonomie locale, réserve qui exclue l'intercommunalité de l'autonomie locale...
Votre article est éloquent... Il met en lumière un problème de gestion du territoire assez complexe donc difficile à appréhender. La notion de densité du territoire n'est-elle pas prise en compte dans la répartition de la représentativité au sein des assemblées régionales ? Cela semble absurde et mériterait en effet un acte III de décentralisation.
La question que vous soulevez est un cercle vicieux... De nos jours, on tend à vouloir développer les campagnes (c'est sans doute une réplique simpliste de l'échec de la politique de ville des années 70). Or ce faisant on détruit les campagnes pour en faire des micros villes, des herzats. Et lon néglige le développement des centres urbains. C'est un schéma que nous pouvons voir outre-atlantique. Des centres urbains dépeuplés qui se transforment en zones de travail et plus d'habitats et qui deviennent le terrain de jeu des gangs.Est-ce ce que nous souhaitons pour la France ??? Non, alors vivement l'acte III.