Soyons simples : décentralisation signifie proximité. Rapprocher le pouvoir de décision de ceux qui sont concernés par les décisions constitue le principe qui devrait inspirer toute action de décentralisation.

L’acte II mis en œuvre par Jean-Pierre Raffarin a-t-il pleinement répondu à cette règle de bon sens ? Nous sommes en droit, après deux années de mise en œuvre de nous poser cette question.

Recentralisation insidieuse ?

Les Conseil généraux, gestionnaires des départements ont vu leur rôle renforcé et leurs compétences multipliées. Proximité départementale donc, mais pas simplification.

Les Conseils Régionaux quant à eux semblent être les grands gagnants de cette décentralisation là. Proximité régionale !

Mais les vrais lieux de concentrations des populations que sont les grandes agglomérations, et les Communautés Urbaines notamment, ont de quoi s’interroger. Proximité de réalité effective, en question !

Les présidents des régions, en concertation avec les préfets, fabriquent en ce moment les « Contrats de Projets Etat Région », version rebaptisée des contrats de plan. Les régions sont en toute première ligne, en assez complète responsabilité.

Le premier ministre néanmoins donne des feuilles de route précises aux préfets priés de les appliquer. Le dialogue dès lors a des contours limités et la liberté des régions se heurte à une partielle recentralisation.

Si l’on se réserve de commenter les mesures assez insidieuses par lesquelles l’état central « recentralise » et qui constituent un chapitre lourd, il n’est pas inintéressant de procéder à quelques constats de bon sens, vécus sur le terrain de la décentralisation régionalisée.

Aménager le territoire au détriment des grandes agglomérations ?

Les Régions se donnent pour mission de s’intéresser à l’aménagement de leur territoire. Celui ci, en sa superficie, est assez largement rural. Il est façonné par de nombreux villages et aussi par un nombre important de villes moyennes à côté des agglomérations importantes. Les Régions estiment qu’elles doivent procéder à des actions de rééquilibrage.

Personne, par conséquent, ne songe à remettre en cause ces bonnes intentions d’aménagement du territoire régional. Il est en revanche nécessaire de s’interroger sur l’attention portée aux grandes agglomérations. Est-elle à la hauteur de l’importance des enjeux qui s’y déroulent ?

Le rééquilibrage dont se sentent investies des assemblées composées majoritairement d’élus ruraux provoque en réalité de graves injustices et déstabilise de fait les équilibres au sein des régions.

Prenons l’exemple de la Région Alsace et de sa capitale Strasbourg. Curieusement un hebdomadaire important qualifie pour la toute première fois dans l’histoire de la ville «  Strasbourg ville pauvre et ville de pauvres ». Titre partiel et partial mais révélateur d’une nouvelle problématique urbaine. Il était aussi possible de titrer sur les richesses qui existent bel et bien à Strasbourg, c’est le choix du journal…Mais il interpelle.

 

Où la population régionale est-elle concentrée ?

En Alsace, un quart de la population est situé dans l’agglomération strasbourgeoise et autant de contribuables régionaux.

Près de la moitié des habitants du département acquittant leurs impôts sont localisés sur le territoire de la CUS.

Toutes les misères de la région, mais aussi toutes ses fiertés, ses fleurons, ses centres vitaux mais aussi ses grands équipements à rayonnement départemental, voire régional, sont concentrés dans l’agglomération capitale.

La très grande majorité des RMISTES, des sans logis, et des sans emplois y vivent. L’agglomération compte un nombre important de ce que l’on appelle aujourd’hui en raccourci les banlieues avec leurs problèmes.

Mais les joyaux de la région : parlement européen, conseil de l’Europe, Cour européenne des droits de l’homme, s’y trouvent également.

Les grandes administrations y compris celles de la Région et du département, sont installées à Strasbourg et leurs agents circulent et y stationnent lorsqu’ils n’y habitent pas pleinement.

Les théâtres, les cinémas, l’opéra, l’orchestre, le football professionnel et son grand stade, se trouvent à Strasbourg et attirent évidemment des spectateurs de la région tout entière. Les commerces sont fortement concentrés dans l’agglomération et drainent des clients de partout. Les universités enfin avec plus de 40 000 étudiants sont installées dans l’agglomération centre.

Les charges de centralité.

En un mot la Communauté Urbaine remplit ce que l’on appelle des fonctions de centralité.

Que ce soit dans le domaine de la pauvreté et de la précarité ou, à l’inverse dans le domaine du dynamisme économique, social, administratif, culturel, la communauté Urbaine donne le ton et imprime sa marque à la Région.

Elle est, qu’on le veuille ou non, le moteur du développement régional.

En est-on toujours conscient au sein des assemblées régionales et au niveau de leurs exécutifs où les représentants de la Communauté Urbaine sont mécaniquement minoritaires ?

Les épures finales du Contrat de Projet Etat Région en cette saison de vendanges ne permettent pas de l’affirmer.

Si, bien évidemment, chaque artisan de ce CPER est fondé à réclamer plus de moyens à l’Etat et si la tendance générale des conseils régionaux, tous de gauche à deux exceptions près, va consister à mettre en accusation l’état pour délit d’insuffisance de financement, on peut néanmoins s’interroger sur les arbitrages intra régionaux.

L’agglomération perdante !

Ceux temporairement effectués par le Conseil Régional et le Préfet, en Alsace, ont éliminé tout financement culturel pour Strasbourg.

Aucun crédit culturel pour la capitale de la région, capitale de l’Europe, rien pour sa communauté urbaine ! L’université strasbourgeoise, elle aussi, se trouve enserrée dans des choix impossibles.

Oublions le triste épisode du Tour de France mais il est difficile de ne pas mentionner le refus catégorique de la Région d’accroître sa participation dans les projets de rénovation urbaine, alors même que l’Etat annonce un désengagement financier sans appel de ceux qui sont jugés « non prioritaires » Que dire alors aux habitants de Cronenbourg ou de Lingolsheim ? Que leur situation peut attendre des temps meilleurs ? Non, la Communauté urbaine, là encore, se doit d’intervenir pour le bien-être de ses citoyens sans considération de « classement administratif ». Au sein de l’agglomération, une équité de traitement sera respectée.

Cette situation difficile et cette expérience injuste permettent d’affirmer clairement que les grandes agglomérations et notamment les communautés urbaines de France ont été les grandes oubliées de l’acte II de la décentralisation.

Loin de créer des rééquilibrages territoriaux salutaires, à cent lieues de faire acte d’équité régionale, les actuels détenteurs des leviers de la décentralisation accentuent les déséquilibres et génèrent de l’inégalité, creusant l’écart entre petites bourgades cossues et tranquilles et grandes agglomérations en difficulté.

Or il ne s’agit en aucun cas d’opposer les villes moyennes, les bourgs centres, les communes rurales, à la grande ville. Le sens de touteaction régionale ne saurait qu’être réconciliatrice, apaisante et inspirée par l’équité due à tous en fonction de leurs charges. En écartant assez nettement les Communautés Urbaines de l’action de rééquilibrage et d’aménagement, les acteurs régionaux encouragés par l’Etat commettent une mauvaise action.

Il est temps de faire aux CU, et aux grandes agglomérations en général, la place qui doit logiquement être la leur dans les dispositifs de la décentralisation, compte tenu de l’importance territoriale et sociale réelle qui est la leur.

Vivement donc l’acte III de la décentralisation.

Les DNA ont accepté de publier une version concentrée de ce texte de réflexion dans leur édition du 18/10/2006

.